Il n’appartient pas au juge administratif, saisi d’une question préjudicielle en appréciation de la légalité d’un acte non réglementaire, de statuer sur la recevabilité de l’exception d’illégalité de cet acte, et notamment, pour ce faire, de déterminer, dans l’hypothèse où cet acte n’aurait pas été régulièrement notifié, si le délai raisonnable pour en demander l’annulation a expiré

CE, 2-7 chr, Procureur de la République de Marseille 29 nov. 2019, n° 429248, Lebon T.

Cf. CE, Assemblée, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763, p. 340. CE, 19 mai 2000, Mutuelle de la RTAP, n° 208545, T. pp. 858-906.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 429248
ECLI:FR:CECHR:2019:429248.20191129
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2e – 7e chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public

Lecture du vendredi 29 novembre 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un jugement en date du 28 mars 2019, enregistré le 29 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal de grande instance de Marseille a sursis à statuer sur la demande présentée par le procureur de la République de Marseille tendant à contester la délivrance le 11 mai 2015 par le greffier en chef du tribunal d’instance de Roubaix d’un certificat de nationalité française à M. A… B… et a saisi le Conseil d’Etat de la question de la légalité du décret du 22 décembre 1971 libérant M. A… B… de ses liens d’allégeance avec la France.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code civil ;
– le code de la nationalité française ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

— les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement en date du 28 mars 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a sursis à statuer dans l’instance relative à la nationalité de M. A… B… jusqu’à ce que le Conseil d’Etat ait statué sur la légalité du décret du 22 décembre 1971 en tant qu’il a libéré M. B… de ses liens d’allégeance avec la France.

2. Aux termes de l’article 91 du code de la nationalité française, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : « Perd la nationalité française, le Français même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. – Cette autorisation est accordée par décret. – Le mineur doit, le cas échéant, être autorisé ou représenté dans les conditions prévues aux articles 53 et 54 ». L’article 53 du même code dans sa rédaction alors en vigueur dispose que : « Le mineur âgé de dix-huit ans peut réclamer la qualité de Français sans aucune autorisation. / S’il est âgé de seize ans mais n’a pas atteint l’âge de dix-huit ans, le mineur ne peut réclamer la nationalité française que s’il est autorisé par celui de ses père et mère qui a l’exercice de la puissance paternelle ou, à défaut, par son tuteur, après avis conforme du conseil de famille (…) ». Selon l’article 372 du code civil, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : « Pendant le mariage, les père et mère exercent en commun leur autorité ».

3. En l’absence de prescription en disposant autrement, les conditions d’âge fixées par ces articles s’apprécient à la date de signature des décrets pris sur leur fondement. Il en résulte que, si des parents peuvent formuler au nom d’un enfant mineur une demande tendant à ce que celui-ci soit libéré de ses liens d’allégeance avec la France, le décret prononçant une telle libération ne peut, toutefois, être signé, si l’intéressé a atteint l’âge de seize ans, sans qu’il ait lui-même exprimé, avec l’accord de ceux qui exercent sur lui l’autorité parentale, une demande en ce sens et, s’il a atteint l’âge de dix-huit ans, sans qu’il ait personnellement déposé une demande à cette fin.

4. Il ressort des pièces du dossier que si M. A… B…, né le 26 novembre 1953, a sollicité alors qu’il était mineur de moins de dix-huit ans, par un courrier en date du 24 septembre 1971 dont il n’est pas établi qu’il n’en serait pas l’auteur, la libération de ses liens d’allégeance avec la France, le décret dont il conteste la légalité est intervenu le 22 décembre 1971, alors qu’il était âgé de plus de dix-huit ans. Le Premier ministre pouvait dès lors légalement, à cette dernière date, autoriser M. B… à perdre la nationalité française au vu de sa seule demande, sans qu’ait été nécessaire l’accord de ceux qui exerçaient alors sur lui l’autorité parentale.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B… n’est pas fondé à soutenir que le décret du 22 décembre 1971 est entaché d’illégalité.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Il est déclaré que l’exception d’illégalité du décret du 22 décembre 1971 soulevée par M. A… B… devant le tribunal de grande instance de Marseille n’est pas fondée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au tribunal de grande instance de Marseille, à M. A… B… et au ministre de l’intérieur.

