Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 25/09/2020, 440553, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 mai et 3 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société à responsabilité limitée (SARL) Lac et Volcan demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts les 6 juin 2018 et 4 septembre 2019 sous la référence BOI-BIC-CHAMP-80-10-70-20 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 ;
– le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;
– le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 ;
– l’arrêté du 10 septembre 2012 du Premier ministre relatif à la mise à disposition des instructions et circulaires publiées au Bulletin officiel des finances publiques-impôts ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article 44 quindecies du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 :  » I. – Dans les zones de revitalisation rurale mentionnées à l’article 1465 A, les entreprises qui sont créées ou reprises entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2020, soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d’imposition de leurs résultats et qui exercent une activité industrielle, commerciale, artisanale au sens de l’article 34 ou professionnelle au sens du 1 de l’article 92, sont exonérées d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés, à l’exclusion des plus-values constatées lors de la réévaluation des éléments d’actif, jusqu’au terme du cinquante-neuvième mois suivant celui de leur création ou de leur reprise et déclarés selon les modalités prévues à l’article 53 A. / (…) III. (…) L’exonération ne s’applique pas non plus dans les situations suivantes : / a) si, à l’issue de l’opération de reprise ou de restructuration, le cédant, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité défini à l’article 515-1 du code civil, leurs ascendants et descendants, leurs frères et soeurs détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, de la personne morale ou du groupement soit repris, soit bénéficiaire de l’opération de reprise ou de restructuration. (…) « .

2. Afin de permettre l’application de cette exonération à l’issue de la reprise ou de la restructuration d’une entreprise en zone de revitalisation rurale consécutive à sa première transmission familiale, l’article 18 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 a modifié ces dispositions en remplaçant le a) du III de l’article 44 quindecies du code général des impôts par l’alinéa suivant :  » a) Si, lorsque la société, la personne morale ou le groupement a déjà fait l’objet d’une première opération de reprise ou de restructuration à l’issue de laquelle le cédant, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité défini à l’article 515-1 du code civil, leurs ascendants et descendants, leurs frères et soeurs détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, de la personne morale ou du groupement soit repris, soit bénéficiaire de l’opération de reprise ou de restructuration, cette société, cette personne morale ou ce groupement fait de nouveau l’objet d’une telle opération à l’issue de laquelle une ou plusieurs des personnes physiques précédemment mentionnées détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux. « 

3. Commentant ces dernières dispositions, le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts les 6 juin 2018 et 4 septembre 2019 sous la référence BOI-BIC-CHAMP-80-10-70-20, dont la société Lac et Volcan demande l’annulation pour excès de pouvoir, indique, en son troisième alinéa, que  » Cette modification, qui assouplit la clause anti-abus en permettant d’accorder le bénéfice de l’exonération au titre de la première transmission dans le cadre familial, est issue de l’article 18 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017. Cet article ne prévoyant pas d’entrée en vigueur spécifique, l’assouplissement de la clause anti-abus s’applique aux opérations de reprise et de restructuration réalisées à compter du 30 décembre 2017 (lendemain de la publication de la loi au journal officiel) « . Compte tenu de l’intérêt dont se prévaut la société, les conclusions de son recours doivent être regardées comme tendant à l’annulation de ce seul troisième alinéa.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre :

4. Aux termes de l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration :  » Font l’objet d’une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. (…) « . Aux termes de l’article R. 312-8 du code des relations entre le public et l’administration, dans sa rédaction issue de l’article 3 décret du 28 novembre 2018 :  » Par dérogation à l’article R. 312-3-1, les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat sont publiées sur un site relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation.  » Aux termes du premier alinéa de l’article R. 312-9 de ce code, également dans sa rédaction issue de cet article 3 :  » Un arrêté du Premier ministre peut prévoir que, pour les circulaires et instructions intervenant dans certains domaines marqués par un besoin régulier de mise à jour portant sur un nombre important de données, la publication sur un site internet autre que celui qui est mentionné à l’article R. 312-8 produit les mêmes effets que la publication sur ce site.  » Enfin, l’article 1er de l’arrêté du Premier ministre du 10 septembre 2012 relatif à la mise à disposition des instructions et circulaires publiées au Bulletin officiel des finances publiques-impôts dispose que la mise en ligne des circulaires et instructions sur le site  » bofip.impots.gouv.fr  » produit les mêmes effets que si elle avait été effectuée sur le site relevant du Premier ministre qui est mentionné à l’article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, devenu l’article R. 312-8 du code.

