Avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions

1.    Le Conseil d’État a été saisi le 29 avril 2020 d’un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Ce projet a été modifié par une saisine rectificative reçue le 30 avril 2020.

2.    La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a créé, pour faire face à l’épidémie de covid-19, dans le titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique un régime d ’état d’urgence sanitaire pouvant être déclaré en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. L’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national par l’article 4 de la même loi. La déclaration permet au Premier ministre, au ministre de la santé et, s’ils y sont habilités, aux préfets, de prendre les mesures nécessaires aux seules fins de garantir la santé publique. Ces mesures peuvent notamment restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, interdire aux personnes de sortir de leur domicile, ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées, ordonner la mise à l’isolement des personnes affectées, ordonner la fermeture provisoire de catégories d’établissements recevant du public, ou encore réquisitionner des biens et des services. Ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Selon l’article L. 3131-13 du code de la santé publique la prorogation de l’état d’urgence sanitaire ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19. L’article 4 de la loi du 23 mars a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur soit jusqu’au 23 mai 2020 à minuit.

3.    Le projet de loi prolonge à compter du 24 mai 2020, l’état d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 jusqu’au 23 juillet inclus. Il comporte six articles ayant pour objet :
– de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’à cette date ;
– de modifier les dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique relatives aux mesures portant sur la réglementation de la circulation des personnes, des transports, des établissements recevant du public et de tout autre lieu de regroupement de personnes, ainsi que celles portant sur les réquisitions ;
– de préciser la portée des dispositions des articles L. 3131-15 et L. 3131-17 relatives aux mesures de quarantaine et de mise à l’isolement, réglementaires et individuelles;
– d’étendre les catégories de personnes habilitées à constater la violation des dispositions prises sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire ;
– d’autoriser la création d’un système d’information aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 ;
– de rendre applicables les dispositions du projet en outre-mer et d’assurer la coordination de certaines mesures.

4.    L’étude d’impact du projet répond globalement, dans les circonstances de la crise sanitaire et de l’urgence dans laquelle elle a été réalisée, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Ce projet de loi, dont le Conseil d’Etat propose de compléter le titre de manière à le rendre plus fidèle à son contenu, appelle de sa part les observations suivantes.

Sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet 2020 inclus

5.    La France est confrontée depuis le début du mois de mars à une crise sanitaire majeure et sans précédent causée par l’épidémie de covid-19. La première phase de l’état d’urgence sanitaire qui a reposé sur un confinement général et indifférencié de la population a permis de soulager la pression sur le système de soins et de réduire significativement la reproduction du virus. La préservation de l’état de santé de la population comme la nécessité de préserver la continuité de la vie de la Nation ont conduit le Gouvernement à envisager une seconde phase de lutte contre l’épidémie reposant sur le maintien de l’état d’urgence sanitaire associé à une sortie progressive du confinement basée sur trois principes : protéger, tester, isoler.

6.    Sur la base des informations transmises par le Gouvernement et de l’avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, en date du 28 avril 2020, prenant en compte les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire, notamment les données épidémiologiques, et l’incertitude quant à l’évolution de la situation actuelle, le Conseil d’Etat considère que la prorogation de l’état d’urgence est justifiée par la gravité de la menace que la catastrophe sanitaire continue de faire peser sur la santé de la population, au sens de l’article L. 3131-12 du code. Il estime que la durée, fixée à deux mois, de la prorogation et l’application de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, sont adaptées et proportionnées à la situation présente. Il relève que les instruments de l’état d’urgence peuvent utilement permettre la levée progressive et graduée de la mesure de confinement à domicile faite aux personnes depuis le 17 mars.

7.    Le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur les conséquences de la prorogation liées au prolongement de la durée des nombreuses mesures décidées par des ordonnances prises en application de l’article 38 de la Constitution en vue de faire face à l’épidémie de covid-19 apportant des dérogations aux dispositions légales de droit commun, notamment en matière de délais. Ces dérogations ont, dans de nombreux cas, comme terme la durée de l’état d’urgence déclaré par la loi du 23 mars que la présente loi va proroger de deux mois augmentée d’un mois. Elles étaient justifiées par la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars. Dès lors que ce confinement va être progressivement levé et que l’activité va reprendre, ces dérogations ne pourront plus se fonder sur leurs justifications initiales. Aussi le Conseil d’Etat estime-t-il que la nécessité et proportionnalité de ces dérogations doivent faire, de la part du Gouvernement, l’objet, dans les semaines qui viennent, d’un réexamen systématique et d’une appréciation au cas par cas.

