Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 21/09/2020, 425216

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

La société BM Environnement a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 octobre 2016 par laquelle le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, sur recours hiérarchique de la société Eco Déchets, annulé la décision du 12 mai 2016 par laquelle l’inspectrice du travail responsable de l’unité territoriale de contrôle Loire-Nord avait autorisé la société BM Environnement à transférer le contrat de travail de Mme D…, salariée protégée, à la société Eco Déchets, et dit qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur cette demande. Par un jugement n° 1609430 du 29 mai 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 18LY02888 du 30 août 2018, le premier vice-président de la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par la société BM Environnement contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 novembre 2018 et le 5 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société BM Environnement demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code du travail ;
– l’arrêté du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 22 juillet 2015 relatif à l’organisation de la direction générale du travail ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société BM Environnement et au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Eco Déchets ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu’après avoir perdu un marché de collecte des ordures ménagères attribué à la société Eco Déchets, la société BM Environnement a, en application de la convention collective nationale des activités du déchet du 11 mai 2000, étendue par arrêté du 5 juillet 2001, qui prévoit la reprise de certains personnels par les employeurs en cas de changement de titulaire d’un marché public, demandé à l’inspection du travail l’autorisation de transférer à cette société le contrat de travail de Mme D…, salariée protégée, sous réserve de son accord. Par une décision du 12 mai 2016, l’inspectrice du travail responsable de l’unité territoriale de contrôle Loire-Nord a autorisé ce transfert. Saisi d’un recours hiérarchique par la société Eco Déchets, le ministre du travail de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, par une décision du 25 octobre 2016, a annulé la décision de l’inspectrice du travail et dit qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur la demande de transfert du contrat de travail de Mme D…, au motif que cette dernière avait, dans l’intervalle, pris acte de la rupture de son contrat de travail le 17 mai 2016. A la suite de cette prise d’acte, le conseil des prud’hommes de Roanne a, par un jugement du 9 août 2016, jugé que le transfert du contrat de Mme D… à la société Eco Déchets était fondé et requalifié la prise d’acte, par Mme D…, de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse par cette société. Par une ordonnance du 30 août 2018 contre laquelle la société BM Environnement se pourvoit en cassation, le premier vice-président de la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par cette dernière contre le jugement du tribunal administratif de Lyon du 29 mai 2018 qui avait rejeté sa demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

2. En premier lieu, il ressort des pièces soumis au juge du fond que M. B… A…, chef du bureau du statut protecteur, a reçu délégation, par une décision du 11 août 2015 du directeur général du travail, publiée au Journal officiel de la République française du 14 août 2015,  » à l’effet de signer, dans la limite des attributions du bureau du statut protecteur et au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions ou conventions, à l’exclusion des décrets « . Selon l’article 5 de l’arrêté du 22 juillet 2015 du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social relatif à l’organisation de la direction générale du travail, alors en vigueur, publié au Journal officiel de la République française du 11 août 2015, le bureau du statut protecteur est chargé notamment :  » (…) de définir le cadre juridique de l’intervention de l’inspection du travail en matière de licenciement ou transfert de salariés exerçant des fonctions représentatives ; / – d’instruire des recours hiérarchiques et contentieux relatifs aux licenciements des salariés protégés (…) ». En jugeant, par l’ordonnance attaquée, que M. A… tenait de ces dispositions compétence pour signer, au nom du ministre chargé du travail, la décision en litige et le mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif, alors même qu’était en cause le transfert d’un salarié protégé et non un licenciement, le premier vice-président de la cour administrative d’appel de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

3. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » Les décisions mentionnées à l’article L. 211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. (…) ». Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l’égard du bénéficiaire d’une décision, lorsque l’administration est saisie par un tiers d’un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi, le ministre chargé du travail, saisi d’un recours contre une décision autorisant ou refusant le transfert d’un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits – à savoir, respectivement, l’employeur ou le salarié protégé – à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l’ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.

4. En retenant que la société BM Environnement avait eu communication des éléments sur lesquels le ministre chargé du travail s’était fondé pour prendre sa décision et qu’elle avait disposé d’un délai suffisant pour présenter ses observations, dès lors qu’elle avait eu communication, par lettre du 6 juillet 2016, du recours hiérarchique de la société Eco Déchets contre la décision de l’inspecteur du travail du 12 mai 2016, qu’elle avait été informée de ce que les pièces jointes à ce recours étaient tenues à sa disposition, que son représentant avait été reçu par l’administration le 21 juillet 2016 et que la décision du ministre chargé du travail avait été prise le 25 octobre 2016, le premier vice-président de la cour administrative d’appel de Lyon s’est livré à une appréciation souveraine des pièces versées au dossier, exempte de dénaturation. En en déduisant que le caractère contradictoire de la procédure suivie devant le ministre chargé du travail n’avait pas été méconnu, alors même que la société BM Environnement n’avait pas été préalablement informée de la mesure que le ministre chargé du travail envisageait de prendre après annulation de la décision de l’inspectrice du travail, le premier vice-président de cette cour n’a entaché son ordonnance ni d’insuffisance de motivation, ni d’erreur de droit.

5. En dernier lieu, lorsqu’il est saisi d’un recours hiérarchique contre une décision d’un inspecteur du travail statuant sur une demande de transfert d’un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l’annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d’autorisation de transfert compte tenu des circonstances de droit et de fait prévalant à la date à laquelle il prend sa propre décision. En présence d’une prise d’acte, mode de rupture du contrat du travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de cette rupture et statue dans des délais abrégés ainsi que le prévoit l’article L. 1451-1 du code du travail. Ainsi, dans le cas où un salarié protégé prend acte de la rupture de son contrat de travail entre la décision de l’inspecteur du travail et la décision du ministre statuant sur le recours hiérarchique formé contre cette décision et où le ministre annule la décision de l’inspecteur du travail, la demande d’autorisation de transfert du salarié protégé dont il se retrouve saisi perd son objet.

6. Il s’ensuit qu’en jugeant, après avoir relevé par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation que Mme D… avait, le 17 mai 2016, pris acte de la rupture de son contrat de travail, que le ministre chargé du travail, statuant le 25 octobre 2016 sur le recours hiérarchique, avait pu légalement, après avoir annulé la décision de l’inspecteur du travail du 12 mai 2016, estimer qu’il n’y avait plus lieu pour l’autorité administrative de statuer sur la demande d’autorisation de transfert de Mme D…, le premier vice-président de la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société BM environnement n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

8. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Eco Déchets au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société BM environnement est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Eco Déchets au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société BM Environnement, à Mme C… D…, à la société Eco Déchets et à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

ECLI:FR:CECHR:2020:425216.20200921