Vu la procédure suivante :
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l’article L. 52-15 du code électoral, de sa décision du 28 février 2022 par laquelle elle a rejeté le compte de campagne de Mme D… B… et de M. A… C…, binôme de candidats à l’élection départementale qui s’est tenue les 20 et 27 juin 2021 dans la circonscription de Sedan-3. Par un jugement no 2200554 du 17 juin 2022, ce tribunal, après avoir jugé que la commission avait rejeté à bon droit le compte de campagne de Mme B… et de M. C…, a déclaré ces derniers, à l’article 2 de son jugement, inéligibles à toutes élections pour une durée de six mois à compter de la date à laquelle ce jugement sera devenu définitif.
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme B… et M. C… demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la saisine de la CNCCFP ;
3°) de fixer le montant de leur remboursement forfaitaire à la somme de 350 euros portant intérêts à taux légal ;
4°) à titre subsidiaire, de dire qu’il n’y a pas lieu de les déclarer inéligibles ;
5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code électoral ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Le binôme formé par Mme B… et M. C…, candidats dans le canton de Sedan-3 aux élections départementales qui se sont tenues les 20 et 27 juin 2021, a obtenu 24,24 % des voix au premier tour. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), ayant prononcé par une décision du 28 février 2022 le rejet de leur compte de campagne au motif qu’il ne comportait pas leurs signatures, a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, en application de l’article L. 52-15 du même code. Par un jugement du 17 juin 2022, ce tribunal, après avoir jugé que le compte de campagne avait été à bon droit rejeté, a déclaré Mme B… et M. C… inéligibles à toutes élections pour une durée de six mois à compter de la date à laquelle ce jugement serait définitif. Ces derniers en relèvent appel.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D’une part, il résulte des dispositions des articles L. 191, L. 210-1 et L. 221 du code électoral dans leur version issue de la loi du 16 janvier 2015 que le législateur a instauré un mode de scrutin majoritaire binominal à deux tours sans panachage ni vote préférentiel, afin d’assurer la parité au sein des conseils départementaux, et a retenu le principe de solidarité des candidats d’un même binôme. Cette solidarité conduit à ce que les membres d’un même binôme soient tous les deux déclarés inéligibles en cas de méconnaissance des règles relatives au financement des campagnes électorales. Par suite, elle impose que chaque membre soit mis en cause devant le juge de l’élection lorsque celui-ci se trouve saisi par la CNCCFP en application de l’article L. 52-15 du code électoral.
3. En l’espèce, ainsi qu’en attestent les accusés de réception versés au dossier dématérialisé de la procédure devant le tribunal, Mme B… et M. C…, qui avaient du reste tous deux la qualité de partie, se sont vu, contrairement à ce qu’ils soutiennent, notifier individuellement l’acte de saisine de la commission par pli recommandé avec accusé de réception le 17 mars 2022.
4. D’autre part, pour juger que la commission avait, à bon droit, prononcé le rejet du compte de campagne de Mme B… et M. C…, le tribunal a estimé que la seule production, en cours d’instance, d’une photographie du compte de campagne signé par les deux candidats était insuffisante pour apporter la preuve que le défaut de signature avait été régularisé devant la commission. En statuant ainsi, il a suffisamment motivé son jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
S’agissant du rejet du compte de campagne :
5. Aux termes de l’article L. 52-12 du code électoral : » I.- Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l’article L. 52-11 est tenu d’établir un compte de campagne lorsqu’il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou s’il a bénéficié de dons de personnes physiques conformément à l’article L. 52-8 et selon les modalités prévues à l’article 200 du code général des impôts. / Pour la période mentionnée à l’article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection par le candidat ou le candidat tête de liste ou pour son compte, à l’exclusion des dépenses de la campagne officielle. (…) / II.- Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes, notamment d’une copie des contrats de prêts conclus en application de l’article L. 52-7-1 du présent code, ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte (…) ». Aux termes de l’article L. 52-15 du même code : » La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. (…) / Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n’a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l’élection. (…) « . Il découle nécessairement de ces dispositions que les candidats sont tenus de signer leur compte de campagne à la date de son dépôt afin de l’authentifier. Si un manquement à cette obligation, qui constitue une formalité substantielle, est susceptible d’être régularisé devant la commission jusqu’à ce que celle-ci se prononce sur le compte, il ne l’est pas devant le juge de l’élection.