Sur les modifications apportées à certaines mesures de l’état d’urgence sanitaire

8.    Le projet de loi modifie sur plusieurs points les dispositions du code de la santé publique relatives à l’état d’urgence sanitaire en vue de préciser les modalités d’application.

Le Conseil d’Etat veille à s’assurer, dans le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé (1) , que les dispositions du projet opèrent une conciliation qui ne soit pas déséquilibrée entre le risque pour la santé de la population causé par la catastrophe sanitaire et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution, notamment la liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autorité judiciaire.

Il s’est également assuré que ces dispositions respectent le droit de l’Union européenne, répondent aux exigences issues de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et sont compatibles avec les autres engagements internationaux de la France.

Réglementation des déplacements, des transports, de l’ouverture d’établissements et de tout autre lieu de regroupement de personnes, ainsi que des réquisitions

9.    Le Conseil d’Etat considère, sous réserve des améliorations de rédaction qu’il propose, que les modifications apportées par le projet de loi à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique concernant :

– la règlementation des déplacements et des transports (1° de l’article L. 3131-15) et de l’ouverture d’établissements et de tout autre lieu de regroupement de personnes (5° de l’article L. 3131-15) en vue, le cas échéant, de rendre obligatoire le port de masques de protection,

– la réquisition (7° de l’article L. 3131-15), afin de permettre la réquisition des personnes nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire, indépendamment de la réquisition de biens ou services nécessaire à leur usage et à leur fonctionnement, sont nécessaires pour d’atteindre l’objectif de prévention poursuivi. Il souligne toutefois que les décisions mettant en œuvre ces dispositions devront être adaptées, nécessaires et proportionnées, ce qu’il appartiendra, le cas échéant, au juge compétent de contrôler.

Mesures de mise en quarantaine et de placement à l’isolement

10.    Les mesures ayant pour objet la mise en quarantaine prévues au 3° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique concernent des personnes susceptibles d’être affectées. Les mesures ayant pour objet le placement et le maintien en isolement prévues au 4° du même article concernent des personnes affectées.

Avec la levée progressive de la mesure d’interdiction générale faite aux personnes de sortir de leur domicile, la lutte contre l’épidémie reposera principalement sur la responsabilisation citoyenne avec la recommandation faite aux personnes malades de s’isoler et à celles ayant été en contact avec une personne malade de se faire tester et de se confiner.

Les dispositions du projet de loi visent à préciser les cas très circonscrits dans lesquels l’autorité administrative pourra recourir à des mesures de quarantaine et de placement et de maintien en isolement contraignantes et à apporter aux conditions de leur mise en œuvre les garanties nécessaires.

11.    A cette fin le projet de loi précise, en premier lieu, les caractéristiques des régimes de la quarantaine et de la mise à l’isolement et les conditions dans lesquelles ces mesures peuvent être ordonnées par le Premier ministre.

Le Conseil d’Etat propose une rédaction qui clarifie le champ d’application de cette mesure, conformément aux objectifs du Gouvernement. Celles-ci ne peuvent être ordonnées que lors de l’entrée sur le territoire national ou lors de l’arrivée dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ou dans la collectivité de Corse, ou en provenance de l’une de ces collectivités, de personnes ayant séjourné dans une zone de circulation de l’infection. Des mesures de quarantaine ou de mise à l’isolement sont ainsi rendues possibles à l’égard de personnes venues de l’étranger mais aussi venant vers le territoire métropolitain depuis des territoires insulaires ou depuis le territoire métropolitain vers ces territoires. Afin d’assurer une application unifiée de ces mises en quarantaine et des mesures de placement à l’isolement, qui pourront être prononcées en différents points du territoire, il propose que la liste des zones de circulation de l’infection fasse l’objet d’une information publique.

Le projet de loi prévoit ensuite que la durée des mesures de quarantaine et de mise à l’isolement, les lieux dans lesquels elles peuvent se dérouler, le suivi médical dont elles s’accompagnent ainsi que les conditions particulières de leur exécution, notamment celles concernant les déplacements que les personnes qui en font l’objet peuvent le cas échéant effectuer ou à défaut, les moyens par lesquels un accès aux biens et services de première nécessité leur est garanti, sont déterminés en fonction de la nature et des modes de propagation de l’infection, après avis du comité de scientifiques mentionné à l’article L. 3131-19.

Le Conseil d’Etat propose d’ajouter que sont également déterminées les conditions dans lesquelles est assurée la poursuite de la vie familiale et sont prises en compte la situation des mineurs. Sous ces réserves, il considère que ces dispositions encadrent suffisamment les conditions dans lesquelles le Premier ministre peut ordonner de telles mesures.

Sur le plan légistique, le Conseil d’Etat suggère d’insérer ces dispositions dans l’article L. 3131-15 du code de la santé publique plutôt que dans l’article L. 3131-17 dans la mesure où il s’agit de définir, de manière générale, le champ d’application des mesures de quarantaine et de mise à l’isolement.

12.    En deuxième lieu, le projet de loi précise les conditions dans lesquelles les mesures individuelles de placement et de quarantaine sont prises par le représentant de l’État dans le département sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé.

Le Conseil d’Etat propose d’ajouter dans le projet que la décision placement à l’isolement prononcée par le représentant de l’État dans le département l’est au vu d’un certificat médical qui lui est transmis. Il considère, à l’instar de ce qui est prévu par exemple en matière d’admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat (article L. 3213-1), que la transmission de ce certificat médical est nécessaire pour permettre au préfet d’exercer sa compétence dans le respect des libertés auxquelles la mesure de placement et de maintien en isolement  d’isolement est par elle-même susceptible de porter atteinte, dès lors qu’elle est subordonnée à la constatation médicale de l’infection de la personne concernée.

13.    Le projet prévoit un régime particulier pour les mesures de quarantaine ou d’isolement dont les modalités particulières interdisent toute sortie de l’intéressé hors du lieu où ces mesures se déroulent.

Les personnes qui en font l’objet peuvent exercer un recours devant le juge des libertés et de la détention. Ces mesures ne peuvent se poursuivre au-delà de quatorze jours, sauf si la personne concernée y consent ou sauf décision du juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le représentant de l’État dans le département.

Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions satisfont aux exigences à l’article 66 de la Constitution qui impose que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, sans imposer que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Il estime que les modalités de l’intervention du juge des libertés et de la détention, la possibilité reconnue par la loi de la dispense de cette intervention si la personne y consent, sont adaptées à la nature du motif de la mesure privative de liberté et à la finalité de celle-ci.

Il propose toutefois :

– de préciser que le juge des libertés et de la détention, qui doit statuer dans les soixante-douze heures à compter de sa saisine, peut également se saisir d’office à tout moment, que le préfet doit le saisir dans les huit jours lorsqu’il demande la prolongation de la mesure et que lorsque le juge des libertés et de la détention n’a pas statué avant l’expiration du délai de quatorze jours et que la personne n’a pas, dans ce même délai, donné son consentement à la poursuite de la mesure, la mainlevée de la mesure est acquise ;

– d’apporter une limite de durée à la décision de prolongation de la quarantaine ou de l’isolement interdisant toute sortie de l’intéressé hors du lieu où la mesures se déroule, qu’il propose de fixer à un mois au total.

Les conditions d’application de ces dispositions devront être précisées par décret en Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat estime enfin nécessaire d’ajouter une disposition selon laquelle le représentant de l’État dans le département s’assure que la personne dispose de moyens de communication téléphonique ou électronique lui permettant de communiquer librement avec l’extérieur.

