Les maires ne peuvent prendre une décision imposant le port du masque dans leur commune, la loi d’urgence du 23 mars 2020 a confié à l’État la responsabilité d’édicter les mesures générales ou individuelles de lutte contre le covid-19, en vue, notamment, d’assurer leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire.

CE, juge des réf., COMMUNE DE SCEAUX 17 avr. 2020, n° 440057.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 440057
ECLI:FR:CEORD:2020:440057.20200417
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP DE NERVO, POUPET, avocats

Lecture du vendredi 17 avril 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La Ligue des droits de l’homme a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 6 avril 2020 par lequel le maire de Sceaux a subordonné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal. Par une ordonnance n° 2003905 du 9 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Sceaux demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée par la Ligue des droits de l’homme devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

3°) de mettre à la charge de la Ligue des droits de l’homme la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– l’ordonnance attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle statue sur la condition d’urgence, non au regard des exigences posées par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, mais au regard de celles de l’article L. 521-1 du même code, relatives au référé suspension ;
– elle est entachée d’une erreur de droit ou, à tout le moins, d’une insuffisance de motivation en ce qu’elle retient que la condition d’urgence se trouvait remplie au seul motif que l’arrêté contesté aurait porté une atteinte grave et immédiate à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle ;
– elle est entachée d’une erreur de droit ou, à tout le moins, d’une dénaturation des pièces du dossier en ce qu’elle retient que l’arrêté contesté porte une atteinte grave à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle ;
– elle est entachée d’une erreur de droit, faute pour le juge des référés d’avoir procédé, dans son appréciation de l’urgence, à la balance des intérêts en présence, comme l’y invitait la commune de Sceaux ;
– il n’est porté aucune atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
– le juge des référés a dénaturé les pièces du dossiers et statué aux termes de considérations inopérantes en estimant que la commune de Sceaux ne justifiait pas de circonstances locales susceptibles de fonder l’arrêté contesté, alors que l’existence d’une concentration de la population dans un lieu unique et le fort pourcentage de personnes âgées à Sceaux constituent de telles circonstances ;
– l’arrêté contesté est nécessaire, adapté et proportionné à l’objectif poursuivi de protection de la santé publique, tant dans son champ d’application territorial que temporel ;
– en tout état de cause, le maire n’avait pas à justifier de circonstances locales particulières dès lors que la situation constitue un péril grave ou imminent au sens de l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales ;
– en toute hypothèse, en présence de circonstances exceptionnelles, le maire de la commune de Sceaux était compétent, en tant qu’autorité de police générale, pour prendre des mesures plus contraignantes que celles prescrites par l’autorité titulaire d’une police spéciale pour faire face à un péril grave ;
– le régime de police spéciale mis en place par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ne fait pas obstacle à la compétence du maire, au titre de ses pouvoirs de police administrative générale, pour adopter des mesures plus protectrices de la santé publique que celles adoptées sur l’ensemble du territoire national, dès lors qu’il fait état de circonstances locales de nature à justifier son intervention ;
– il n’est porté aucune atteinte, d’une part, à la liberté de circulation dès lors que le port d’une protection quelle qu’elle soit, n’empêche personne de circuler à tout moment de la journée dans toute la commune, et d’autre part, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté du commerce et de l’industrie qui peuvent s’exercer malgré le port d’une protection contre la propagation d’un virus contagieux ;
– la méconnaissance du principe d’égalité ne saurait constituer, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale et il n’est pas interdit de traiter de manière différente une commune justifiant de circonstances locales particulières.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2020, la Ligue des droits de l’Homme conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Sceaux la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que :
– la condition d’urgence est remplie ;
– le maire n’est pas compétent pour faire usage de ses pouvoirs de police générale dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire dès lors que, d’une part, l’article L. 3131-17 du code de la santé publique réserve au seul représentant de l’Etat territorialement compétent, habilité par le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé, le pouvoir de prendre des mesures tendant à la mise en oeuvre du régime d’état d’urgence sanitaire et, d’autre part, le Premier ministre n’a entendu habiliter que le seul représentant de l’Etat dans le département à prendre des mesures plus restrictives que les siennes concernant les règles de confinement de la population ;
– en tout état de cause, l’arrêté contesté, manifestement injustifié par des circonstances locales et disproportionné, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté personnelle, à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté de commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre.

