Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 20/04/2021, 440342

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler la décision du 25 janvier 2018 de la Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales lui accordant une pension de retraite, en tant qu’elle ne lui reconnaît pas le bénéfice d’une majoration pour avoir élevé trois enfants. Par un jugement n° 1800807 du 9 décembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 20LY00510 du 30 avril 2020 enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la cour administrative d’appel de Lyon a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par M. A….

Par ce pourvoi, enregistré au greffe de la cour administrative d’appel de Lyon le 5 février 2020, un mémoire de régularisation et un mémoire complémentaire enregistrés les 8 juin et 4 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– le code civil ;
– le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
– la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
– le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
– le décret n° 2007-173 du 7 février 2007 ;
– la décision n° 440342 du Conseil d’Etat du 19 octobre 2020 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. A… et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 avril 2021, présentée par M. A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A… a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er février 2018 par une décision du 8 juin 2017 de la directrice de l’établissement public communal d’accueil de personnes âgées de la commune de Dijon. Aux termes d’un courrier du 25 janvier 2018, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales l’a informé de l’attribution d’une pension de retraite et lui a notifié son brevet de pension, sans toutefois lui reconnaître un droit à majoration pour avoir élevé au moins trois enfants. Par un jugement du 9 décembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M. A… tendant à l’annulation de la décision lui accordant cette pension en tant qu’elle ne lui reconnaissait pas le droit à cette majoration. M. A… se pourvoit régulièrement en cassation contre ce jugement.

2. Aux termes de l’article L. 2 du code des pensions civiles et militaires de retraite :  » Ont droit au bénéfice des dispositions du présent code : / 1° Les fonctionnaires civils auxquels s’appliquent les lois n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, relatives aux titres Ier et II du statut général des fonctionnaires ; (…) « . Aux termes de l’article L. 18 du même code :  » I. – Une majoration de pension est accordée aux titulaires ayant élevé au moins trois enfants. / II. – Ouvrent droit à cette majoration : / (…) Les enfants du conjoint issus d’un mariage précédent, ses enfants naturels dont la filiation est établie et ses enfants adoptifs ; / (…) Les enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, qui justifie, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, en avoir assumé la charge effective et permanent. / III. – A l’exception des enfants décédés par faits de guerre, les enfants devront avoir été élevés pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l’âge où ils ont cessé d’être à charge au sens des articles L. 512-3 et R. 512-2 à R. 512-3 du code de la sécurité sociale. (…) « .

3. Aux termes de l’article 1er du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales :  » Les dispositions du présent décret s’appliquent aux fonctionnaires mentionnés à l’article 2 du décret n° 2007-173 du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et à leurs ayants cause « . Aux termes du premier alinéa de l’article 2 du décret du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales :  » Sont obligatoirement affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales les fonctionnaires soumis aux dispositions de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ou de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 susvisées des communes, des établissements publics de coopération intercommunale, des départements, des régions, de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de leurs établissements publics n’ayant pas le caractère industriel et commercial.  » Aux termes de l’article 24 du décret du 26 décembre 2003 :  » I. – Une majoration de pension est accordée aux titulaires ayant élevé au moins trois enfants. / II. – Ouvrent droit à cette majoration : / (…) 2° Les enfants du conjoint issus d’un mariage précédent, ses enfants naturels dont la filiation est établie et ses enfants adoptifs ; / (…) 5° Les enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, qui justifie en avoir assumé la charge effective et permanente par la production de tout document administratif établissant qu’ils ont été retenus pour l’octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l’impôt sur le revenu. / III. – A l’exception des enfants décédés par faits de guerre, les enfants devront avoir été élevés pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l’âge où ils ont cessé d’être à charge au sens des articles L. 512-3 et R. 512-2 du code de la sécurité sociale. (…) « .

4. Il ressort des énonciations non contestées du jugement attaqué que M. A… était, à la date où il a fait valoir ses droits à la retraite, attaché principal d’administration hospitalière et que ses droits ont été liquidés par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 qu’en se fondant, pour rejeter la demande de M. A…, sur les dispositions de l’article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le tribunal administratif a méconnu le champ d’application des dispositions en cause et, par suite, commis une erreur de droit. Son jugement doit, en conséquence, être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration :  » Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / 2° Infligent une sanction ; / 3° Subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; / 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ; / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l’article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d’une disposition législative ou réglementaire « .

7. La décision d’octroi initial d’une pension n’est pas au nombre des décisions visées à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. Dès lors, M. A… n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait insuffisamment motivée.

