Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 14/10/2022, 451535, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

I° Sous le n° 451535, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 avril 2021 et 3 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, le refus implicite du ministre de l’agriculture et de l’alimentation de reconnaître aux enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé le bénéfice du dispositif de rupture conventionnelle prévu par l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et ses décrets d’application et, d’autre part, subsidiairement, le refus implicite d’adopter un décret étendant le bénéfice de ce dispositif à cette catégorie d’enseignants.

II° Sous le n° 451592, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 12 avril 2021 et le 12 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération de la formation et de l’enseignement privés CFDT demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la note de service du 4 novembre 2020 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation, relative à la mise en œuvre de la procédure de rupture conventionnelle, prévue par l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, à l’initiative des agents du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, en tant qu’elle énonce que les enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé ne bénéficient pas de ce dispositif, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé, dans la même mesure, contre cette note ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’éducation ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 ;
– la loi n° 93-935 du 22 juillet 1993 ;
– la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
– l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 ;
– le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
– le décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération de la formation et de l’enseignement privés-CFDT ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. La Fédération de la formation et de l’enseignement privés CFDT demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la note de service du 4 novembre 2020 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation, relative à la mise en œuvre de la procédure de rupture conventionnelle par l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, à l’initiative des agents du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, en tant qu’elle énonce que les enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé ne bénéficient pas de ce dispositif, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé, dans la même mesure, contre cette note. La Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique demande d’annuler pour excès de pouvoir d’une part, le refus implicite du ministre de l’agriculture et de l’alimentation de reconnaître aux enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé le bénéfice de ce dispositif de rupture conventionnelle et, d’autre part, subsidiairement, le refus implicite d’adopter un décret étendant le bénéfice de ce dispositif à cette catégorie d’enseignants.

3. D’une part, aux termes de l’article L. 813-4 du code rural et de la pêche maritime :  » Dans les établissements dont les formations sont dispensées dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 811-5, l’association ou l’organisme responsable, et lié à l’Etat par contrat, désigne le chef d’établissement qui doit détenir les titres et présenter les qualifications comparables à ceux requis dans l’enseignement agricole public. Cette désignation est aussitôt notifiée à l’autorité administrative. Le chef d’établissement détient l’autorité au sein de l’établissement. Il est associé à l’appréciation de la valeur professionnelle des enseignants et aux décisions concernant le déroulement de leur carrière. / Les personnels enseignants et de documentation de ces établissements sont nommés par le ministre de l’agriculture, après vérification de leurs titres et de leurs qualifications, sur proposition du chef d’établissement. Ils sont liés par un contrat de droit public à l’Etat, qui les rémunère directement par référence aux échelles de rémunération d’agents publics exerçant des fonctions comparables et ayant les mêmes niveaux de formation. En leur qualité d’agent public, ils ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l’Etat, liés par un contrat de travail à l’établissement au sein duquel l’enseignement leur est confié (…) « .

4. Aux termes de l’article L. 810-1 du code rural et de la pêche maritime :  » Les dispositions du code de l’éducation s’appliquent aux formations, établissements et personnels qui relèvent du ministère de l’agriculture, dans le respect du présent titre « . Aux termes de l’article L. 914-1 du code de l’éducation :  » Les règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d’activité des maîtres titulaires de l’enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient, sont applicables également et simultanément aux maîtres justifiant du même niveau de qualification, habilités par agrément ou par contrat à exercer leur fonction dans des établissements d’enseignement privés liés à l’Etat par contrat. Ces maîtres bénéficient également des mesures de promotion et d’avancement prises en faveur des maîtres de l’enseignement public (…) « .

5. D’autre part, aux termes de l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, dans sa version applicable en l’espèce :  » I. – L’administration et le fonctionnaire mentionné à l’article 2 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée, l’autorité territoriale et le fonctionnaire mentionné à l’article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 précitée et les fonctionnaires de ces établissements peuvent convenir en commun des conditions de la cessation définitive des fonctions, qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire. La rupture conventionnelle, exclusive des cas mentionnés à l’article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. / La rupture conventionnelle résulte d’une convention signée par les deux parties. La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, qui ne peut pas être inférieur à un montant fixé par décret. / La rupture conventionnelle ne s’applique pas : 1° Aux fonctionnaires stagiaires ; 2° Aux fonctionnaires ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite fixé à l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale et justifiant d’une durée d’assurance, tous régimes de retraite de base confondus, égale à la durée de services et bonifications exigée pour obtenir la liquidation d’une pension de retraite au pourcentage maximal ; 3° Aux fonctionnaires détachés en qualité d’agent contractuel. (…) Le présent I est applicable du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025. (…) III. – Les modalités d’application de la rupture conventionnelle aux agents recrutés par contrat à durée indéterminée de droit public et aux personnels affiliés au régime de retraite institué en application du décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’Etat, notamment l’organisation de la procédure, sont définies par décret en Conseil d’Etat « .