Le ministre de l’intérieur a présenté des observations, enregistrées le 14 avril 2020. Il soutient que le maire n’était pas compétent pour faire usage de ses pouvoirs de police générale afin d’édicter des mesures plus restrictives que celles édictées dans le cadre du régime de police spéciale associée à l’état d’urgence sanitaire dès lors que ce pouvoir relève, selon les articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du code de la santé publique, du Premier ministre, et s’agissant de l’organisation du système de santé, du ministre chargé de la santé et des préfets sur habilitation de ces derniers.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 14 avril 2020, l’association Coronavictimes conclut à ce qu’il soit fait droit à la requête de la commune de Sceaux. Elle reprend les mêmes moyens que la commune et soutient en outre que l’absence de port du masque porte atteinte à la liberté de circulation des personnes âgées et des personnes malades qui ne peuvent se déplacer sans se mettre en danger grave.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé qui n’ont pas produit d’observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la commune de Sceaux, d’autre part, la Ligue des droits de l’Homme, le Premier ministre, le ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l’intérieur et l’association Coronavictimes ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 14 avril 2020, à 15 heures :
– Me Poupet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Sceaux ;

— Me Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ligue des droits de l’Homme ;

— Me Hannotin, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association Coronavictimes ;

— les représentants de la commune de Sceaux ;

— les représentants du ministre de l’intérieur ;

— le représentant de l’association Coronavictimes ;
à l’issue de cette audience, le juge des référés a différé la clôture de l’instruction jusqu’au 16 avril à midi, puis à 19 heures.

Le ministre de l’intérieur a produit de nouvelles observations, enregistrées au secrétariat du Conseil d’Etat le 16 avril 2020.

L’association Conoravictimes a produit un nouveau mémoire, enregistré au secrétariat du Conseil d’Etat le 16 avril 2020, qui tend aux mêmes fin que son intervention.

La commune de Sceaux a produit un nouveau mémoire, enregistré au secrétariat du Conseil d’Etat le 16 avril 2020, qui tend aux mêmes fin que sa requête.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la santé publique ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
– le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;
– le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». La liberté d’aller et venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui, constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

Sur l’intervention :

2. L’association Coronavictimes justifie d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de la commune de Sceaux. Son intervention est, par suite, recevable.

Sur le cadre juridique :

3. D’une part, la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a introduit dans le titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire, comprenant les articles L. 3131-12 à L. 3131-20. Aux termes de l’article L. 3131-12 : « L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (…) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. » Aux termes de l’article L. 3131-15, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut notamment, aux seules fins de garantir la santé publique :  » 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; 3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ; 4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ; 5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ; 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature (…) « . L’article L. 3131-16 donne compétence au ministre chargé de la santé pour » prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 « , ainsi que pour » prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° de l’article L. 3131-15. « Enfin, aux termes de l’article L. 3131-17 : » Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions./ Lorsque les mesures prévues aux 1° à 9° de l’article L. 3131-15 et à l’article L. 3131-16 doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, les autorités mentionnées aux mêmes articles L. 3131-15 et L. 3131-16 peuvent habiliter le représentant de l’Etat dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l’agence régionale de santé.  » La loi du 23 mars 2020 a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur. Par un décret du 23 mars 2020, le Premier ministre a prescrit les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

4. D’autre part, aux termes de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale (…) ». Aux termes de l’article L. 2122-2 du même code :  » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (…) ; 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure (…). « Par ailleurs, l’article L. 2215-1 du même code dispose que le représentant de l’Etat dans le département » peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publique « , sous réserve, lorsque ce droit est exercé à l’égard d’une seule commune, d’une mise en demeure préalable restée sans résultat et qu’il est » seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune et peut se substituer au maire. « 

5. Par les dispositions citées au point 3, le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation.

6. Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, cités au point 4, autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat.

Sur la demande en référé :

En ce qui concerne la condition tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

7. Par un arrêté en date du 6 avril 2020, le maire de Sceaux, sur le fondement des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, a subordonné les déplacements dans l’espace public de la commune des personnes âgées de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal. Cet arrêté prévoit qu’à défaut d’un masque chirurgical ou FFP2, « les usagers de l’espace public (…) peuvent porter une protection réalisée par d’autres procédés à la condition que ceux-ci couvrent totalement le nez et la bouche. » Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Ligue des droits de l’homme sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution de cet arrêté par une ordonnance en date du 9 avril 2020 dont la commune de Sceaux relève appel.

