Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 21/04/2021, 437922

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 janvier et 30 juillet 2020 et les 19 janvier et 17 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Sanofi-Aventis France demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 juillet 2019 par laquelle le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l’action et des comptes publics ont refusé d’inscrire sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale la spécialité Cablivi (10 mg, poudre et solvant pour solution injectable), dans l’indication de son autorisation de mise sur le marché, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la santé publique ;
– le code de la sécurité sociale ;
– le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
– l’arrêté du 3 janvier 2006 portant organisation de la direction de la sécurité sociale en sous-directions ;
– l’arrêté du 7 mai 2014 portant organisation de la direction générale de l’offre de soins en sous-directions et en bureaux ;
– le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme C… F…, auditrice,

– les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale :  » I. – L’Etat fixe, sur demande du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (…), la liste des spécialités pharmaceutiques bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché dispensées aux patients dans les établissements de santé mentionnés à l’article L. 162-22-6 qui peuvent être prises en charge, sur présentation des factures, par les régimes obligatoires d’assurance maladie en sus des prestations d’hospitalisation mentionnées au 1° du même article (…). Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments en sus des prestations d’hospitalisation mentionnées à l’article L. 162-22-6 (…) « . Le I de l’article R. 162-37 du même code précise que :  » La liste des spécialités pharmaceutiques prévue à l’article L. 162-22-7 et leurs conditions de prise en charge sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale « .

2. Il ressort des pièces du dossier que la société Sanofi-Aventis France a sollicité l’inscription sur la liste, prévue à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, des spécialités pharmaceutiques facturables en sus des prestations d’hospitalisation, dite  » liste en sus « , de la spécialité Cablivi, 10 mg poudre et solvant pour solution injectable, dans l’indication, qui est celle de son autorisation de mise sur le marché, de traitement des patients adultes présentant un épisode de purpura thrombotique thrombocytopénique acquis (PTTa) conjointement à un traitement par échanges plasmatiques (EP) et immunosuppresseurs. Par une décision du 24 juillet 2019, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l’action et des comptes publics ont refusé cette inscription, en s’appropriant les motifs de l’avis préalablement rendu par la commission de la transparence. La société Sanofi-Aventis France demande l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision, ainsi que du rejet de son recours gracieux.

Sur la compétence :

3. Aux termes de l’article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement :  » A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l’acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d’Etat et par délégation, l’ensemble des actes, à l’exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° les (…) directeurs d’administration centrale (…) / 2° les (…) sous-directeurs (…) « . Selon l’article 3 de ce même décret :  » Les personnes mentionnées aux 1° et 3° de l’article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation : (…) aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d’un niveau équivalent, qui n’en disposent pas au titre de l’article 1er « . D’une part, l’article D. 1421-2 du code de la santé publique prévoit que la direction générale de l’offre de soins  » est chargée de l’élaboration, du pilotage et de l’évaluation de la politique de l’offre de soins « . L’article 4 de l’arrêté du 7 mai 2014 portant organisation de la direction générale de l’offre de soins en sous-directions et en bureaux prévoit que la sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins  » met en oeuvre, organise et évalue l’accès aux produits de santé (…) au sein des établissements de santé « . Par suite, Mme A… B…, adjointe au sous-directeur du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins à qui la directrice générale de l’offre de soins avait donné délégation de signer, au nom du ministre des solidarités et de la santé, tous les actes relevant de ses attributions, à l’exclusion des décrets, par un arrêté du 10 décembre 2018 publié au Journal officiel de la République française du 29 décembre 2018, avait compétence pour signer, au nom du ministre chargé de la santé, l’arrêté attaqué. D’autre part, l’article 3 de l’arrêté du 3 janvier 2006 portant organisation de la direction de la sécurité sociale en sous-directions prévoit que :  » la sous-direction du financement du système de soins participe à la conception et à l’élaboration de la politique de financement de l’offre de soins et de gestion du risque maladie. (…) Elle prépare la politique de la sécurité sociale relative aux produits de santé « . Par suite, M. E… D…, nommé sous-directeur du financement du système de soins par arrêté du 6 juin 2019, publié au Journal officiel de la République française du 8 juin 2019, avait compétence pour signer, au nom des ministres chargés de la sécurité sociale, l’arrêté attaqué. Il en résulte que le moyen tiré de l’incompétence des signataires de la décision du 24 juillet 2019 doit être écarté.