S’agissant d’un décret de libération des liens d’allégeance, le délai raisonnable de recours, au sens de la jurisprudence Czabaj, ne saurait excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l’intéressé

CE, 2-7 chr, M. Boumrar 29 nov. 2019, n° 411145, Lebon

CE, 2-7 chr, Mme Megueddem 29 nov. 2019, n° 426372, Lebon

Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable.

S’agissant d’un décret de libération des liens d’allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l’intéressé.

Cf. CE, Assemblée, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763, p. 340.

Cf. CE, décision du même jour, Mme Megueddem, n° 426372, à publier au Recueil.

 

Texte intégral
Conseil d’État

N° 411145
ECLI:FR:CECHR:2019:411145.20191129
Publié au recueil Lebon
2e – 7e chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP JEAN-PHILIPPE CASTON, avocats

Lecture du vendredi 29 novembre 2019REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 2 juin, 4 septembre et 7 décembre 2017 et le 15 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le décret du 19 juin 1974 portant libération de ses liens d’allégeance avec la France ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Jean-Philippe Caston, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code civil ;
– le code de la nationalité française ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

— les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article 91 du code de la nationalité française, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : « Perd la nationalité française, le Français même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. – Cette autorisation est accordée par décret. – Le mineur doit, le cas échéant, être autorisé ou représenté dans les conditions prévues aux articles 53 et 54 ». L’article 53 du même code dispose que : « La qualité de Français peut être réclamée à partir de dix-huit ans. – Le mineur âgé de seize ans peut également la réclamer avec l’autorisation de celui ou de ceux qui exercent à son égard l’autorité parentale ». Aux termes de l’article 54 du même code : « Si l’enfant est âgé de moins de seize ans, les personnes visées à l’alinéa 2 de l’article précédent peuvent déclarer qu’elles réclament, au nom du mineur, la qualité de Français (…) ».

2. En l’absence de prescription en disposant autrement, les conditions d’âge fixées par ces articles s’apprécient à la date de signature des décrets pris sur leur fondement. Il en résulte que, si des parents peuvent formuler au nom d’un enfant mineur une demande tendant à ce que celui-ci soit libéré de ses liens d’allégeance avec la France, le décret prononçant une telle libération ne peut, toutefois, être signé, si l’intéressé a atteint l’âge de seize ans, sans qu’il ait lui-même exprimé, avec l’accord de ceux qui exercent sur lui l’autorité parentale, une demande en ce sens et, s’il a atteint l’âge de dix-huit ans, sans qu’il ait personnellement déposé une demande à cette fin.

3. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. S’agissant d’un décret de libération des liens d’allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l’intéressé.

4. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 19 juin 1974 portant libération des liens d’allégeance avec la France de M. A… B…, né le 12 octobre 1962, qui avait été pris à la demande de sa mère, a été contesté par ce dernier devant le Conseil d’Etat le 2 juin 2017, soit plus de trois ans après qu’il a atteint l’âge de la majorité. Par suite, en l’absence de circonstances particulières, le ministre de l’intérieur est fondé à soutenir que la requête de M. B… est irrecevable en raison de sa tardiveté et doit être rejetée. Il s’ensuit que les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

————–
Article 1er : La requête de M. B… est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au ministre de l’intérieur.

Lorsqu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges que le requérant a eu connaissance de la décision depuis plus d’un an, la requête peut être rejetée par ordonnance comme manifestement irrecevable, sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CJA), sans que le requérant soit inviter à justifier de sa recevabilité.

Délais

CE, 7-2 chr, 10 févr. 2020, n° 429343, Lebon T. Lorsque, dans l’hypothèse où l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours n’a pas été respectée, ou en l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, le requérant entend contester devant le juge une décision administrative individuelle dont il a … Continuer à lire … « Lorsqu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges que le requérant a eu connaissance de la décision depuis plus d’un an, la requête peut être rejetée par ordonnance comme manifestement irrecevable, sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CJA), sans que le requérant soit inviter à justifier de sa recevabilité. »