Le Conseil constitutionnel valide plusieurs des dispositions de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, adoptée le samedi 9 mai 2020 mais, concernant les traitements de données à caractère personnel de nature médicale aux fins de « traçage », le Conseil décide deux censures partielles et énonce trois réserves d’interprétation, cependant que, concernant le régime des mesures de quarantaine et d’isolement, il prononce une réserve d’interprétation et une censure.

Cons. const., 11 mai 2020, n° 2020-800 DC.

Texte intégral
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, sous le n° 2020-800 DC, le 9 mai 2020, par le Président de la République.
Il a également été saisi, le même jour, par le président du Sénat.
Il a également été saisi, le 10 mai 2020, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Christophe BOUILLON, Jean-Louis BRICOUT, Luc CARVOUNAS, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Serge LETCHIMY, Mmes Josette MANIN, George PAU-LANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Joaquim PUEYO, Mme Claudia ROUAUX, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mmes Michèle VICTORY, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Jean-Félix ACQUAVIVA, Jean-Michel CLÉMENT, Paul-André COLOMBANI, Mmes Frédérique DUMAS, Sandrine JOSSO, MM. François-Michel LAMBERT et Paul MOLAC, députés.
Il a également été saisi, le même jour, par M. Patrick KANNER, Mme Éliane ASSASSI, M. Maurice ANTISTE, Mmes Cathy APOURCEAU-POLY, Viviane ARTIGALAS, Esther BENBASSA, MM. Claude BÉRIT-DÉBAT, Jacques BIGOT, Joël BIGOT, Mme Maryvonne BLONDIN, MM. Éric BOCQUET, Yannick BOTREL, Martial BOURQUIN, Michel BOUTANT, Mme Céline BRULIN, M. Thierry CARCENAC, Mme Laurence COHEN, M. Pierre-Yves COLLOMBAT, Mme Hélène CONWAY-MOURET, M. Roland COURTEAU, Mme Cécile CUKIERMAN, M. Yves DAUDIGNY, Mme Marie-Pierre de LA GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Alain DURAN, Vincent ÉBLÉ, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, MM. Fabien GAY, Hervé GILLÉ, Guillaume GONTARD, Mmes Michelle GREAUME, Nadine GRELET-CERTENAIS, Annie GUILLEMOT, Laurence HARRIBEY, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Olivier JACQUIN, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, MM. Éric KERROUCHE, Pierre LAURENT, Jean-Yves LECONTE, Mmes Claudine LEPAGE, Marie-Noëlle LIENEMANN, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Christian MANABLE, Didier MARIE, Rachel MAZUIR, Mme Marie-Pierre MONIER, MM. Franck MONTAUGÉ, Pierre OUZOULIAS, Mmes Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Christine PRUNAUD, M. Claude RAYNAL, Mme Sylvie ROBERT, MM. Pascal SAVOLDELLI, Jean-Pierre SUEUR, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Jean-Marc TODESCHINI, Jean-Louis TOURENNE, André VALLINI et Mme Sabine VAN HEGHE, sénateurs.

Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ;
– le code de la défense ;
– le code pénal ;
– le code de procédure pénale ;
– le code de la santé publique ;
– le code du travail ;
– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
– la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 10 mai 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le Président de la République, le président du Sénat, les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Le Président de la République demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions des articles 1er, 3, 5 et 11 de cette loi. Le président du Sénat demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions de ses articles 1er, 3, 5 et 11 et sur la conformité à la Constitution de ses articles 8 et 13. Les députés et sénateurs requérants contestent certaines dispositions de ses articles 3, 5 et 11. Les sénateurs contestent également la procédure d’adoption de la loi et certaines dispositions de son article 1er et de son article 9.
– Sur la procédure d’adoption de la loi :
2. Les sénateurs requérants font valoir que, en imposant, pour des raisons sanitaires, une limitation du nombre de députés présents simultanément dans l’hémicycle à soixante-quinze, selon une représentation proportionnelle des groupes, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, a empêché certains députés de participer aux débats sur la loi déférée et de défendre personnellement leurs amendements, en méconnaissance de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat et de leur droit d’amendement.
3. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ». Le premier alinéa de l’article 3 de la Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». En vertu de l’article 26 de la Constitution : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». L’article 27 de la Constitution dispose : « Tout mandat impératif est nul ». Ces dispositions imposent le respect de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat.
4. Aux termes du premier alinéa de l’article 44 de la Constitution : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement. Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ».
5. Le 21 avril 2020, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a décidé que, à compter du 28 avril 2020, en raison de la situation sanitaire, l’hémicycle réunissant les députés ne pourrait accueillir, présidents de groupe ou leurs représentants compris, que soixante-quinze députés, selon une répartition fixée à la proportionnelle des groupes politiques. Le 5 mai 2020, elle a réitéré cette règle pour l’organisation des lectures en séance publique relatives au texte dont est issue la loi déférée.
6. En tout état de cause, si les sénateurs requérants allèguent que des députés auraient été empêchés, de ce fait, de prendre part aux votes ou de présenter leurs amendements, ils ne l’établissent pas. En outre, les travaux parlementaires ne font pas état que des députés qui se seraient présentés pour participer aux débats, défendre leurs amendements ou prendre part aux votes se le seraient vu refuser. Dès lors, les griefs ne peuvent qu’être écartés.
– Sur certaines dispositions de l’article 1er :
7. Le paragraphe II de l’article 1er de la loi déférée introduit dans le code de la santé publique un article L. 3136-2 relatif aux conditions d’engagement de la responsabilité pénale en cas de catastrophe sanitaire.
8. Le Président de la République et le président du Sénat demandent au Conseil constitutionnel d’examiner la conformité de ces dispositions au principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale. Selon les sénateurs requérants, ces dispositions méconnaîtraient ce même principe dès lors qu’elles pourraient avoir pour effet d’exonérer certains « décideurs » de toute responsabilité pénale. Ils estiment également que ces dispositions sont entachées d’incompétence négative dans la mesure où elles seraient imprécises quant aux faits auxquels elles sont susceptibles de s’appliquer et quant à la nature des moyens à la disposition de l’auteur des faits devant être pris en compte pour apprécier sa responsabilité.
9. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente.
10. Le législateur tient de l’article 34 de la Constitution l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale.
11. Selon les troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du code pénal, il y a délit non intentionnel « lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. –  Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».
12. En application de l’article L. 3136-2 du code de la santé publique, l’article 121-3 du code pénal est applicable « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
13. Les dispositions contestées ne diffèrent donc pas de celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale. Elles ne sont pas non plus entachées d’incompétence négative. Dans la mesure où elles ne contreviennent à aucune autre exigence constitutionnelle, elles sont donc conformes à la Constitution.
– Sur les dispositions de l’article 3 relatives aux transports, aux établissements recevant du public, aux lieux de réunion et aux réquisitions :
14. Les 2° à 4° de l’article 3 modifient les 1°, 5° et 7° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, qui permettent au Premier ministre, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, de prendre certaines mesures de réglementation des transports, des établissements recevant du public et des lieux de réunion et d’ordonner des réquisitions.
15. Le président du Sénat demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité de ces dispositions à la liberté personnelle. Les sénateurs requérants reprochent à ces dispositions de permettre aux pouvoirs publics de réquisitionner des personnes, même dans le cas où celles-ci ne seraient pas nécessaires à l’usage de biens ou au fonctionnement de services eux-mêmes réquisitionnés. Il en résulterait une violation de la liberté personnelle, de la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et de la liberté d’entreprendre.
16. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous … la protection de la santé ». Il en découle un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
17. La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, la liberté d’entreprendre qui découle de cet article 4, ainsi que le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de cette déclaration.
18. Le 1° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique permet au Premier ministre de réglementer ou d’interdire la circulation des personnes et des véhicules et de réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage. Ces dispositions portent atteinte à la liberté d’aller et de venir.
19. Le 5° du même paragraphe autorise le Premier ministre à ordonner la fermeture provisoire et à réglementer l’ouverture des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion. Ces dispositions portent atteinte à la liberté d’entreprendre et, en ce qu’elles restreignent la liberté de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions.