8. Par le décret du 23 mars 2013 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, modifié et complété à plusieurs reprises, le Premier ministre a interdit, en dernier lieu jusqu’au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile à l’exception de certains déplacements pour les motifs qu’il énumère et en évitant tout regroupement, et a habilité le représentant de l’Etat dans le département à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l’exigent. En revanche, le décret n’impose pas, à ce jour, le port de masques de protection, dans tout ou partie de l’espace public, aux personnes autorisées à se déplacer, une stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques ayant été mise en place à l’échelle nationale afin d’assurer en priorité leur fourniture aux professions les plus exposées.

9. Ainsi qu’il a été dit au point 6, l’état d’urgence sanitaire ayant été déclaré pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’usage par le maire de son pouvoir de police générale pour édicter des mesures de lutte contre cette épidémie est subordonné à la double condition qu’elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

10. Il résulte de l’instruction que, pour justifier l’obligation faite aux personnes âgées de plus de dix ans de porter lors de leurs déplacements dans l’espace public un dispositif de protection buccal et nasal, la commune de Sceaux fait valoir que sa population est plus âgée que la moyenne, avec 25 % de personnes de plus de 60 ans contre 19 % dans le reste de l’Ile-de-France selon ses dernières écritures, que les espaces verts, qui représentent le tiers de la superficie communale, ont été fermés et que les commerces alimentaires qui demeurent ouverts sont concentrés dans une rue piétonne du centre-ville dont la largeur n’excède pas quatre mètres en certains endroits, entraînant une forte affluence à certaines heures de la journée et rendant ainsi difficile le strict respect des gestes de distanciation sociale. La commune, ainsi que l’association Coronavictimes, soutiennent que le port obligatoire d’un dispositif de protection buccal et nasal limite le risque que des personnes contaminées, et en particulier des personnes asymptomatiques, propagent le virus et contaminent à leur tour des personnes vulnérables, en particulier les personnes âgées, particulièrement nombreuses à Sceaux, et que, dès lors, la mesure contestée contribue à garantir la libre circulation de ces dernières.

11. Toutefois, d’une part, ni la démographie de la commune de Sceaux ni la concentration de ses commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l’épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection. D’autre part, l’édiction, par un maire, d’une telle interdiction, à une date où l’Etat est, en raison d’un contexte qui demeure très contraint, amené à fixer des règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2 et à ne pas imposer, de manière générale, le port d’autres types de masques de protection, est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes. De plus, en laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités. Les conditions n’étaient donc manifestement pas réunies en l’espèce pour que le maire de Sceaux puisse légalement édicter une telle interdiction sur le fondement de son pouvoir de police générale.

12. Alors même que la commune de Sceaux indique avoir mis en oeuvre diverses mesures pour que tous ses habitants puissent, à terme rapproché, disposer d’un masque de protection, l’arrêté contesté, qui est d’ailleurs susceptible de concerner des personnes ne résidant pas dans la commune mais devant s’y déplacer, porte ainsi à la liberté d’aller et venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle une atteinte grave et manifestement illégale.

En ce qui concerne la condition d’urgence :

13. L’arrêté contesté porte une atteinte immédiate à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle des personnes appelées à se déplacer sur le territoire de la commune de Sceaux. Il n’apparaît pas, notamment pour les motifs exposés au point 11, qu’un intérêt public suffisant s’attache à son maintien. La condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est, par suite, également remplie.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Sceaux n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu l’exécution de l’arrêté du 6 avril 2020. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Sceaux le versement à la Ligue des droits de l’homme d’une somme de 3 000 euros au titre du même article.

O R D O N N E :

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Article 1er : L’intervention de l’association Coronavictimes est admise.

Article 2 : La requête de la commune de Sceaux est rejetée.

Article 3 : La commune de Sceaux versera à la Ligue des droits de l’homme une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Sceaux, à la Ligue des droits de l’homme, au ministre de l’intérieur et à l’association Coronavictimes.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.