Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 23/09/2020, 438690, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 6 avril et 31 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat national de l’orthopédie française demande au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du b) du 4° de l’article 3 du décret n° 2019-835 du 12 août 2019 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée et à sa prise en charge par l’assurance maladie, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 4322-1 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code de la santé publique, notamment son article L. 4322-1 ;
– le code de justice administrative et la loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au cabinet Briard, avocat du syndicat national de l’orthopédie française ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :  » Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) « . Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l’article L. 4322-1 du code de la santé publique :  » Les pédicures-podologues, à partir d’un diagnostic de pédicurie-podologie qu’ils ont préalablement établi, ont seuls qualité pour traiter directement les affections épidermiques, limitées aux couches cornées et les affections unguéales du pied, à l’exclusion de toute intervention chirurgicale. / Ils ont également seuls qualité pour pratiquer les soins d’hygiène, confectionner et appliquer les semelles destinées à prévenir ou à soulager les affections épidermiques. / Sur ordonnance et sous contrôle médical, les pédicures-podologues peuvent traiter les cas pathologiques de leur domaine de compétence. / Les pédicures-podologues analysent et évaluent les troubles morphostatiques et dynamiques du pied et élaborent un diagnostic de pédicurie-podologie en tenant compte de la statique et de la dynamique du pied ainsi que de leurs interactions avec l’appareil locomoteur. / Les pédicures-podologues peuvent adapter, dans le cadre d’un renouvellement, les prescriptions médicales initiales d’orthèses plantaires datant de moins de trois ans, dans des conditions fixées par décret et sauf opposition du médecin « .

3. Aux termes de l’article L. 4364-1 du code de la santé publique :  » Les prothésistes et orthésistes réalisent, sur prescription médicale, l’appareillage nécessaire aux personnes handicapées. / Ils comprennent les professions suivantes : / (…) 5° Les orthopédistes-orthésistes (…) « . Aux termes de l’article D. 4364-6 du même code :  » Est considérée comme exerçant la profession d’orthopédiste-orthésiste toute personne qui procède à l’appareillage des personnes malades ou atteintes d’un handicap par appareillage orthétique ou orthopédique réalisé sur mesure ou par appareillage orthétique ou orthopédique de série. / L’appareillage recouvre pour les produits sur mesure la prise de mesure, la conception et éventuellement la fabrication ainsi que, pour tous les produits, le choix de l’appareillage, l’essayage, l’adaptation, la délivrance, le contrôle de sa tolérance et de son efficacité fonctionnelle immédiate, le suivi de l’appareillage, de son adaptation, ses réparations (…) « .

4. Le syndicat national de l’orthopédie française soutient qu’en ce qu’elles autorisent les pédicures-podologues à renouveler les prescriptions médicales initiales d’orthèses plantaires datant de moins de trois ans sans accorder le même droit aux orthopédistes-orthésistes, les dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 4322-1 du code de la santé publique méconnaissent le principe d’égalité devant la loi, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et portent atteinte à la liberté d’entreprendre et au libre choix du professionnel de santé par le patient.

5. En premier lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :  » La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. (…) « . Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

6. Si les orthopédistes-orthésistes peuvent, comme les pédicures-podologues, délivrer des orthèses plantaires sur mesure ou de série, les seconds sont en outre compétents pour établir un diagnostic de pédicurie-podologie et analyser et évaluer les troubles morphostatiques et dynamiques du pied. La différence de traitement résultant des dispositions contestées, fondée sur une différence de situation tenant à la formation et à l’étendue des compétences respectives de ces professionnels, est également en rapport direct avec leur objet, qui est de permettre à des personnes qui ne sont pas médecins de renouveler des prescriptions médicales au vu de l’évolution de la pathologie de l’intéressé.

7. En deuxième lieu, il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

8. Ainsi qu’il a été dit, les dispositions contestées ont pour objet de permettre à des professionnels qui ne sont pas médecins de renouveler, en les adaptant, des prescriptions médicales au vu de l’évolution de la pathologie de l’intéressé. En n’accordant pas ce droit aux orthopédistes-orthésistes, dont les missions se limitent à l’appareillage des personnes malades ou atteintes d’un handicap, le législateur n’a pas assuré une conciliation manifestement déséquilibrée entre le principe de la liberté d’entreprendre et les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 relatives à la protection de la santé.

9. En dernier lieu, les dispositions contestées sont sans incidence sur la possibilité pour les patients de s’adresser à l’orthopédiste-orthésiste de leur choix pour la réalisation d’une d’orthèse plantaire. Par suite, et sans qu’il y ait lieu de rechercher s’il existe un principe du libre choix par le malade de son professionnel de santé, de caractère constitutionnel, le syndicat requérant ne saurait soutenir que les dispositions litigieuses méconnaissent un tel principe.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat national de l’orthopédie française.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat national de l’orthopédie française et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

ECLI:FR:CECHR:2020:438690.20200923