Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 21/09/2020, 440612, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

M. A… B…, à l’appui de sa demande tendant à l’annulation du jugement n° 1501360 du 23 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations d’impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2012, a produit un mémoire, enregistré le 4 mars 2020 au greffe de la cour administrative d’appel de Lyon, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 19LY00290 du 14 mai 2020, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la 2ème chambre de la cour administrative d’appel de Lyon, avant qu’il soit statué sur la requête de M. B…, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du XV du 3° du I de l’article 151 septies A du code général des impôts.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, M. B… soutient que le 3° du I de l’article 151 septies A du code général des impôts, applicable au litige, méconnaît le principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de cette même Déclaration.

Par un mémoire, enregistré le 1er septembre 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance soutient que les conditions posées par l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier que les dispositions contestées ne sont contraires ni au principe d’égalité devant les charges publiques, ni au principe d’égalité devant la loi.

Le mémoire a été communiqué au Premier ministre qui n’a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– la loi organique n° 2020-305 du 30 mars 2020 ;
– le code général des impôts ;
– la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

– les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du I de l’article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige issue, pour les dispositions contestées, de l’article 38 de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 :  » I.- Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies, autres que celles mentionnées au III, réalisées dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, sont exonérées lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° L’activité doit avoir été exercée pendant au moins cinq ans ; / 2° La cession est réalisée à titre onéreux et porte sur une entreprise individuelle ou sur l’intégralité des droits ou parts détenus par un contribuable qui exerce son activité professionnelle dans le cadre d’une société ou d’un groupement dont les bénéfices sont, en application des articles 8 et 8 ter, soumis en son nom à l’impôt sur le revenu et qui sont considérés comme des éléments d’actif affectés à l’exercice de la profession au sens du I de l’article 151 nonies ; / 3° Le cédant cesse toute fonction dans l’entreprise individuelle cédée ou dans la société ou le groupement dont les droits ou parts sont cédés et fait valoir ses droits à la retraite, dans les deux années suivant ou précédant la cession (…) « .

3. M. B… soutient que la condition liée au départ à la retraite, posée par le 3° du I de l’article 151 septies A du code général des impôts, méconnaît le principe d’égalité devant la loi, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de cette même Déclaration.

Sur l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques :

4. Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :  » Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés « . En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

5. Par les dispositions contestées, éclairées par les travaux préparatoires de la loi précitée de finances rectificative pour 2008 ainsi que de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ayant créé l’article 151 septies A, le législateur a entendu instaurer une exonération particulière des plus-values réalisées lors de la cessation d’activité d’un exploitant ou d’un associé partant à la retraite, afin de faciliter la transmission des entreprises soumises au régime fiscal de l’article 8 du code général des impôts, à l’instar du dispositif d’abattement prévu à l’article 150-0 D ter du même code pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés. En outre, ces dispositions dérogatoires étant d’interprétation stricte, le respect des conditions cumulatives prévues par l’article 151 septies A, relatives à la personne du cédant, s’apprécie nécessairement au niveau de ce dernier.

6. En premier lieu, si M. B… soutient que, à l’occasion de la cession des titres d’une entreprise résultant du départ à la retraite d’un co-associé, un autre co-associé ne remplissant pas les conditions du 3° du I de l’article 151 septies A ne saurait être traité différemment de ce dernier, il résulte de ce qui est dit ci-dessus que le législateur a entendu réserver le bénéfice de ce régime de faveur dérogatoire aux seuls cédants partant à la retraite, afin de faciliter la cession des titres d’une entreprise en vue d’assurer la continuité de l’activité spécifiquement à l’occasion du départ à la retraite, alors par ailleurs que les autres associés qui ne font pas valoir leurs droits à la retraite et ne sont ainsi pas appelés à cesser définitivement toute activité professionnelle entrent, le cas échéant, dans le champ des régimes d’exonération des plus-values de droit commun, notamment celui de l’article 238 quindecies du code général des impôts.

7. En second lieu, la circonstance que l’instruction n° 5 C-1-07 du 22 janvier 2007 alors applicable à l’article 150-0 D ter du code général des impôts, rédigé en des termes similaires à ceux de l’article contesté, admettait, à la différence de la doctrine relative à l’article 151 septies A du même code, que les conditions prévues pour bénéficier de l’exonération pouvaient être remplies par seulement l’un au moins des cédants co-fondateurs, ne saurait révéler une intention du législateur différente de celle qui a été rappelée au point 5.

8. Ainsi, en retenant, au 3° du I de l’article 151 septies A, une condition tenant à ce que le cédant fasse valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objectif poursuivi. Il n’en résulte pas une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques entre un cédant qui fait valoir ses droits à la retraite et un cédant qui n’est pas en état de le faire et est donc en capacité de poursuivre une activité.

Sur l’atteinte au principe d’égalité devant la loi :

9. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 :  » La loi (…) doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse (…) « . Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Il n’en résulte pas pour autant que le principe d’égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

10. D’une part, ainsi qu’il est dit au point 6, la différence de traitement entre deux associés co-fondateurs suivant leur situation au regard des droits à la retraite résulte d’une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi. D’autre part, la différence de traitement existant, à l’époque des faits, entre l’associé d’une société soumise au régime fiscal de l’article 8 du code général des impôts et l’associé d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés résulte, ainsi qu’il est dit au point 7, de la doctrine administrative et non pas de la loi. Les dispositions contestées ne sont, ainsi, pas de nature à méconnaître le principe d’égalité devant la loi.

11. Il résulte de ce qui précède il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n’est pas nouvelle.

D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d’appel de Lyon.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d’appel de Lyon.

ECLI:FR:CECHR:2020:440612.20200921