6. Il résulte de l’instruction que Mme B… et M. C… ont déposé à la CNCCFP un compte de campagne non revêtu de leur signature. Dans le cadre de la procédure contradictoire menée devant elle, la commission a, par un courrier du 4 janvier 2022 complété par deux courriels, demandé aux candidats, outre certains éclaircissements et pièces justificatives, de procéder à la régularisation de ce dépôt en lui communiquant une nouvelle version, datée et signée, de leur compte de compagne. Dans un courrier répondant à ces demandes, lui-même ni daté ni signé, Mme B… a indiqué à la commission qu’elle entendait régulariser le défaut de signature et qu’un document figurait à cet effet en pièce jointe. La commission a néanmoins constaté que le pli par lequel ce courrier lui avait été adressé ne contenait pas la pièce prétendument jointe et a, en dépit des réponses satisfaisantes obtenues à ses autres demandes, rejeté le compte de campagne pour défaut de signature.
7. A l’appui de leur contestation de ce rejet, les appelants ne produisent aucun élément permettant d’établir qu’ils ont effectué la régularisation en cause. A cet égard, la simple mention d’une pièce jointe dans le courrier de Mme B… mentionné au point 6 ne saurait, à elle seule, en tenir lieu. Quant à la production, devant le tribunal administratif, d’une photographie non datée du compte signé par les deux membres du binôme, elle ne permet pas davantage d’établir qu’un document correspondant a été transmis à la commission avant la clôture de la phase contradictoire.
8. Par suite, Mme B… et M. C… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’ils attaquent, le tribunal a estimé que la CNCCFP avait, à bon droit, rejeté leur compte de campagne. Leurs conclusions tendant à ce que soit fixé le montant du remboursement forfaitaire ne peuvent qu’être rejetées par voie de conséquence.
S’agissant de l’inéligibilité :
9. Aux termes de l’article L. 118-3 du code électoral, dans sa version issue de la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier certaines dispositions du droit électoral : » Lorsqu’il relève une volonté de fraude ou un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l’élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / 1° Le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12 ; / (…)/ 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit./ L’inéligibilité mentionnée au présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s’applique à toutes les élections. Toutefois, elle n’a pas d’effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. / En cas de scrutin binominal, l’inéligibilité s’applique aux deux candidats du binôme. (…) « . En dehors des cas de fraude, le juge de l’élection ne peut prononcer l’inéligibilité d’un candidat sur le fondement de ces dispositions que s’il constate un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce et d’apprécier s’il s’agit d’un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s’il présente un caractère délibéré.
10. Il résulte de l’instruction que Mme B… et M. C… ont procédé au dépôt de leur compte de campagne sans satisfaire à la formalité substantielle de signature de celui-ci. S’ils soutiennent que ce défaut de signature ne procède pas d’une intention délibérée, il résulte de l’instruction, ainsi qu’indiqué au point 6, qu’ils se sont abstenus de donner suite à l’invitation à régulariser ce manquement que leur avait adressée la CCNFP. Par ailleurs, ni la faiblesse des montants inscrits sur ce compte ni l’absence ou la régularisation d’autres irrégularités ne permettent, en l’espèce, de considérer que ce manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales ne revêtirait pas un caractère délibéré. Par suite, Mme B… et M. C… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a prononcé leur inéligibilité pour une durée de six mois.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme B… et de M. C… doit être rejetée.
Sur les frais de l’instance :
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B… et M. C… est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D… B…, à M. A… C…, à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l’issue de la séance du 21 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 11 octobre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle