Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 21/09/2020, 426312, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Mme A… B… a, par deux demandes distinctes, demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l’Etat à lui verser les sommes de 68 000 euros et de 26 936,02 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires annuelles concernant les années scolaires 2009-2010, 2010-2011, et 2011-2012 et à titre de réparation de son préjudice moral. Par un jugement n°s 1400299, 1404549 du 10 novembre 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 17NT00075 du 15 octobre 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a condamné l’Etat à verser à Mme B… la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi au titre des années 2009-2010 et 2011-2012.

Par un pourvoi enregistré le 17 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse demande au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’éducation ;
– la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 50-581 du 25 mai 1950 ;
– le décret n° 72-580 du 4 juillet 1972 ;
– le décret n° 99-823 du 17 septembre 1999 ;
– le décret n° 2008-370 du 18 avril 2008 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B…, professeure agrégée en économie, option gestion, a été affectée depuis septembre 2004 en qualité de titulaire sur zone de remplacement (TZR) dans la zone de remplacement de Rennes. Pour les années scolaires 2009-2010, 2010-2011 et 2011-2012, en sa qualité d’enseignant titulaire sur zone de remplacement, elle a été, par plusieurs arrêtés successifs du recteur de l’académie de Rennes, d’une part, rattachée pour sa gestion au lycée Victor et Hélène Basch à Rennes, et, d’autre part, affectée auprès de l’antenne du Centre national d’enseignement à distance (CNED) située à Rennes, dans la fonction de professeur responsable de l’épreuve de spécialité du baccalauréat STG, partie pratique, dans le domaine des sciences et technologies de la gestion, pour les élèves de cette filière inscrits au CNED. Mme B… a présenté une première demande préalable auprès du recteur de l’académie de Rennes en vue du paiement des sommes dues au titre des heures supplémentaires annuelles qu’elle estime avoir effectuées au cours de l’année scolaire 2010-2011. Par un jugement du 24 juin 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 3 novembre 2010 par laquelle le recteur a rejeté la demande de Mme B… tendant au paiement des heures supplémentaires annuelles au titre de l’année scolaire 2010-2011 et a enjoint au recteur de procéder à la régularisation de la situation financière de l’intéressée au titre des heures supplémentaires effectuées pendant cette même année scolaire. En exécution de ce jugement, le recteur de l’académie de Rennes a procédé à la mise en paiement d’heures supplémentaires au bénéfice de Mme B… au titre de l’année scolaire 2010-2011, pour un montant de 17 233,22 euros. A la suite du rejet, par le recteur, de nouvelles demandes préalables de Mme B…, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 10 novembre 2016, a rejeté les demandes de l’intéressée tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser, au titre des années scolaires 2009-2010 et 2011-2012, la somme de 68 000 euros correspondant au rappel d’heures supplémentaires annuelles et à la réparation de son préjudice moral ainsi que, au titre de l’année scolaire 2010-2011, la somme de 26 936,02 euros au titre des heures supplémentaires annuelles dont elle estimait qu’elles n’avaient pas été prises en compte par l’exécution du précédent jugement. Par un arrêt du 15 octobre 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a condamné l’Etat à verser à Mme B… la somme de 15 000 euros au titre du préjudice né de ce que les arrêtés rectoraux l’affectant auprès du CNED devaient être regardés comme une mise à disposition entachée d’illégalité, laquelle lui avait fait perdre une chance sérieuse de pouvoir bénéficier du versement d’heures supplémentaires annuelles en application de l’article 1er du décret du 25 mai 1950, au titre des années scolaires 2009-2010 et 2011-2012. La cour a réformé le jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 novembre 2016 sur ce point et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B…. Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il a condamné l’Etat à verser à Mme B… la somme de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2013 et de leur capitalisation à compter du 15 novembre 2014 puis à chaque échéance annuelle. Le pourvoi du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse doit ainsi être regardé comme tendant à l’annulation des articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt. Mme B… forme un pourvoi incident aux fins de voir annuler ce même arrêt en tant qu’il a évalué son préjudice à la somme de 15 000 euros.

