Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 21/04/2021, 442194

Texte Intégral :
Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 442194, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 juillet 2020, 26 et 29 octobre 2020, 17 mars 2021 et 24 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Laboratoire GlaxoSmithKline France demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du ministre des solidarités et de la santé refusant d’abroger la restriction de prescription imposée lors de l’inscription, par deux arrêtés du 28 mai 2019 relatifs à l’inscription d’une extension d’indication des spécialités pharmaceutiques Elebrato Ellipta et Trelegy Ellipta, d’une part sur la liste prévue l’article L 162-17 du code de la sécurité sociale des spécialités remboursables aux assurés sociaux et, d’autre part, sur la liste prévue à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique des spécialités agrées à l’usage des collectivités et divers services publics ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat les frais et dépens de l’instance.

2° Sous le n° 446597, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 novembre 2020 et 24 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Laboratoire GlaxoSmithKline demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 26 octobre 2020 par lesquels le ministre de l’économie, des finances et de la relance et le ministre des solidarités et de la santé ont inscrit les spécialités pharmaceutiques Elebrato Ellipta et Trelegy Ellipta, d’une part sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux prévue à l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et, d’autre part, sur la liste des spécialités agrées à l’usage des collectivités prévue à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique, en tant qu’ils subordonnent la prise en charge de ces spécialités à une prescription initiale par un médecin pneumologue ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat les frais et dépens de l’instance.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;
– le code de la santé publique ;
– le code de la sécurité sociale ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d’assurance maladie, lorsqu’elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l’article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l’article L. 5123-2 du code de la santé publique, l’achat, la fourniture, la prise en charge et l’utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des mêmes ministres. L’inscription sur ces listes est prononcée après avis de la commission de la transparence.

2. Il ressort des pièces des dossiers que les spécialités Elebrato Ellipta 92 microgrammes/55 microgrammes/ 22 microgrammes (fluticasone, umeclidinium, vilanterol) et Trelegy Ellipta, poudres pour inhalation en récipient unidose (B/30) + inhalateur associent de façon fixe un broncho-dilatateur d’action longue, un anticholinergique d’action longue et un corticoïde inhalé. Pour leur indication initiale de traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive sévère chez les adultes traités de façon non satisfaisante par l’association d’un corticostéroïde inhalé et d’un bêta-agoniste de longue durée d’action, elles ont été inscrites sur les listes mentionnées au point 1 par deux arrêtés du 28 juin 2018 des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Le Conseil d’Etat statuant au contentieux a, par une décision du 8 novembre 2019, annulé pour excès de pouvoir l’arrêté portant inscription de la spécialité Trelegy Ellipta en tant qu’il subordonnait la prise en charge à une prescription initiale par un médecin pneumologue. Par la suite, à la demande de la société requérante, les ministres ont également abrogé cette condition en tant qu’elle s’appliquait à la prise en charge de la spécialité Elebrato Ellipta. Par quatre arrêtés du 26 octobre 2020, ces ministres ont procédé à une nouvelle inscription des spécialités Elebrato Ellipta et Trelegy Ellipta pour cette même indication initiale, en rétablissant la condition de primo-inscription par un médecin pneumologue. Entre-temps, par deux arrêtés du 28 mai 2019, ces ministres avaient inscrit les deux spécialités pour une indication étendue correspondant au traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive sévère chez les adultes traités de façon non satisfaisante par l’association d’un bêta-2 agoniste de longue durée d’action et d’un anticholinergique de longue durée d’action. La société Laboratoire GlaxoSmithKline France demande au Conseil d’Etat, par deux requêtes qu’il y a lieu de joindre, d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, le refus d’abroger les arrêtés du 28 mai 2019 et, d’autre part, les arrêtés du 26 octobre 2020, en tant qu’ils subordonnent la prise en charge des spécialités qu’elle exploite à une condition de prescription initiale par un médecin pneumologue, pour leur indication initiale et pour leur indication étendue.