20. Le 7° du même paragraphe permet au Premier ministre d’ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire.
21. En premier lieu, les mesures mentionnées ci-dessus ne peuvent être prononcées que lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré. Celui-ci ne peut être déclaré, en vertu de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, qu’« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Ensuite, en vertu de l’article L. 3131-14 du même code, ces mesures cessent d’avoir effet au plus tard en même temps que prend fin l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci, déclaré par décret en conseil des ministres, doit, au-delà d’un délai d’un mois, être prorogé par une loi qui en fixe la durée, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19. Enfin, en vertu du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 3131-15, les mesures contestées ne peuvent être prises qu’aux seules fins de garantir la santé publique. Selon le paragraphe III du même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.
22. En second lieu, d’une part, en application du 5° du paragraphe I de l’article L. 3131-15, les mesures relatives aux établissements recevant du public et aux lieux de réunion, lesquels ne s’étendent pas aux locaux à usage d’habitation, doivent se concilier avec la préservation de l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité. D’autre part, les réquisitions de personnes, de biens et de services permises par le 7° du même paragraphe I doivent être « nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ». En outre, ces réquisitions donnent lieu à indemnisation, dans les conditions prévues par le code de la défense.
23. Il résulte de ce qui précède que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a procédé à une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.
24. Par conséquent, les 1°, 5° et 7° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
– Sur les dispositions des articles 3 et 5 relatives aux mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement :
25. Le 5° de l’article 3 et l’article 5 modifient les articles L. 3131-15 et L. 3131-17 du code de la santé publique afin de préciser le champ d’application et le régime des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement susceptibles d’être ordonnées en cas d’état d’urgence sanitaire.
26. Le Président de la République demande au Conseil constitutionnel d’examiner la conformité des deux premières dispositions à la Constitution.
27. Le président du Sénat demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité de ces dispositions à la liberté d’aller et de venir, au droit de mener une vie familiale normale, au droit à un recours juridictionnel effectif ainsi qu’à l’article 66 de la Constitution.
28. Les députés requérants soutiennent que les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien à l’isolement méconnaissent la liberté d’aller et de venir et la liberté individuelle. Ils font valoir, en particulier, que la mesure de quarantaine ne bénéficie pas des mêmes garanties que celle d’isolement, en ce qu’elle n’est pas subordonnée à la production d’un certificat médical confirmant sa nécessité. Ils dénoncent également l’insuffisante effectivité du droit au recours devant le juge des libertés et de la détention, faute d’avoir prévu sa saisine automatique dans les quarante-huit heures suivant le prononcé d’une mesure de mise en quarantaine ou de placement en isolement. Ils dénoncent, en outre, l’imprécision des termes « lieux d’hébergement adapté ».
29. Les sénateurs requérants rejoignent les députés requérants dans leur critique au regard de l’article 66 de la Constitution et dénoncent l’absence d’information systématique du juge des libertés et de la détention lorsque des mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement sont ordonnées et la tardiveté de l’intervention de ce dernier.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution et du droit à un recours juridictionnel effectif :
30. Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
31. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
S’agissant de la nature des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement :
32. En application des 3° et 4° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le Premier ministre, le ministre chargé de la santé et, lorsqu’il reçoit leur habilitation, le préfet peuvent ordonner, aux seules fins de garantir la santé publique, la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées par la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire ayant justifié la déclaration de l’état d’urgence sanitaire ainsi que le placement et le maintien en isolement des personnes affectées pour une durée initiale qui ne peut excéder quatorze jours, renouvelable dans la limite d’une durée maximale d’un mois. Dans le cadre de ces mesures, le sixième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3131-15 prévoit qu’il peut être fait obligation à la personne qui en fait l’objet de ne pas sortir de son domicile ou du lieu d’hébergement où elle exécute la quarantaine ou l’isolement, sous réserve des déplacements qui lui sont spécifiquement autorisés par l’autorité administrative. Cette mesure peut également consister en un isolement complet, lequel impose une interdiction de « toute sortie ».
33. En cas d’interdiction de toute sortie, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement constituent une privation de liberté. Il en va de même lorsqu’elles imposent à l’intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour.