6. L’article 9 du décret du 31 décembre 2019, pris pour l’application des dispositions précitées du III de l’article 72 de la loi du 6 août 2019, a inséré un chapitre III relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans le titre XI du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat. Aux termes de l’article 1er de ce dernier décret :  » Les dispositions du présent décret s’appliquent aux agents contractuels de droit public recrutés par l’une des administrations mentionnées à l’article 2 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée en vertu des 2°, 3° et 6° de l’article 3 et des articles 4, 6, 6 bis, 6 ter, 6 quater, 6 quinquies, 6 sexies ou 6 septies de la même loi. Elles s’appliquent également aux agents contractuels de droit public recrutés sur le fondement de l’article 7 bis de la même loi. / Elles s’appliquent aux agents recrutés dans les conditions prévues à l’article 82 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et à ceux recrutés sur le fondement du I de l’article 34 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000. / Elles s’appliquent également aux agents recrutés dans les conditions prévues respectivement à l’article 14 ter de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et à l’article L. 1224-3 du code du travail « .

7. En premier lieu, il en résulte que les dispositions relatives à la rupture conventionnelle, prévues au III de l’article 72 de la loi du 6 août 2019 ainsi qu’au chapitre III du titre XI du décret du 17 janvier 1986 dans sa rédaction issue de l’article 9 du décret du 31 décembre 2019, ne sont applicables, en ce qui concerne les agents contractuels de l’Etat, qu’aux seuls agents visés par les dispositions de l’article 1er du décret du 17 janvier 1986, au nombre desquels ne figurent pas les enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé recrutés par l’Etat sur la base de contrat à durée indéterminée de droit public en application de l’article L. 813-4 du code rural et de la pêche maritime.

8. En deuxième lieu, d’une part, les dispositions de l’article L. 914-1 du code de l’éducation, qui consacrent un principe de parité notamment en ce qui concerne les conditions de cessation d’activité entre les maîtres contractuels des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association et les maîtres titulaires de l’enseignement public, impliquent que les premiers, qui sont des agents publics contractuels hors du champ de l’article 1er du décret du 17 janvier 1986, bénéficient du même dispositif de rupture conventionnelle de l’article 72 de la loi du 6 août 2019 que les fonctionnaires enseignants. D’autre part, il ressort de la rédaction initiale et des travaux préparatoires de la loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation que les dispositions de son article 28, codifiées à l’article L. 810-1 du code rural par la loi du 22 juillet 1993 relative à la partie législative du livre VIII (nouveau) du code rural et ultérieurement modifiées, à droit constant, par l’ordonnance du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l’éducation, ne rendent applicables aux enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé, dans le respect des dispositions propres à l’enseignement et à la formation professionnelle agricole, que les dispositions issues de la loi du 10 juillet 1989 et non l’ensemble des dispositions du code de l’éducation. Il s’ensuit qu’aucune disposition ne rend applicables aux enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé les dispositions de l’article L. 914-1 du code de l’éducation.

9. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé bénéficient, directement ou en application du principe de parité consacré par l’article L. 914-1 du code de l’éducation, du dispositif de rupture conventionnelle issu de l’article 72 de la loi du 6 août 2019.

10. En troisième lieu, l’article 1er du décret 17 janvier 1986 exclut les enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé comme les autres maîtres contractuels de l’enseignement privé du champ d’application du dispositif de rupture conventionnelle, prévu au III de l’article 72 de la loi du 6 août 2019 ainsi qu’au chapitre III du titre XI du même décret. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique, le pouvoir réglementaire n’a introduit aucune différence de traitement entre ces deux catégories d’enseignants.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique en tant qu’elle est dirigée contre le refus implicite du ministre de reconnaître aux enseignants contractuels de l’enseignement agricole privé le bénéfice du dispositif de rupture conventionnelle.

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la Fédération de la formation et de l’enseignement privés CFDT et non compris dans les dépens.

D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique et de la Fédération de la formation et de l’enseignement privés CFDT sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des syndicats professionnels de l’enseignement libre catholique, à la Fédération de la formation et de l’enseignement privés CFDT et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie sera transmise au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré à l’issue de la séance du 28 septembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, Mme Cécile Isidoro, conseillers d’Etat et M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Mathieu Le Coq
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin

ECLI:FR:CECHR:2022:451535.20221014