Sur la légalité externe des arrêtés litigieux :

En ce qui concerne les moyens dirigés contre le refus d’abroger les arrêtés du 28 mai 2019 :

3. Si, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d’abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même et introduit avant l’expiration du délai de recours contentieux. Il suit de là que la société requérante ne peut utilement invoquer, à l’appui de sa demande d’annulation des refus d’abroger les arrêtés du 28 mai 2019, leur insuffisance de motivation ou l’irrégularité de la procédure préalable à leur édiction.

En ce qui concerne la motivation des arrêtés du 26 octobre 2020 :

4. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance-maladie :  » Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d’assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s’appuient « . L’article R. 163-14 du code de la sécurité sociale dispose que :  » Les décisions portant refus d’inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l’article L. 162-17 du présent code et à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique, refus de renouvellement de l’inscription, radiation de ces listes (…) sont communiquées à l’entreprise avec la mention des motifs de ces décisions ainsi que des voies et délais de recours qui leur sont applicables « . Il résulte de ces dispositions, interprétés conformément à la directive 89/105/CEE qu’elles transposent, que l’obligation de motivation qu’elles prévoient est applicable aux décisions qui restreignent la prise en charge d’un médicament par l’assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes mentionnées au point 1 de conditions tenant à la qualification des prescripteurs.

5. Il ressort des termes mêmes des arrêtés du 26 octobre 2020 que le choix opéré par les ministres de subordonner la prise en charge des spécialités Elebrato Ellipta et Trelegy Ellipta à une prescription initiale par un médecin pneumologue est motivé par le risque de mésusage lié à l’administration, sous forme de triple association fixe, de leurs trois composantes, se référant aux avis rendus par la commission de la transparence du 10 avril 2019 se fondant sur plusieurs études scientifiques faisant apparaître un tel risque. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les décisions d’assortir l’inscription de ces spécialités à une condition de prescription initiale par un médecin pneumologue ne sont pas suffisamment motivées.

En ce qui concerne la procédure préalable aux arrêtés du 26 octobre 2020 :

6. Les dispositions du I de l’article R. 163-13 du code de la sécurité sociale, qui prévoient que l’entreprise qui exploite un médicament peut présenter des observations écrites ou demander à être entendue par la commission de la transparence lorsque les ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé envisagent de restreindre les conditions d’inscription de ce médicaments sur les listes mentionnées au point 1 ou de l’en radier, ne s’appliquant pas à la procédure d’inscription initiale d’une spécialité sur ces listes, seule en cause en l’espèce, la société requérante ne peut utilement soutenir qu’elles auraient été méconnues lors de son audition devant la commission de la transparence. La société requérante ne saurait davantage utilement se prévaloir des stipulations de l’article 6, paragraphe 1er, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’encontre des arrêtés attaqués.

Sur la légalité interne des arrêtés litigieux :

7. En premier lieu, l’inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur celle prévue à l’article L. 5123-2 du code de la santé publique, prononcée après avis de la commission de la transparence peut, en vertu des dispositions de ces articles, au vu  » des exigences de qualité et de sécurité des soins  » mettant en oeuvre la spécialité pharmaceutique en cause, énoncées le cas échéant par cette même commission,  » être assortie de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs, l’environnement technique ou l’organisation de ces soins et d’un dispositif de suivi des patients traités  » et, s’agissant des spécialités donnant lieu à remboursement lorsqu’elles sont dispensées en officine,  » être (également) assortie de conditions particulières de prescription, de dispensation ou d’utilisation « . Les ministres ont par suite pu légalement se fonder sur un risque de mésusage, qui relève d’une exigence de qualité et de sécurité des soins, laquelle constitue un critère objectif et vérifiable au sens du paragraphe 2 de l’article 6 de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988, pour subordonner le remboursement de ces spécialités à une primo-prescription par un médecin pneumologue, quels que soient par ailleurs les termes de l’autorisation de mise sur le marché des spécialités en cause.