Sur la légalité interne :

4. Aux termes du I de l’article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale :  » L’inscription d’une ou plusieurs indications d’une spécialité pharmaceutique bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 est subordonnée au respect de l’ensemble des conditions suivantes : / 1° La spécialité, dans la ou les indications considérées, est susceptible d’être administrée majoritairement au cours d’hospitalisations mentionnées au 1° de l’article R. 162-33-1 ; / 2° Le niveau de service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au I de l’article R. 162-37-3 est majeur ou important ; / 3° Le niveau d’amélioration du service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au II de l’article R. 162-37-3 est majeur, important ou modéré. Il peut être mineur si l’indication considérée présente un intérêt de santé publique et en l’absence de comparateur pertinent. Il peut être mineur ou absent lorsque les comparateurs pertinents sont déjà inscrits sur la liste ; / 4° Un rapport supérieur à 30 % entre, d’une part, le coût moyen estimé du traitement dans l’indication thérapeutique considérée par hospitalisation et, d’autre part, les tarifs de la majorité des prestations dans lesquelles la spécialité est susceptible d’être administrée dans l’indication considérée, mentionnés au 1° de l’article L. 162-22-10 et applicables l’année en cours. (…) « . L’article R. 162-37-3 du même code précise que :  » I. – L’appréciation du service médical rendu mentionné au 2° du I de l’article R. 162-37-2 prend en compte l’efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l’affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. / II. – L’appréciation de l’amélioration du service médical rendu mentionnée au 3° du I de l’article R. 162-37-2 s’appuie sur une comparaison du médicament, en termes de service médical rendu, avec tous les comparateurs pertinents au regard des connaissances médicales avérées que sont les médicaments, les produits, les actes et les prestations. / III. – Pour apprécier le service médical rendu et l’amélioration du service médical rendu il est tenu compte de l’évaluation mentionnée à l’article R. 163-18 de la commission prévue à l’article L. 5123-3 du code de la santé publique « , c’est-à-dire de la commission de la transparence.

5. Il ressort des pièces du dossier que le purpura thrombotique thrombocytopénique acquis est une forme de microangiopathie thrombotique dont le traitement standard d’un épisode repose sur l’instauration en urgence d’échanges plasmatiques associés à un traitement immunosuppresseur reposant sur une corticothéraphie souvent associée à des injections de rituximab. La spécialité Cablivi est une solution injectable, dont la substance active est le caplacizumab, administrée conjointement au traitement standard, avant le premier échange plasmatique puis de façon quotidienne à la fin de chaque échange durant toute la durée du traitement et pendant trente jours après l’arrêt des échanges plasmatiques. Dans son avis, la commission de la transparence a identifié le traitement standard comme le comparateur cliniquement pertinent de cette spécialité et a retenu une amélioration du service médical mineure ainsi qu’une absence d’impact sur la santé publique. S’appropriant ces motifs, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé l’inscription de la spécialité sur la liste prévue à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, en se fondant notamment sur la circonstance que son comparateur pertinent ne figurait pas sur cette liste et que, par suite, elle ne remplissait pas cette condition, énoncée au 3° du I de l’article R. 162-37 parmi celles, cumulatives, énumérées à cet article.

En ce qui concerne le comparateur pertinent retenu :