S’agissant de la proportionnalité de l’atteinte à la liberté individuelle :
34. En premier lieu, l’objet des mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement, tel que défini à l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005 auquel renvoient les dispositions contestées, est d’assurer la mise à l’écart du reste de la population des personnes qui en font l’objet en les soumettant à un isolement, le cas échéant complet, dans le but de prévenir la propagation de la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire. En adoptant ces dispositions, le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
35. En deuxième lieu, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement ne peuvent être prononcées et mises en œuvre que dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, selon les conditions énoncées au paragraphe 21.
36. En troisième lieu, ces mesures ne peuvent viser que les personnes ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection qui entrent sur le territoire national ou qui, déjà présentes sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution
37. En quatrième lieu, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement sont prononcées par décision individuelle motivée du préfet sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé. Cette décision mentionne les voies et délais de recours ainsi que les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention. En cas de placement en isolement, la décision, qui est subordonnée à la constatation médicale de l’infection de la personne, ne peut être prise qu’au vu d’un certificat médical. Ces mesures ne peuvent être prolongées au-delà d’un délai de quatorze jours qu’après avis médical établissant la nécessité de cette prolongation.
38. En cinquième lieu, la personne peut choisir d’effectuer la quarantaine ou l’isolement à son domicile ou dans un lieu d’hébergement adapté.
39. En dernier lieu, il est mis fin aux mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement avant leur terme lorsque l’état de santé de l’intéressé le permet.
40. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a fixé des conditions propres à assurer que ces mesures ne soient mises en œuvre que dans les cas où elles sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état des personnes affectées ou susceptibles d’être affectées par la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire.
S’agissant du contrôle des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement :
41. La liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible.
42. En premier lieu, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement peuvent faire à tout moment l’objet d’un recours par l’intéressé ou par le procureur de la République devant le juge des libertés et de la détention en vue de la mainlevée de la mesure. Le juge des libertés et de la détention, qui peut également se saisir d’office à tout moment, statue dans un délai de soixante-douze heures par une ordonnance motivée immédiatement exécutoire.
43. En second lieu, les dispositions du cinquième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3131-17 prévoient que les mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement interdisant toute sortie de l’intéressé hors du lieu où se déroule la quarantaine ou l’isolement ne peuvent se poursuivre au-delà d’un délai de quatorze jours sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le préfet, ait autorisé cette prolongation. Toutefois, aucune intervention systématique d’un juge judiciaire n’est prévue dans les autres hypothèses. Dès lors, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences de l’article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l’intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour sans l’autorisation du juge judiciaire.
44. Il résulte de tout ce qui précède que les premier et troisième à sixième alinéas du paragraphe II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique et, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le paragraphe II de l’article L. 3131-17 du même code, ne méconnaissent pas les exigences de l’article 66 de la Constitution. Ces dispositions ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir :
45. Dans le cadre des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement, outre l’interdiction de sortir, l’autorité administrative peut interdire à la personne la fréquentation de certains lieux ou catégories de lieux.
46. Toutefois, compte tenu des finalités poursuivies et des garanties qui entourent ces dispositions, telles qu’énoncées aux paragraphe 34 à 39, elles ne méconnaissent pas la liberté d’aller et de venir.
47. Il résulte de tout ce qui précède que les premier et troisième à septième alinéas du paragraphe II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique ainsi que le paragraphe II de l’article L. 3131-17 du même code, qui ne méconnaissent pas non plus le droit de mener une vie familiale normale ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont, sous la réserve énoncée au paragraphe 43 s’agissant du paragraphe II de l’article L. 3131-17, conformes à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 8 :
48. L’article 8 modifie les articles L. 3115-10 et L. 3131-1 du code de la santé publique afin d’étendre le régime de contrôle applicable aux mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement ordonnées en cas d’état d’urgence sanitaire aux mêmes mesures lorsqu’elles sont prises dans le cadre de la lutte contre la propagation internationale des maladies ou en cas de menace sanitaire grave.
49. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 42 et 43 et sous la réserve énoncée au paragraphe 43, ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées.
50. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 43, les mots « Dans les conditions prévues au II de l’article L. 3131-17 » figurant à la première phrase de l’article L. 3115-10 du code de la santé publique ainsi que la référence « L. 3131-17 » figurant au troisième alinéa de l’article L. 3131-1 du même code sont conformes à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 9 :
51. Le 1° de l’article 9 et le deuxième alinéa de son 2° insèrent un cinquième et un septième alinéas à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique afin de permettre à des agents de police judiciaire adjoints et à des agents assermentés des services de transport de constater certaines contraventions aux interdictions et obligations en vigueur pendant l’état d’urgence sanitaire.
52. Selon les sénateurs requérants, ces dispositions contreviendraient au principe de placement de la police judiciaire sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire. Les dispositions relatives aux agents des services de transport seraient également contraires au principe de légalité des délits et des peines, faute de déterminer clairement quelles infractions peuvent être verbalisées par ces agents.
53. En premier lieu, il résulte de l’article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.
54. D’une part, selon le cinquième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, la violation des interdictions ou obligations, autres que les réquisitions, édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 du même code, peut être constatée par procès-verbal par les agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du code de procédure pénale. Sont ainsi visés les fonctionnaires des services actifs de la police nationale n’ayant pas la qualité d’agent ou d’officier de police judiciaire, certains militaires volontaires et réservistes opérationnels de la gendarmerie nationale, certains membres de la réserve civile de la police nationale et les adjoints de sécurité. La prérogative ainsi reconnue à ces agents est limitée au constat des contraventions qui ne nécessite pas d’actes d’enquête de leur part.
55. D’autre part, la première phrase du septième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique se borne à permettre aux agents assermentés des exploitants de services de transport ou de leurs sous-traitants et à ceux des services internes de sécurité de la société nationale SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens de constater les contraventions sanctionnant la violation des interdictions ou obligations édictées en application du 1° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du même code en matière d’usage des services de transport ferroviaire ou guidé et de transport public routier de personnes. Cette compétence est limitée au cas où de telles contraventions sont commises dans les véhicules et emprises immobilières de ces services de transport.
56. Par conséquent, compte tenu des prérogatives ainsi confiées à ces deux catégories d’agents, les dispositions contestées ne contreviennent pas aux exigences résultant de l’article 66 de la Constitution.
57. En second lieu, les dispositions contestées n’établissant par elles-mêmes aucune infraction ni aucune peine, le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté.
58. Dès lors, le cinquième alinéa et la première phrase du septième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 11 :
59. L’article 11 organise les conditions dans lesquelles les données médicales des personnes atteintes par le covid-19 et de celles ayant été en contact avec ces dernières peuvent être partagées entre certains professionnels chargés de traiter les chaînes de contamination.
. En ce qui concerne les paragraphes I à III et V :
60. Selon les députés requérants, certaines des dispositions de cet article méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée et seraient entachées d’incompétence négative. À ce titre, ils critiquent notamment l’ampleur et la sensibilité des données recueillies, l’absence de mesure d’anonymisation, le nombre trop élevé de personnes qui auront accès à ces données et le renvoi à un décret pour fixer les règles d’habilitation pour l’accès aux données ou celles d’interconnexion des fichiers. Ils estiment que les garanties dont est entouré le dispositif sont insuffisantes, faute notamment de prévoir le consentement des personnes dont les données sont collectées et partagées ou l’exercice normal des droits d’accès, d’information et de rectification desdites données. Ils reprochent également à ces dispositions de ne pas prévoir de mécanisme permettant de mettre fin, de manière anticipée, à l’utilisation des données. Les sénateurs requérants dénoncent également la méconnaissance du droit au respect de la vie privée qui résulterait de l’ampleur de la collecte des données permise par l’article 11. Ils estiment en outre que ces dispositions, qui dérogent à l’exigence du consentement au traitement des données, tout en maintenant le droit d’opposition des personnes en cause, seraient inintelligibles.
61. Il résulte du droit au respect de la vie privée que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.
62. L’article 11 prévoit que, par dérogation à l’exigence fixée à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, les données à caractère personnel relatives à la santé des personnes atteintes par le covid-19 et des personnes en contact avec elles peuvent être traitées et partagées, sans le consentement des intéressés, dans le cadre d’un système d’information ad hoc ainsi que dans le cadre d’une adaptation des systèmes d’information relatifs aux données de santé déjà existants. La collecte, le traitement et le partage d’informations portent donc non seulement sur les données médicales personnelles des intéressés, mais aussi sur certains éléments d’identification et sur les contacts qu’ils ont noués avec d’autres personnes. Ce faisant, les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée.