8. En second lieu, il résulte des dispositions du II de l’article 24 du décret du 26 décembre 2003 que si les enfants du concubin du titulaire d’une pension peuvent être regardés comme recueillis au foyer de ce dernier alors même que leurs parents exercent sur eux l’autorité parentale, il appartient cependant au titulaire de cette pension d’apporter la preuve qu’il a assumé la charge effective et permanente de ces enfants pendant une période d’au moins neuf ans.

9. M. A… soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu’elles imposent au titulaire d’une pension sollicitant la majoration qu’elles prévoient de justifier d’avoir assumé pendant une durée d’au moins neuf ans la charge effective et permanente des enfants de son concubin par la production de tout document administratif établissant que les enfants regardés comme recueillis au foyer ont été retenus pour l’octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l’impôt sur le revenu, alors que cette obligation n’est pas imposée au titulaire d’une pension sollicitant la même majoration pour avoir élevé, pendant la même durée, les enfants de son conjoint.

10. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi  » doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse « . Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

11. Le concubinage est défini par l’article 515-8 du code civil comme  » une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple « . A la différence des époux, les concubins ne sont légalement tenus à aucune solidarité financière à l’égard des tiers ni à aucune obligation réciproque. A l’inverse, le régime du mariage a pour objet non seulement d’organiser les obligations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d’assurer la protection de la famille. Ce régime assure aussi une protection en cas de dissolution du mariage. Par suite, si les dispositions du II de l’article 24 du décret du 26 décembre 2003 imposent au titulaire d’une pension de justifier  » avoir assumé la charge effective et permanente  » des enfants de son concubin pour obtenir le bénéfice de la majoration pour avoir élevé au moins trois enfants, alors qu’une telle obligation ne pèse pas sur le pensionné ayant élevé les enfants de son conjoint, les concubins ne sont pas placés dans la même situation que les conjoints, au regard des dépenses exposées dans la vie commune, qui bénéficient notamment aux enfants du foyer. Il suit de là que la différence de traitement résultant, dans cette mesure, de ces dispositions trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la norme.

12. Toutefois, les dispositions du II de l’article 24 du décret du 26 décembre 2003 prévoient en outre que la justification de la charge effective et permanente de l’enfant ne peut être apportée que par la production de tout document administratif établissant que les enfants du concubin ont été retenus pour l’octroi des prestations familiales ou du supplément familial de traitement ou pour le calcul de l’impôt sur le revenu. En restreignant ainsi la possibilité de pouvoir justifier avoir assumé la charge effective et permanente de l’enfant de son concubin aux seuls cas où le pensionné a, pour cet enfant, perçu les prestations familiales ou le supplément familial de traitement ou a bénéficié de l’avantage familial au titre de l’impôt sur le revenu, les dispositions du II de l’article 24 instituent entre conjoints et concubins une différence de traitement illégale. Il suit de là que les dispositions du II de l’article 24 du décret du 26 décembre 2003 méconnaissent le principe d’égalité en tant qu’elles interdisent d’établir par tout moyen avoir assumé avec son concubin la charge effective et permanente de l’enfant. M. A… est, dès lors, fondé à soutenir que, dans cette dernière mesure, ces dispositions ne peuvent lui être opposées pour le règlement du présent litige.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 11 et 12 ci-dessus qu’en vue d’obtenir l’attribution de la majoration de pension prévue au I de l’article 24 du décret du 26 décembre 2003, il incombait à M. A…, dont il est constant qu’il a eu deux enfants avec sa concubine, Mme C…, et les a élevés pendant neuf ans, de justifier par tout moyen avoir assumé la charge effective et permanente du fils de cette dernière pendant la même durée. Toutefois, il résulte de l’instruction que M. A… ne produit au soutien de sa demande que des attestations de sa participation à l’éducation de l’enfant formulées en termes vagues, la copie d’une carte  » famille nombreuse  » de la SNCF, une déclaration en vue du rattachement des membres de la famille des assurés pour le bénéfice de l’assurance maladie et maternité, un contrat de location conventionné, ainsi que des factures d’électricité et de gaz établies au nom du couple mais sans apporter la preuve qu’il ait participé au règlement de ces dépenses. Dès lors, M. A… n’établit pas avoir assumé avec Mme C… la charge effective et permanente du fils de cette dernière pendant au moins neuf ans.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 25 janvier 2018 de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales en tant qu’elle ne lui accorde pas le bénéfice d’une majoration de pension pour avoir élevé trois enfants. Par suite, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 9 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. A… devant ce tribunal est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A… est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et à la Caisse des dépôts et consignations.
Copie en sera adressée au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:440342.20210420