Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 21/04/2021, 439930, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 avril et 2 juillet 2020 et le 3 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 28 octobre 2019 accordant son extradition aux autorités du Kosovo ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la convention d’extradition du 23 septembre 1970 entre la République française et la République socialiste fédérative de Yougoslavie, reprise par accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kosovo les 4 et 6 février 2013 ;
– le code pénal ;
– le code de procédure pénale ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,

– les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé l’extradition de M. B… aux autorités kosovares, sur le fondement de la convention d’extradition signée le 23 septembre 1970 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, qui continue de lier la France et le Kosovo en vertu de l’accord sous forme d’échange de lettres signé les 4 et 6 février 2013 entre la France et le Kosovo relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et l’Union de Serbie-et-Monténégro. L’extradition de M. B… a été accordée pour l’exécution d’une peine de cinq ans d’emprisonnement prononcée par la cour d’appel du Kosovo le 11 novembre 2014.

2. En premier lieu, en vertu du deuxième alinéa de l’article 9 de la convention d’extradition entre la République française et la République socialiste fédérative de Yougoslavie :  » 2. La demande d’extradition d’un individu condamné est accompagnée de l’original ou d’une expédition authentique du jugement passé en force de chose jugée « . Il ressort des pièces du dossier que si la demande d’extradition présentée par les autorités kosovares n’était accompagnée que de deux pages sur les quatre que compte le jugement rendu le 11 novembre 2014 par la cour d’appel du Kosovo en langue albanaise, cette seule circonstance ne faisait pas obstacle, en présence d’une traduction française authentifiée de l’intégralité du même jugement jointe à la demande d’extradition, à ce que les autorités françaises puissent vérifier le bien-fondé de cette demande. Au demeurant, une expédition authentique de l’intégralité du jugement de la cour d’appel du Kosovo en langue albanaise a été effectuée par les autorités kosovares le 28 septembre 2020 par voie dématérialisée, suivie le 15 janvier 2021 d’une communication par voie diplomatique. Par suite, M. B… n’est pas fondé à soutenir que le décret accordant son extradition aux autorités kosovare aurait méconnu les stipulations du deuxième alinéa de l’article 9 de la convention du 23 septembre 1970.

3. En deuxième lieu, en vertu de l’article 7 de la convention d’extradition entre la République française et la République socialiste fédérative de Yougoslavie:  » Si l’individu réclamé fait l’objet d’une décision rendue par défaut, l’extradition est accordée sous réserve que cet individu ait droit au renouvellement de la procédure pénale selon les modalités de la législation de l’Etat requérant « . Il résulte, en outre, tant des principes de l’ordre public français que des conventions internationales signées par la France qu’en matière pénale une personne condamnée par défaut doit pouvoir obtenir d’être rejugée en sa présence, sauf s’il est établi d’une manière non équivoque qu’elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B… a personnellement comparu, assisté d’un avocat, devant le tribunal de première instance de Pristina qui l’a condamné à trois années d’emprisonnement pour des faits qualifiés de viol sur mineur par un jugement du 14 juillet 2014. S’il n’a pas assisté à l’audience de la cour d’appel du Kosovo du 11 novembre 2014, qui a porté sa peine à cinq années d’emprisonnement, il ressort des mêmes pièces que M. B… y était représenté par le même avocat qu’en première instance, qu’il avait connaissance de la procédure d’appel en cours et avait été régulièrement informé de la date de l’audience. M. B…, qui ne peut ainsi être regardé comme ayant fait l’objet d’une condamnation par défaut, n’est, par suite, pas fondé à invoquer une méconnaissance des stipulations de l’article 7 de la convention d’extradition entre la République française et la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

5. En troisième lieu, il ne ressort d’aucun élément versé au dossier que la condamnation pour l’exécution de laquelle l’extradition de M. B… a été accordée aurait été prononcée au terme d’une procédure n’offrant pas les garanties du contradictoire. Par suite, le moyen tiré de ce que l’extradition du requérant aurait été accordée sans que l’administration française recherche si la décision condamnant M. B… est intervenue au terme d’une procédure contradictoire ne peut qu’être écarté.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. B… n’est pas fondé à demander l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 octobre 2019 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités kosovares. Les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être rejetées.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B… est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au garde des sceaux, ministre de la justice.

ECLI:FR:CECHR:2021:439930.20210421