Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 21/01/2021, 427235, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

M. D… A… a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 mai 2015 par laquelle le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d’une part, annulé la décision de l’inspectrice du travail de la 6ème section de l’unité territoriale de Seine-et-Marne du 26 octobre 2014 refusant d’autoriser son licenciement par la société N’4 Mobilités, d’autre part autorisé son licenciement. Par un jugement n° 1505577 du 9 novembre 2016, le tribunal administratif a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 17PA00001 du 20 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la société N’4 Mobilités contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 21 février et 19 avril 2019, la société N’4 Mobilités demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A… la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la route ;
– le code du travail ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme B… C…, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société N4 Mobilités et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A…, recruté en qualité de conducteur-receveur de car le 28 août 2009 par la société N’4 Mobilités, spécialisée dans le transport routier de voyageurs, a été désigné le 25 juillet 2014 représentant d’une section syndicale. Le 11 septembre 2014, M. A… a fait l’objet d’une mise à pied et le 24 septembre 2014, l’employeur a sollicité l’autorisation de le licencier pour faute au motif qu’il avait continué à conduire alors que son permis de conduire était expiré depuis le 3 septembre et qu’il ne l’en avait pas informé, en méconnaissance de ses obligations contractuelles. Par une décision du 29 octobre 2014, l’inspectrice du travail de la 6ème section de l’unité territoriale de Seine-et-Marne a rejeté cette demande. Toutefois par une décision du 27 mai 2015 le ministre chargé du travail a annulé cette décision et autorisé le licenciement de M. A…. Par un jugement du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du ministre. La société N’4 Mobilités se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 20 novembre 2018 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l’appartenance syndicale de l’intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Aux termes de l’article R. 221-1 du code de la route, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce :  » I.- Nul ne peut conduire un véhicule ou un ensemble de véhicules, pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé par le présent code, s’il n’est titulaire de la catégorie correspondante du permis de conduire en état de validité (…). I bis. – La durée de validité des titres attestant de la qualité de titulaire du permis de conduire est limitée ainsi qu’il suit : 2° (…) les permis de conduire comportant les catégories (…) D, (…) ont une durée de validité de cinq ans. / La date limite de validité est inscrite sur le titre de conduite. Les conditions de renouvellement des titres attestant de la qualité de titulaire du permis de conduire sont fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière « . Aux termes de l’article R. 221-11 du même code :  » I. – Lorsqu’une visite médicale est obligatoire en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire (…). II. – La validité du permis ainsi délivré ne peut être prorogée qu’après l’avis médical établi par un médecin agréé consultant hors commission médicale ou par la commission médicale. / III.- La demande de prorogation doit être adressée au préfet du département du domicile du pétitionnaire.  »

4. En estimant, après avoir relevé que M. A… ne contestait ni avoir continué à exercer ses fonctions de conducteur de car en sachant que la durée de validité de son permis de conduire était arrivée à expiration, ni la circonstance qu’il lui incombait de solliciter en temps utile la prorogation de son titre de conduite, que ces faits n’étaient pas d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement du salarié, la cour administrative d’appel de Paris a, eu égard aux risques auxquels cette méconnaissance délibérée des dispositions du code de la route relatives au permis de conduire a exposé l’employeur, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société N’4 Mobilités est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Toutefois il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société N’4 Mobilités au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 20 novembre 2018 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Paris.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société N’4 Mobilités est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société N’4 Mobilités et à M. D… A….
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

ECLI:FR:CECHR:2021:427235.20210121