63. Toutefois, en premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu renforcer les moyens de la lutte contre l’épidémie de covid-19, par l’identification des chaînes de contamination. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
64. Ensuite, la collecte, le traitement et le partage des données personnelles précitées ne peuvent être mis en œuvre que dans la mesure strictement nécessaire à l’une des quatre finalités suivantes : l’identification des personnes infectées par le covid-19, grâce à la prescription, la réalisation et la collecte des résultats des examens médicaux pertinents ainsi que la transmission des éléments probants de diagnostic clinique ; l’identification des personnes qui, ayant été en contact avec ces dernières, présentent un risque d’infection ; l’orientation des unes et des autres vers des prescriptions médicales d’isolement prophylactiques ainsi que leur accompagnement pendant et après la fin de ces mesures d’isolement ; la surveillance épidémiologique nationale et locale ainsi que la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation.
65. Enfin, le dispositif proposé exclut expressément le développement ou le déploiement d’une application informatique à destination du public et disponible sur équipement mobile permettant d’informer les personnes du fait qu’elles ont été à proximité de personnes diagnostiquées positives au covid-19.
66. En deuxième lieu, d’une part, le législateur a restreint le champ des données de santé à caractère personnel susceptibles de faire l’objet de la collecte, du traitement et du partage en cause, aux seules données relatives au statut virologique ou sérologique des personnes à l’égard du covid-19 ou aux éléments probants de diagnostic clinique et d’imagerie médicale précisés par décret en Conseil d’État pris après avis du Haut Conseil de la santé publique. D’autre part, dans le cadre des trois premières finalités mentionnées ci-dessus, les autres données à caractère personnel en cause sont celles permettant l’identification des intéressés et celles précisant les contacts qu’une personne infectée a eus, au moment où elle a pu être infectée et pendant la période où elle était susceptible de contaminer d’autres personnes. Le législateur a ainsi restreint le champ des données à caractère personnel soumises au dispositif contesté aux seules données strictement nécessaires à la poursuite des trois premières finalités mentionnées ci-dessus.
67. Pour ce qui concerne la dernière finalité, relative à la surveillance épidémiologique et la recherche contre le virus, il est prévu que les nom et prénoms des intéressés, leur numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques et leur adresse soient supprimés. Sauf à méconnaître le droit au respect de la vie privée, cette exigence de suppression doit également s’étendre aux coordonnées de contact téléphonique ou électronique des intéressés.
68. En troisième lieu, peuvent avoir accès aux données enregistrées dans le système d’information le ministre de la santé, l’Agence nationale de santé publique, un organisme d’assurance maladie, les agences régionales de santé, le service de santé des armées, les communautés professionnelles territoriales de santé, les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, les équipes de soins primaires mentionnées à l’article L. 1411-11-1 du code de la santé publique, les maisons de santé, les centres de santé, les services de santé au travail mentionnés à l’article L. 4622-1 du code du travail et les médecins prenant en charge les personnes en cause, les pharmaciens, les dispositifs d’appui à la coordination des parcours de santé complexes prévus à l’article L. 6327-1 du code de la santé publique, les dispositifs spécifiques régionaux prévus à l’article L. 6327-6 du même code, les dispositifs d’appui existants qui ont vocation à les intégrer mentionnés au paragraphe II de l’article 23 de la loi du 24 juillet 2019 mentionnée ci-dessus, ainsi que les laboratoires et services autorisés à réaliser les examens de biologie ou d’imagerie médicale pertinents sur les personnes en cause.
69. Si le champ des personnes susceptibles d’avoir accès à ces données à caractère personnel, sans le consentement de l’intéressé, est particulièrement étendu, cette extension est rendue nécessaire par la masse des démarches à entreprendre pour organiser la collecte des informations nécessaires à la lutte contre le développement de l’épidémie.