6. En premier lieu, l’inscription de certaines spécialités sur la liste prévue à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale est destinée à permettre leur prise en charge par les régimes obligatoires d’assurance maladie en sus des prestations d’hospitalisation prises en charge dans le cadre de forfaits de séjour et de soins établis par groupe homogène de malades, afin de favoriser l’accès aux traitements innovants et coûteux. En prévoyant au 3° du I de l’article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale qu’une spécialité peut être inscrite sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 en dépit d’une amélioration du service médical rendu mineure ou absente lorsque ses comparateurs pertinents sont déjà inscrits sur la liste, le pouvoir réglementaire a entendu s’assurer que les différences pouvant exister dans les conditions d’inscription de spécialités directement substituables, compte tenu de leur place dans la stratégie thérapeutique, ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des motifs susceptibles de les justifier. D’une part, contrairement à ce que soutient la société requérante, ces dispositions ne font pas obstacle à l’inscription d’une spécialité dont le comparateur pertinent n’est pas susceptible d’être inscrit, dès lors que cette spécialité présente une amélioration du service médical rendu au moins modérée. D’autre part, elles ne méconnaissent pas l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme, la notion de comparateur pertinent étant précisée au II de l’article R. 162-37-3 du même code. Enfin, il résulte de ces dernières dispositions que les ministres peuvent apprécier l’amélioration du service médical rendu de la spécialité en s’appuyant sur une comparaison avec tous les comparateurs pertinents, au regard des connaissances médicales avérées, que sont les médicaments, les produits, les actes et les prestations, qu’ils soient utilisés isolément ou constituent un traitement composite, et sans que la circonstance qu’un tel traitement ne soit pas susceptible d’être inscrit sur la  » liste en sus  » ne fasse obstacle à ce qu’il soit identifié comme un comparateur pertinent. Par suite, le moyen tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité des dispositions du 3° du I de l’article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale doit être écarté.

7. En deuxième lieu, le III de l’article R. 162-37-3 du code de la sécurité sociale dispose que, pour apprécier l’amélioration du service médical rendu d’un médicament dont l’inscription sur la liste prévue à l’article L. 162-22-7 est demandée, les ministres tiennent compte de l’évaluation de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé, qui identifie notamment les comparateurs cliniquement pertinents de la spécialité évaluée. Par suite, les ministres compétents n’ont entaché leur décision d’aucune illégalité en tenant compte des comparateurs cliniquement pertinents retenus par la commission de la transparence pour identifier le comparateur pertinent qu’ils ont retenu pour fonder leur appréciation. Les dispositions du III de l’article R. 162-37-3 du code de la sécurité sociale prévoyant seulement que les ministres tiennent compte de cette évaluation, sans leur imposer de s’y tenir, la société requérante ne peut utilement soutenir qu’elles seraient illégales faute de préciser les situations exceptionnelles dans lesquelles il leur serait permis de s’en écarter.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que si le rituximab est susceptible d’être administré, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché, dans le cadre du traitement standard de l’épisode de purpura thrombotique thrombocytopénique acquis, d’une part, il ne l’est qu’à titre de composite de ce traitement standard, en complément de corticoïdes dans le cadre d’un traitement immunosuppresseur, réalisé en association de séances d’échanges plasmatiques, et, d’autre part, il n’a pas fait l’objet d’une étude contrôlée randomisée permettant d’évaluer son effet dans le cadre d’un épisode de purpura thrombotique thrombocytopénique acquis. Dans ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait illégale faute d’avoir retenu le rituximab comme comparateur pertinent de la spécialité Cablivi dans son indication correspondant au traitement du purpura thrombotique thrombocytopénique acquis. La circonstance que certaines spécialités à base de rituximab soient inscrites sur la liste dite  » en sus « , pour des indications au demeurant différentes, est, à cet égard, indifférente, une telle circonstance n’ayant pas à être prise en compte pour déterminer le comparateur pertinent d’une spécialité mais seulement, après que ce comparateur pertinent a été identifié, pour déterminer si la spécialité peut être inscrite sur la liste dite  » en sus  » en dépit d’une amélioration du service médical rendu mineure ou absente.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, dès lors que la spécialité Cablivi présentait une amélioration du service médical rendu mineure et que le comparateur pertinent retenu ne figurait pas lui-même sur la liste prévue à l’article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision attaquée reposerait sur un motif illégal.

En ce qui concerne l’intérêt de santé publique :

10. L’existence d’un intérêt de santé publique n’étant de nature à permettre l’inscription d’une spécialité sur la liste prévue à l’article L. 162-22-7 du code de la santé publique qu’en l’absence de comparateur pertinent, les moyens par lesquels la société requérante conteste l’autre motif de la décision attaquée, par lequel les ministres ont écarté un tel intérêt de santé publique, ne peuvent être de nature à entraîner son annulation dès lors qu’il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que la spécialité Cablivi disposait d’un comparateur pertinent.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sanofi-Aventis France n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions qu’elle attaque.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Sanofi-Aventis France est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Sanofi-Aventis France et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:437922.20210421