5. Il résulte de ces dispositions, toutes issues de textes législatifs ou réglementaires eux-mêmes publiés au Journal officiel de la République française, que dans la mesure où elle intervient à compter du 1er janvier 2019, la mise en ligne d’une instruction, d’une circulaire ou de tout autre document émanant de l’administration fiscale sur le site  » bofip.impots.gouv.fr  » constitue l’acte de publication prévu à l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration. Par suite, le délai réglementaire dont un contribuable dispose pour former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de tout commentaire par lequel l’autorité compétente prescrit l’interprétation de la loi fiscale, lorsque celui-ci a été mis en ligne sur le site  » bofip.impots.gouv.fr  » à compter du 1er janvier 2019, commence à courir au jour de cette mise en ligne. Cette règle de forclusion est applicable à tout litige intéressant des commentaires administratifs mis en ligne à compter du 1er janvier 2019, à la différence de celle applicable aux commentaires publiés avant cette date qui, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat statuant au contentieux dans sa décision n° 435634 du 13 mars 2020, ne saurait fonder le rejet pour irrecevabilité d’un recours présenté avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la date de lecture de cette décision.

6. Il suit de là que le ministre est fondé à soutenir que les conclusions par lesquelles la société Lac et Volcan, dans sa requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 12 mai 2020, demande l’annulation des commentaires publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts le 4 septembre 2019 sont tardives et ne peuvent par suite qu’être rejetées. En revanche, le ministre n’est pas fondé à soutenir que les conclusions, présentées le même jour, tendant à l’annulation des commentaires publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts le 6 juin 2018 seraient entachées de la même tardiveté, la circonstance que ces commentaires se soient vu substituer ceux publiés le 4 septembre 2019 étant dépourvue d’incidence à cet égard.

Sur le bien-fondé des conclusions dirigées contre les commentaires publiés le 6 juin 2018 :

7. Il résulte des dispositions des articles 36, 38 et 209 du code général des impôts que la clôture de l’exercice comptable constitue le fait générateur de l’impôt sur les sociétés. Lorsque le législateur modifie les règles d’assiette de cet impôt, cette modification s’applique, sauf à ce que la loi en dispose autrement de manière expresse, à l’imposition des bénéfices des exercices clos à compter de son entrée en vigueur.

8. Il suit de là que les dispositions de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 citées au point 2, qui ne prévoient pas de règle dérogatoire d’entrée en vigueur, s’appliquent, en matière d’impôt sur les sociétés, aux exercices clos à compter du 30 décembre 2017, lendemain du jour de sa publication au Journal officiel de la République française.

9. Par suite, en indiquant que la disposition législative nouvelle s’appliquait seulement aux opérations de reprise ou de restructuration réalisées à compter du 30 décembre 2017, le § 200 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts sous la référence BOI-BIC-CHAMP-80-10-70-20 a illégalement restreint le champ d’application de la loi dans le temps.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Lac et Volcan est fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir du troisième alinéa du § 200 des commentaires administratifs publiés le 6 juin 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts sous la référence BOI-BIC-CHAMP-80-10-70-20. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Lac et Volcan au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Le troisième alinéa du § 200 des commentaires administratifs publiés le 6 juin 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts sous la référence BOI-BIC-CHAMP-80-10-70-20 est annulé.
Article 2 : L’Etat versera à la société Lac et Volcan la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Lac et Volcan est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Lac et Volcan et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2020:440553.20200925