70. En revanche, sont également inclus dans ce champ, pour le partage des données, les organismes qui assurent l’accompagnement social des intéressés. Or, s’agissant d’un accompagnement social, qui ne relève donc pas directement de la lutte contre l’épidémie, rien ne justifie que la communication des données à caractère personnel traitées dans le système d’information ne soit pas subordonnée au recueil du consentement des intéressés. Dès lors, la deuxième phrase du paragraphe III de l’article 11, qui méconnaît le droit au respect de la vie privée, est contraire à la Constitution.
71. En outre, conformément au paragraphe III de l’article 11, chaque organisme n’est appelé à participer au système d’information mis en place que pour la part de ses missions susceptibles de répondre à l’une ou l’autre des finalités propres à ce système d’information et n’a accès qu’aux seules données nécessaires à son intervention. Il résulte également du paragraphe V du même article qu’un décret en Conseil d’État précisera, au sein de ces organismes, les services et personnels dont les interventions seraient, dans ce cadre, nécessaires, les catégories de données auxquelles ils auront accès, la durée de leurs accès ainsi que les règles de conservation de ces données.
72. Par ailleurs, conformément au sixième alinéa du paragraphe II de l’article 11, les agents de ces organismes ne sont pas autorisés à communiquer les données d’identification d’une personne infectée, sans son accord exprès, aux personnes qui ont été en contact avec elle. En outre, et de manière plus générale, ces agents sont soumis aux exigences du secret professionnel et ne peuvent donc, sous peine du délit prévu à l’article 226-13 du code pénal, divulguer à des tiers les informations dont ils ont connaissance par le biais du dispositif ainsi instauré.
73. Enfin, il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir des modalités de collecte, de traitement et de partage des informations assurant leur stricte confidentialité et, notamment, l’habilitation spécifique des agents chargés, au sein de chaque organisme, de participer à la mise en œuvre du système d’information ainsi que la traçabilité des accès à ce système d’information.
74. En quatrième lieu, le paragraphe V de l’article 11 autorise les organismes précités à recourir, pour l’exercice de leur mission dans le cadre du dispositif examiné, à des organismes sous-traitants précisés par décret en Conseil d’État. Toutefois, d’une part, ces sous-traitants agissent pour leur compte et sous leur responsabilité. D’autre part, pour respecter le droit au respect de la vie privée, ce recours aux sous-traitants doit s’effectuer en conformité avec les exigences de nécessité et de confidentialité mentionnées aux paragraphes 71 à 73.
75. En cinquième lieu, si les dispositions contestées de l’article 11 exemptent la collecte, le traitement et le partage des données de santé de l’obligation d’obtenir le consentement des intéressés, elles n’exemptent pas ces mêmes opérations du respect des dispositions du règlement du 27 avril 2016 mentionné ci-dessus et de la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus relatives aux principes régissant les traitements des données à caractère personnel et aux droits reconnus aux personnes dont les données sont collectées, notamment leurs droits d’accès, d’information et de rectification.
76. En sixième lieu, d’une part, le dispositif instauré par l’article 11 ne peut s’appliquer au-delà du temps strictement nécessaire à la lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19 ou, au plus tard, au-delà de six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus. D’autre part, les données à caractère personnel collectées, qu’elles soient ou non médicales, doivent, quant à elles, être supprimées trois mois après leur collecte.
77. En dernier lieu, le paragraphe V de l’article 11 prévoit que le décret d’application de la loi est pris après avis public conforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Or, en vertu de l’article 21 de la Constitution et sous réserve de son article 13, le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire à l’échelon national. Ces dispositions n’autorisent pas le législateur à subordonner à l’avis conforme d’une autre autorité de l’État l’exercice, par le Premier ministre, de son pouvoir réglementaire. Dès lors, le mot « conforme » figurant à la première phrase du paragraphe V de l’article 11 est contraire à la Constitution.
78. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 67, 73 et 74, les paragraphes I et II et le reste des paragraphes III et V de l’article 11 ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée. Ces dispositions, qui ne sont pas non plus entachées d’incompétence négative ou inintelligibles ni ne méconnaissent d’autres exigences constitutionnelles, sont, sous les mêmes réserves, conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne le paragraphe IX :
79. Le paragraphe IX de l’article 11 définit les conditions d’information des assemblées parlementaires sur les mesures prises en application de cet article.