14.    Le Conseil d’Etat constate enfin que les mesures individuelles susceptibles d’être prises en cas de menace sanitaire grave dans les conditions prévues à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, c’est-à-dire en amont d’une éventuelle situation justifiant une déclaration d’état d’urgence sanitaire, ne sont pas entourées d’un encadrement adapté. Or, il relève que les mesures individuelles susceptibles d’être prises dans ces contextes différents peuvent être de même nature et, notamment, emporter mise en quarantaine ou placement à l’isolement et ainsi porter une même atteinte aux libertés. Il appelle dès lors l’attention du Gouvernement sur la nécessité de revoir le dispositif prévu par les articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique afin de garantir sa conformité aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.

Constatation des infractions aux mesures de l’état d’urgence sanitaire

15.    Les dispositions du projet de loi qui étendent les catégories de personnes habilitées à constater la violation des dispositions prises sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire aux agents mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du code de procédure pénale, aux agents mentionnés aux 4°, 5° et 7° du I de l’article L. 2241-1 du code des transports, et aux agents mentionnés à l’article L. 450-1 du code de commerce n’appellent d’observations de la part du Conseil d’Etat.

Création d’un système d’information aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19

16.    L’article 6 du projet autorise le ministre chargé de la santé à mettre en œuvre, dans un système d’information créé par décret en Conseil d’Etat, un partage de données à caractère personnel relatives aux personnes atteintes par le covid-19 et aux personnes ayant été en contact avec elles, aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie. Il permet également à ce ministre, ainsi qu’à l’Agence nationale de santé publique, à un organisme d’assurance maladie et aux agences régionales de santé, de partager de telles données dans les mêmes conditions et aux mêmes fins dans des systèmes d’information existants.

Les objectifs poursuivis par le Gouvernement à travers la mise en œuvre d’un tel dispositif, qui fait suite aux recommandations du Centre européen de prévention et contrôle des maladies (avis du 23 avril 2020) et, au plan national, du conseil scientifique constitué auprès du Président de la République (avis n° 6 du 20 avril 2020), sont :

– l’identification des personnes infectées, par l’organisation des examens de biologie médicale de dépistage et la collecte de leurs résultats ;

– l’identification des personnes présentant un risque d’infection, par la collecte des informations relatives aux contacts des personnes infectées et, le cas échéant, par la réalisation d’enquêtes sanitaires, en présence notamment de cas groupés ;

– l’orientation, en fonction de leur situation, des personnes infectées, et des personnes susceptibles de l’être, vers une mise à l’isolement ou en quarantaine ainsi que le suivi médical et leur accompagnement de ces personnes pendant et après la fin de ces mesures ;

– la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, ainsi que la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation.

Il ressort de l’étude d’impact ainsi que des précisions apportées par le Gouvernement que le dispositif envisagé, qui reposera sur un premier traitement ayant pour objet d’identifier les personnes infectées et sur un second traitement destiné à identifier, par des enquêtes sanitaires nécessitant des moyens humains importants, les cas-contacts et à assurer la surveillance épidémiologique, est totalement distinct du projet « Stopcovid », dont l’objectif est de permettre d’identifier les personnes en contact avec une personne infectée par une application téléchargée sur les téléphones portables des intéressés.

Le projet identifie les responsables des dispositifs dont la création est envisagée, autorise la collecte de données de santé et d’identification, énumère les finalités poursuivies, identifie les personnes et organismes susceptibles de se voir reconnaître l’accès à certaines des informations collectées. Il renvoie par ailleurs les modalités de mise en œuvre du dispositif à un décret en Conseil d’Etat après avis public de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures complémentaires relevant du domaine de la loi.

Sur la consultation de la CNIL

17.    Le paragraphe 4 de l’article 36 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit « RGPD ») prévoit que « les États membres consultent l’autorité de contrôle dans le cadre de l’élaboration d’une proposition de mesure législative devant être adoptée par un parlement national, ou d’une mesure réglementaire fondée sur une telle mesure législative, qui se rapporte au traitement ».

L’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, dispose par ailleurs que CNIL est consultée sur « tout projet de loi ou de décret ou toute disposition de projet de loi ou de décret relatifs à la protection des données à caractère personnel ou au traitement de telles données ».

Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte de ces dispositions du droit de l’Union européenne et du droit national que la consultation de la CNIL est requise sur tout projet de loi qui détermine, dans leurs caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d’un traitement ou d’une catégorie de traitements de données à caractère personnel.