2. En premier lieu, aux termes de l’article 1er du décret du 17 septembre 1999 relatif au remplacement dans les établissements du second degré, dans sa version alors applicable :  » Des personnels enseignants du second degré, des personnels d’éducation et d’orientation, titulaires et stagiaires, peuvent être chargés, dans le cadre de l’académie et conformément à leur qualification, d’assurer le remplacement des agents momentanément absents ou d’occuper un poste provisoirement vacant « . Aux termes de l’article 2 du même décret :  » (…) le recteur détermine au sein de l’académie, par arrêté pris après avis du comité technique paritaire académique, les différentes zones dans lesquelles les personnels mentionnés à l’article 1er ci-dessus exercent leurs fonctions « . Aux termes de l’article 3 du même décret :  » L’arrêté d’affectation dans l’une des zones prévues à l’article 2 ci-dessus des personnels mentionnés à l’article 1er indique l’établissement public local d’enseignement ou le service de rattachement de ces agents pour leur gestion. Le territoire de la commune où est implanté cet établissement ou ce service est la résidence administrative des intéressés. Le recteur procède aux affectations dans les établissements ou les services d’exercice des fonctions de remplacement par arrêté qui précise également l’objet et la durée du remplacement à assurer. Ces établissements ou services peuvent être situés, lorsque l’organisation du service l’exige, dans une zone limitrophe de celle mentionnée à l’alinéa 1er ci-dessus (…) « . Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que l’enseignant du second degré titulaire sur zone de remplacement, rattaché pour sa gestion administrative à un établissement public local d’enseignement ou à un service de rattachement situé dans la zone académique dans laquelle il est affecté, peut être chargé d’assurer le remplacement d’un agent momentanément absent ou d’occuper un poste provisoirement vacant dans des établissements ou services autres que ceux auxquels il est administrativement rattaché pour sa gestion.

3. Pour juger que l’affectation de Mme B… auprès du CNED était entachée d’illégalité et condamner l’Etat à verser la somme de 15 000 euros à Mme B… au titre du préjudice né de ce qu’elle avait perdu une chance sérieuse de pouvoir bénéficier du versement d’heures supplémentaires annuelles au titre des années scolaires 2009-2010 et 2011-2012, la cour administrative d’appel s’est fondée sur deux motifs.

4. Par le premier d’entre eux, la cour a retenu que l’intéressée, étant rattachée administrativement au lycée Victor et Hélène Basch à Rennes, devait effectuer des remplacements dans cet établissement seulement et ne pouvait donc être affectée au CNED durant les trois années entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2012. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que ce motif est entaché d’erreur de droit.

5. La cour s’est, cependant, également fondée, pour juger l’affectation illégale, sur un second motif tiré de ce que les arrêtés d’affectation de Mme B… auprès du CNED devaient être regardés comme une mise à disposition méconnaissant les dispositions de l’article 41 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, dès lors qu’il ne ressortait d’aucune pièce du dossier que l’intéressée aurait sollicité cette affectation, ni même que l’administration aurait recueilli préalablement son accord pour une mise à disposition auprès du CNED. A cet égard, il résulte des dispositions régissant le CNED que ce dernier est un établissement public national à caractère administratif doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, placé sous la tutelle des ministres chargés de l’éducation et de l’enseignement supérieur en vertu de l’article R. 426-1 du code de l’éducation et dont les services, au nombre desquels figurent plusieurs antennes locales dont celle implantée à Rennes, sont placés sous l’autorité de son directeur général en vertu de l’article R. 426-17 du même code. Il s’ensuit qu’en jugeant que l’affectation de Mme B… auprès du CNED était entachée d’illégalité, en ce que, en l’absence de dispositions particulières le prévoyant, elle la conduisait à exercer ses fonctions en dehors du service où elle a vocation à servir sans respecter les dispositions de l’article 41 de la loi du 11 janvier 1984, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.

6. Toutefois, il ressort des termes de l’arrêt attaqué que la cour s’est bornée à relever que l’illégalité fautive des arrêtés rectoraux d’affectation de Mme B… auprès du CNED avait eu pour conséquence de lui faire perdre une chance sérieuse de pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 1er du décret du 25 mai 1950 portant règlement d’administration publique pour la fixation des maximums de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d’enseignement du second degré, alors en vigueur, en vertu desquelles les heures effectuées par un professeur agrégé au-delà de quinze heures par semaine constituent des heures supplémentaires devant être rémunérées comme telles, sans mettre le juge de cassation à même d’exercer son contrôle sur le lien de causalité qu’elle retenait et sur l’étendue du préjudice qu’elle indemnisait. Ce faisant, la cour a insuffisamment motivé sa décision.

7. Dans ces conditions, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse est fondé à demander l’annulation des articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt qu’il attaque.

8. Cette annulation rend sans objet le pourvoi incident de Mme B…. Il n’y a donc pas lieu d’y statuer.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt du 15 octobre 2018 de la cour administrative d’appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de Mme B….
Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d’appel de Nantes.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à Mme A… B….

ECLI:FR:CECHR:2020:426312.20200921