Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 24/02/2021, 429222

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société Nurun a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution d’un crédit d’impôt recherche au titre des années 2008, 2009 et 2010. Par un jugement nos 1210151, 1302966 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du montant ayant donné lieu au dégrèvement prononcé en cours d’instance et a rejeté le surplus de la demande.

Par un arrêt n° 16VE00277 du 29 janvier 2019, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la société Nurun contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 mars et 28 juin 2019 et le 1er avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Nurun demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme B… A…, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Nurun ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Nurun, société mère du groupe fiscalement intégré comprenant la société Nurun France, devenue Razorfish France, qui exerce une activité de conception de sites Internet, a demandé à l’administration fiscale la restitution de crédits d’impôt au titre de dépenses de recherche exposées en 2008, 2009 et 2010 par la société Nurun France. Par un jugement du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir prononcé à un non-lieu à statuer à concurrence du montant de crédit d’impôt restitué par l’administration en cours d’instance, a rejeté le surplus de la demande de la société Nurun. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 29 janvier 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement.

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la demande de restitution du crédit d’impôt recherche se rapportant au projet  » Landscape Analytics « 

2. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure devant la cour administrative d’appel que la société Nurun n’a pas soulevé devant la cour de moyen soutenant que le jugement du tribunal administratif aurait été insuffisamment motivé pour n’avoir pas pris en compte le rapport d’expertise du 21 octobre 2014. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêt serait irrégulier pour n’avoir pas répondu à ce moyen ne peut qu’être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l’article 244 quater B du code général des impôts :  » I. – Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d’après leur bénéfice réel (…) peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des dépenses de recherche qu’elles exposent au cours de l’année. (…) II. – Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt sont : / a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique (…) ; / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations (…) / c) Les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; / (…) VI. – Un décret fixe les conditions d’application du présent article (…) « .

4. Aux termes de 49 septies F de l’annexe III au même code :  » Pour l’application des dispositions de l’article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale (…) ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée (…) ; / c. Les activités ayant le caractère d’opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d’installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d’une simple utilisation de l’état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté « .

5. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a relevé que les travaux menés par la société Nurun France dans le cadre du projet  » Landscape Analytics  » consistaient à intégrer et normaliser des données en ligne ou issues de bases externes, de manière à pouvoir les présenter sur une seule et même interface et les exploiter. En en déduisant que les travaux en cause se bornaient à développer et combiner des techniques existantes sans dissiper aucune incertitude scientifique et technique et en jugeant qu’ils ne présentaient pas le caractère d’opérations de développement expérimental, la cour a donné à ces travaux leur exacte qualification juridique.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Nurun n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il statue sur ses conclusions se rapportant au projet  » Landscape Analytics « 

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la demande de restitution du crédit d’impôt recherche se rapportant au projet  » NuWad  » :

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante soutenait que les salariés pour lesquels elle sollicitait le bénéfice du crédit d’impôt recherche collaboraient étroitement avec les chercheurs chargés du projet  » NuWad « . Par suite, la cour s’est méprise sur la portée des écritures de la société requérante en relevant qu’elle ne le soutenait pas. La société Nurun est dès lors fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il statue sur la demande de restitution du crédit d’impôt recherche se rapportant au projet  » NuWad « .

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. En vertu du b) du II de l’article 244 quater B du code général des impôts, cité au point 3, les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés aux opérations de recherche scientifique et technique sont au nombre des dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt. Aux termes de l’article 49 septies G de l’annexe III au code général des impôts, pris pour l’application de ces dispositions :  » Le personnel de recherche comprend : / 1. Les chercheurs qui sont les scientifiques ou les ingénieurs travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes ou de systèmes nouveaux. (…) 2. Les techniciens, qui sont les personnels travaillant en étroite collaboration avec les chercheurs, pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental. / Notamment : / Ils préparent les substances, les matériaux et les appareils pour la réalisation d’expériences ; / Ils prêtent leur concours aux chercheurs pendant le déroulement des expériences ou les effectuent sous le contrôle de ceux-ci ; / Ils ont la charge de l’entretien et du fonctionnement des appareils et des équipements nécessaires à la recherche et au développement expérimental (…) « .

10. Pour l’application de ces dispositions, peuvent être qualifiés de techniciens de recherche les salariés qui réalisent des opérations nécessaires aux travaux de recherche ou de développement expérimental éligibles au crédit d’impôt recherche, sous la conduite d’un ou plusieurs chercheurs qui les supervisent, sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’ils ne disposeraient pas d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle dans le domaine scientifique.

11. La société requérante demande, dans le dernier état de ses écritures, la prise en compte, au titre des dépenses du projet  » NuWad  » que l’administration a regardé comme éligible au crédit d’impôt recherche, des rémunérations versées à MM. Baleydier, Juigné, Prêtre, Stasse, Moinard et Pham. Il résulte de l’instruction que ces personnels, placés sous l’autorité du directeur technique responsable des travaux de recherche, ont contribué à définir les besoins fonctionnels auxquels devait répondre le projet et à élaborer dans les langages informatiques adéquats les applications à construire dans le cadre du projet. Il est constant qu’ils ont réalisé des tests fonctionnels et des analyses dans le cadre de ce projet. Dès lors, ces six personnes, qui ont réalisé des opérations nécessaires aux travaux de recherche du projet  » NuWad « , doivent être qualifiées de techniciens de recherche au sens du b) du II de l’article 244 quater B du code général des impôts.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Nurun est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande de restitution de crédit d’impôt correspondant à la prise en compte des dépenses de personnel correspondant aux six personnes mentionnées au point 11.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, pour l’ensemble de la procédure, la somme de 5 000 euros à verser à la société Nurun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 29 janvier 2019 de la cour administrative d’appel de Versailles et le jugement du 26 novembre 2015 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sont annulés en tant qu’ils statuent sur la demande de restitution du crédit d’impôt recherche correspondant au projet  » NuWad « .
Article 2 : Il est accordé à la société Nurun la restitution du crédit d’impôt recherche au titre des dépenses mentionnées aux points 11 et 12 de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 5 000 euros à la société Nurun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Nurun et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:429222.20210224