Le Conseil d’Etat relève qu’en l’espèce, le projet de loi se borne à autoriser le pouvoir réglementaire à créer un ou plusieurs systèmes d’information aux fins précédemment mentionnées, sans en définir l’architecture générale, et à ne prévoir que certaines de ses modalités de mise en œuvre. En particulier, le projet renvoie à un décret en Conseil d’Etat la détermination des données qui seront accessibles aux personnes et organismes qu’il énumère ainsi que les services et personnels qui se verront reconnaître un tel accès.

Le Conseil d’Etat estime, en conséquence, que ces dispositions ne déterminent pas dans leurs caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d’un traitement ou d’une catégorie de traitements de données à caractère personnel, de sorte que la consultation préalable de la CNIL n’est requise ni sur le fondement de l’article 36.4 du RGPD ni sur celle de la loi du 6 janvier 1978.

Sur le respect du domaine de la loi

18.    Le Conseil d’Etat relève que la loi du 6 janvier 1978, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, détermine les conditions générales dans lesquelles peut être autorisé un traitement de données. La création d’un tel traitement, même lorsqu’il est mis en œuvre par une personne publique et qu’il est d’une ampleur importante, ne nécessite pas en principe l’intervention du législateur mais uniquement un acte réglementaire de l’autorité compétente (cf. par exemple, CE, 6 novembre 2019, n° 434376).

Le recours à une loi est cependant nécessaire dans l’hypothèse où le traitement envisagé ne peut être mis en œuvre sans modification d’une disposition législative qui y fait obstacle ainsi que dans celle où le traitement conduit à fixer des règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et entre ainsi dans le champ des matières que l’article 34 de la Constitution réserve à  la loi (CE, 26 octobre 2011, Association pour la Promotion de l’Image, n° 317827).

Le Conseil d’Etat, qui souligne que seules des dispositions législatives expresses peuvent autoriser, par dérogation aux dispositions de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, des personnes qui ne sont pas des professionnels participant à la prise en charge d’une personne, à avoir accès aux données de santé de cette personne protégées par le secret médical, estime que le recours à une loi est nécessaire dès lors que les systèmes d’information dont le législateur autorise la création ou l’adaptation permettront d’organiser le traitement de données en matière de santé sans que les responsables du traitement aient à recueillir au préalable, dans tous les cas, le consentement des intéressés.

Sur la conformité à l’article 2 de la Déclaration de 1789, à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux articles 6 et 9.1 du RGPD

19.    Le Conseil d’Etat rappelle que le droit au respect de la vie privée, qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, impose que « la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (Conseil constitutionnel, décision 2012-652 DC du 22 mars 2012). Il appartient à cet égard au « législateur d’instituer une procédure propre à sauvegarder le respect de la vie privée des personnes, lorsqu’est demandée la communication de données de santé susceptibles de permettre l’identification de ces personnes » (Conseil constitutionnel, décision 99-416 DC du 23 juillet 1999).

De même, pour être conforme aux exigences tirées de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit au respect de la vie privée, un traitement de données à caractère personnel doit se limiter aux données pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, ces données doivent être conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et des garanties doivent être prévues afin de protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (cf. par ex. CEDH, 22 juin 2017, Affaire Aycaguer c. France, n° 8806/12).

Enfin, l’article 5 du RGPD pose les grands principes auxquels doit se conformer tout traitement de données à caractère personnel : i) licéité, loyauté, transparence, ii) limitation des finalités, iii) minimisation des données, qui doivent être limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, iii) exactitude des données, iv) limitation de la conservation des données à une durée n’excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, v) intégrité et confidentialité des données, qui doivent être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée.

Son article 6 précise que le traitement n’est licite que si au moins une des conditions qu’il mentionne est remplie. Tel est le cas si la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques, si le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ou si le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement.

Son article 9.2 prévoit par ailleurs que, par dérogation à l’article 9.1 du règlement qui interdit les traitements des données à caractère personnel révélant des données concernant la santé, de tels traitements peuvent être autorisés dans certaines hypothèses, et en particulier si la personne concernée a donné son consentement explicite au traitement de ces données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ou si le traitement est nécessaire pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique.