8. En deuxième lieu, si la Haute autorité de santé n’avait pas encore, à la date des arrêtés attaqués, recommandé, notamment dans le guide du parcours de soins qu’elle a consacré en 2014 à la bronchopneumopathie chronique obstructive, que les triples associations fixes, telles que celles en litige, fassent l’objet d’une première prescription par un médecin pneumologue, cette circonstance ne faisait pas obstacle, alors au demeurant que ces triples associations ne sont apparues sur le marché que postérieurement à l’édiction de ce guide et ont donné lieu à une actualisation de ses recommandations par cette autorité, à ce que la commission de la transparence préconise une telle condition dans son avis et à ce que les ministres la retiennent dans les arrêtés attaqués.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces des dossiers que les spécialités Elebrato Ellipta et Trelegy Ellipta sont indiquées pour le traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive sévère chez les adultes non traités de façon satisfaisante, soit par l’association d’un corticostéroïde inhalé et d’un bêta-2 agoniste de longue durée d’action, soit par l’association d’un bêta-2 agoniste de longue durée d’action et d’un anticholinergique de longue durée d’action. Elles se caractérisent par l’association fixe de trois composants, parmi lesquels figure un corticoïde inhalé. Ainsi que l’a relevé la commission de la transparence dans ses avis, cette triple association facilite l’administration de corticoïdes, y compris à des patients atteints de formes modérées de la bronchopneumopathie chronique obstructive, alors qu’elle induit un risque de pneumonie et des risques systémiques. En estimant que la prise en charge de ces spécialités devait dans ces conditions, eu égard à la sévérité de la pathologie en cause et à la place de ce traitement médicamenteux dans la stratégie thérapeutique, être limitée aux patients dont l’état de santé l’exige et en la subordonnant en conséquence à une première prescription par un médecin pneumologue, les ministres n’ont, eu égard au risque accru de prescription inadéquate pouvant être induit, en cas de première prescription par un autre médecin, par la facilité d’utilisation de cette spécialité, et alors même que cette facilité serait également susceptible d’améliorer l’observance de son traitement par le patient et que le rôle des médecins généralistes dans la prise en charge de ces patients serait encouragé, pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

10. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que la condition litigieuse serait susceptible de conduire, ainsi que l’allègue la société requérante, à une augmentation de la prescription simultanée, par les médecins généralistes, des trois composants associés dans les spécialités concernées. En outre, l’administration de l’association fixe des trois composants de ces spécialités présentant, ainsi qu’il a été dit au point précédent, des risques propres, qui les différencient de l’administration concomitante, mais en association libre, de ces trois composants, la société requérante n’est en tout état de cause pas fondée à soutenir que la condition litigieuse méconnaîtrait le principe d’égalité entre les spécialités pharmaceutiques. Elle n’est pas davantage fondée à soutenir qu’elle porterait atteinte à l’égalité entre les patients, ceux auxquels est prescrite pour la première fois une triple association fixe se trouvant en tout état de cause dans une situation différente de ceux auxquels sont prescrits de façon concomitante les trois composants d’une telle association, ou à l’égalité entre les médecins prescripteurs, ces derniers, selon qu’ils sont ou non pneumologues, ne se trouvant pas, au regard de leurs qualifications respectives, dans une situation identique.

11. En dernier lieu, il ne ressort en tout état de cause pas des pièces des dossiers que le nombre de médecins pneumologues, bien que faible sur certaines parties du territoire, se situerait à un niveau tel que la condition de primo-prescription par un tel spécialiste porterait atteinte au droit à l’accès aux soins.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Laboratoire GlaxoSmithKline France n’est pas fondée à demander l’annulation du refus d’abroger les arrêtés du 28 mai 2019 et des arrêtés du 26 octobre 2020 qu’elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu’être également rejetées.

D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Laboratoire GlaxoSmithKline sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Laboratoire GlaxoSmithKline et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée à la Haute autorité de santé et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:442194.20210421