Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 14/10/2022, 462762

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

En application de l’article L. 52-15 du code électoral, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a saisi le tribunal administratif de Grenoble de la décision du 29 novembre 2021 par laquelle elle a rejeté le compte de campagne de Mme C… B… et de M. D… A…, candidats aux élections départementales qui se sont tenues les 20 et 27 juin 2021 dans la circonscription de Modane (Savoie).

Par un jugement nos 2107429, 2108544 du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré Mme B… et M. A… démissionnaires de leurs mandats de conseillers départementaux et inéligibles pour une durée d’un an.

Par une requête, enregistrée le 30 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme B… et M. A… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

3°) d’approuver leur compte de campagne et de fixer le montant du remboursement qui leur est dû à hauteur de 2 307 euros.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code électoral ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme C… B… et de M. D… A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l’instruction que, par une décision du 29 novembre 2021, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a constaté que Mme B… et M. A…, candidats élus aux élections départementales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 dans la circonscription de Modane (Savoie), ont déposé leur compte de campagne le 10 août 2021 sans visa d’un expert-comptable, avant qu’un nouveau compte, différent du précédent et revêtu du visa d’un expert-comptable, soit présenté le 20 octobre 2021. En application des dispositions de l’article L. 52-15 du code électoral, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le tribunal administratif de Grenoble qui, par un jugement du 7 mars 2022, dont Mme B… et M. A… font appel, a jugé que cette commission avait rejeté à bon droit leur compte de campagne et les a déclarés inéligibles et démissionnaires d’office de leurs mandats de conseillers départementaux pendant une durée d’un an.

Sur le rejet du compte de campagne :

2. Aux termes de l’article L. 52-12 du code électoral :  » Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l’article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d’établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l’article L. 52-4 (…). II.- Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes (…). III.- Le compte de campagne est présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables. Ce dernier met le compte de campagne en état d’examen et s’assure de la présence des pièces justificatives requises (…) « . En vertu de l’article 11 de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique,  » la date limite mentionnée au II de l’article L. 52-12 du code électoral est fixée au 17 septembre 2021 à 18 heures  » pour les élections départementales. Aux termes de l’article L 52-15 du même code :  » La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l’article L. 52-11-1./ Hors le cas prévu à l’article L. 118-2, elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes. Passé ce délai, les comptes sont réputés approuvés ./ Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n’a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l’élection./(…) .Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n’est possible qu’après l’approbation du compte de campagne par la commission. / Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission fixe alors une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine. En cas de scrutin binominal, les deux candidats présentés au sein d’un même binôme sont tenus solidairement au règlement de la créance « . Enfin, aux termes de l’article L 118-3 du code électoral :  » Lorsqu’il relève une volonté de fraude ou un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l’élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible :/ 1° Le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12 ;/ 2° Le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ;/ 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. / L’inéligibilité mentionnée au présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s’applique à toutes les élections. Toutefois, elle n’a pas d’effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. / En cas de scrutin binominal, l’inéligibilité s’applique aux deux candidats du binôme. / Si le juge de l’élection a prononcé l’inéligibilité d’un candidat ou des membres d’un binôme proclamé élu, il annule son élection ou, si l’élection n’a pas été contestée, déclare le candidat ou les membres du binôme démissionnaires d’office « .

3. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 52-15 du code électoral que la procédure par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve, rejette ou réforme les comptes de campagne des candidats aux élections revêt un caractère contradictoire. Il incombe, à ce titre, à la Commission d’informer les candidats des motifs pour lesquels elle envisage de rejeter leur compte, sans qu’elle soit tenue de les inviter à régulariser les manquements constatés. Lorsque la Commission envisage de rejeter un compte au motif que celui-ci n’a pas été présenté par un membre de l’ordre des experts comptables et des comptables agréés, en violation des dispositions de l’article L. 52-12 du code électoral, le candidat a la faculté de régulariser ce manquement tant que la Commission n’a pas statué. Sont régularisables, dans les mêmes conditions, l’inscription erronée au compte de campagne des frais d’impression ou de reproduction et d’affichage remboursés par l’Etat en application de l’article R. 39 du code électoral, ainsi que des mentions ou défauts de mention de dépenses présentant un caractère modique lorsqu’il en est justifié devant la Commission.

4. Il résulte de l’instruction que la Commission a rejeté le compte de campagne de Mme B… et M. A… présenté par un expert-comptable le 20 octobre 2021, soit avant qu’elle ne statue, au motif qu’il existait des différences substantielles entre ce compte et celui déposé sans visa d’un expert-comptable le 10 août 2021. Toutefois, il résulte également de l’instruction que ces différences s’expliquaient, d’une part, par l’inscription erronée dans le premier compte d’une somme de 2 827,32 euros correspondant à des frais d’impression remboursés par l’Etat en application de l’article R. 39 du code électoral et, d’autre part, par l’inscription dans le second compte d’une somme de 9 euros au titre des frais financiers et la suppression, dans ce même compte, d’une modique somme de 208,12 euros correspondant à des frais de réception et d’hébergement pour lesquels les candidats ne disposaient plus des justificatifs. Dès lors, les appelants sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’ils attaquent, le tribunal administratif de Grenoble a jugé que leur compte de campagne avait été rejeté à bon droit. Par suite, c’est également à tort que le tribunal administratif les a déclarés démissionnaires d’office de leurs mandats de conseillers départementaux et inéligibles à de telles fonctions pendant une durée d’un an.

Sur le montant du remboursement des dépenses électorales :

5. Aux termes du second alinéa de l’article L. 118-2 du code électoral :  » Sans préjudice de l’article L. 52-15, lorsqu’il constate que la commission instituée par l’article L. 52-14 n’a pas statué à bon droit, le juge de l’élection fixe le montant du remboursement dû au candidat en application de l’article L. 52-11-1 « . Aux termes de l’article L. 52-11-1 du même code :  » Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l’article L. 52-4 est applicable font l’objet d’un remboursement forfaitaire de la part de l’État égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l’apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne (…) « .

6. Mme B… et M. A…, dont le compte n’a pas été rejeté à bon droit, ont obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés au premier tour du scrutin. Leurs dépenses électorales n’ont pas excédé le plafond légal des dépenses applicable au canton de Modane. Ils ont déposé leur compte de campagne dans le délai légal. Ils ont donc droit, en application de l’article L. 52-11-1 du code électoral cité au point précédent, à un remboursement forfaitaire égal à 47,5% du plafond légal des dépenses, lequel s’établit, pour le canton de Modane, à 13 252 euros, le remboursement ne pouvant toutefois excéder le montant des dépenses réglées sur l’apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. Les dépenses de Mme B… et M. A… réglées sur leur apport personnel se sont élevées à 2 307 euros. Ainsi, c’est à cette somme que doit être fixé le montant du remboursement forfaitaire auquel ont droit Mme B… et M. A….

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 mars 2022 est annulé.
Article 2 : La saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est rejetée et l’élection de Mme B… et de M. A… est validée.
Article 3 : Le montant du remboursement dû par l’Etat à Mme B… et à M. A… en application de l’article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à 2 307 euros.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C… B…, M. D… A… et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l’issue de la séance du 28 septembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, Mme Cécile Isidoro, conseillers d’Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 14 octobre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin

ECLI:FR:CECHR:2022:462762.20221014