80. La séparation des pouvoirs résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Aux termes du premier alinéa de l’article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». En vertu de l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l’exécution des lois. Le principe de la séparation des pouvoirs s’applique à l’égard du Gouvernement.
81. Le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 impose aux autorités mentionnées à cet article, c’est-à-dire au ministre chargé de la santé, à l’Agence nationale de santé publique, à un organisme d’assurance maladie et aux agences régionales de santé, de transmettre « sans délai » à l’Assemblée nationale et au Sénat « copie de tous les actes » qu’elles prennent en application de cet article. Il ajoute que les assemblées parlementaires peuvent « requérir toute information complémentaire » dans le cadre du contrôle et de l’évaluation des mesures mises en œuvre.
82. Il est loisible au législateur de prévoir des dispositions assurant l’information du Parlement afin de lui permettre, conformément à l’article 24 de la Constitution, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Toutefois, en prévoyant une transmission immédiate à l’Assemblée nationale et au Sénat d’une copie de chacun des actes pris en application de l’article 11 de la loi déférée, le législateur, compte tenu du nombre d’actes en cause et de la nature des données en jeu, a méconnu le principe de séparation des pouvoirs et les articles 20 et 21 de la Constitution. Dès lors, le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 est contraire à la Constitution.
– Sur l’article 13 :
83. L’article 13 prévoit que les dispositions du 5° de l’article 3 et celles du 3° de l’article 5 de la loi déférée modifiant le régime des mesures de quarantaine et d’isolement pouvant être prononcées en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire entrent en vigueur à compter de la publication du décret mentionné au même 3°, et au plus tard le 1er juin 2020.
84. Le président du Sénat demande au Conseil constitutionnel d’examiner la conformité de ces dispositions à l’article 66 de la Constitution, ainsi qu’à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit à un recours juridictionnel effectif.
85. L’article 13 a pour effet, à compter de l’entrée en vigueur de la loi déférée, de laisser subsister, au plus tard jusqu’au 1er juin 2020, le régime juridique actuellement en vigueur des mesures de mise en quarantaine et de placement et maintien à l’isolement en cas d’état d’urgence sanitaire.
86. Or, si le dernier alinéa de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique dans sa rédaction actuellement en vigueur prévoit que ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu et qu’il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires, le législateur n’a assorti leur mise en œuvre d’aucune autre garantie, notamment quant aux obligations pouvant être imposées aux personnes y étant soumises, à leur durée maximale et au contrôle de ces mesures par le juge judiciaire dans l’hypothèse où elles seraient privatives de liberté.
87. Dès lors, l’article 13 méconnaît la liberté individuelle. Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la conformité aux autres droits et libertés invoqués, il est donc contraire à la Constitution.
– Sur les autres dispositions :
88. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions :
– la deuxième phrase du paragraphe III de l’article 11 ;
– le mot « conforme » figurant à la première phrase du paragraphe V de l’article 11 ;
– le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 ;
– l’article 13.

Article 2. – Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
– sous la réserve énoncée au paragraphe 43, le paragraphe II de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de l’article 5 de la loi déférée ;
– sous la même réserve énoncée au paragraphe 43, les mots « Dans les conditions prévues au II de l’article L. 3131-17 » figurant à la première phrase de l’article L. 3115-10 du code de la santé publique ainsi que la référence « L. 3131-17 » figurant au troisième alinéa de l’article L. 3131-1 du même code dans leur rédaction résultant de l’article 8 de la même loi ;
– sous les réserves énoncées aux paragraphes 67, 73 et 74, les paragraphes I et II et le reste des paragraphes III et V de l’article 11 de la même loi.

Article 3. – Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
– l’article L. 3136-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi déférée ;
– les 1°, 5° et 7° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la même loi ;
– les premier et troisième à septième alinéas du paragraphe II du même article L. 3131-15 dans sa même rédaction ;
– le cinquième alinéa et la première phrase du septième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l’article 9 de la même loi.

Article 4. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 mai 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 11 mai 2020.