Le Conseil d’Etat constate tout d’abord que le dispositif dont la création est autorisée repose sur un objectif d’intérêt général incontestable, à savoir la lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19 et, en particulier, l’identification des personnes infectées par le virus ou susceptibles de l’être, le renforcement du dépistage et l’amélioration des conditions de suivi des personnes justifiant un accompagnement médical.

Il estime, en l’état des informations qui lui ont été communiquées par le Gouvernement ainsi que des avis scientifiques sur lesquels celui-ci s’est appuyé, que les systèmes d’information autorisés sont nécessaires à la réalisation des finalités poursuivies. Il souligne cependant que cette nécessité devra être réévaluée périodiquement au vu de l’évolution de l’état de l’épidémie.

Il relève ensuite que le projet autorise l’accès à des données de santé non anonymisées ainsi collectées aux médecins prenant en charge les personnes concernées ainsi qu’à certains agents du ministère chargé de la santé, de l’Agence nationale de santé publique, du service de santé des armées, des organismes nationaux et locaux d’assurance maladie, des agences régionales de santé, des communautés professionnelles territoriales de santé, des établissements de santé, maisons de santé, des centres de santé, des laboratoires autorisés à réaliser les examens de biologie médicale de dépistage sur les personnes concernées. Il permet également à ces organismes de déléguer à d’autres organismes, déterminés par décret en Conseil d’Etat, le traitement de ces données.

Le Conseil d’Etat estime que l’accès à des données médicales par des professionnels, pour certains non médicaux, même en l’absence de consentement de l’intéressé est justifié par l’impossibilité pour les seuls professionnels médicaux de réaliser l’ensemble des nombreuses enquêtes nécessaires au dépistage et à l’identification des chaînes de transmission et cas groupés, qui implique la mobilisation de moyens humains très importants.

Il relève en outre que l’accès des laboratoires à certaines de ces données s’inscrit dans le cadre de la réalisation de tests de dépistage sur une très large échelle.

Le Conseil d’Etat estime que la possibilité pour ces organismes de confier, sous leur responsabilité, à d’autres organismes, la réalisation de ces missions ne se heurte à aucun obstacle juridique. Il appartiendra au décret en Conseil d’Etat, auquel le projet de loi renvoie, de définir le cadre légal de cette intervention, dans le respect des conditions posées par l’article 28 du RGPD, qui encadre le recours à la « sous-traitance ».

Le Conseil d’Etant considère également que l’accès de certains professionnels à des données relatives aux personnes avec lesquelles les personnes infectées ont été en contact, alors même que ces dernières n’y auraient pas préalablement consenti, est rendu nécessaire, en dépit de l’atteinte ainsi portée à la vie privée des intéressés, à la réalisation des enquêtes permettant d’identifier de nouveaux cas de contamination. Il appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la nécessité, dans les textes qui assureront la mise en œuvre ces dispositions, de garantir par des mesures particulièrement rigoureuse le respect de la vie privée et la restriction de ces accès aux plus strictes nécessités de la sécurité sanitaire.

Le Conseil d’Etat souligne en outre qu’il appartiendra au décret en Conseil d’Etat auquel renvoie le projet de loi d’écarter tout risque d’utilisation des données contenues dans les traitements de données existants à d’autres fins que les strictes nécessités médicales en lien avec la lutte contre le covid-19 et de limiter au strict nécessaire la durée de l’accès à ces informations. Le Gouvernement a précisé, à cet égard, que seules les données administratives nécessaires pour l’identification des personnes susceptibles d’être contaminées ainsi que pour la désignation des professionnels de santé qui suivent le patient et celles permettant de les joindre, contenues dans les traitements existants, pourraient être utilisées à cette fin.

Le Conseil d’Etat note enfin que le dispositif prévu revêt un caractère temporaire dans la mesure où, à l’issue de la crise sanitaire ou, au plus tard, pour une durée d’un an à compter de la publication de la loi, le traitement ne pourra plus être mis en œuvre et les données collectées devront être effacées.

Le Conseil d’Etat estime donc, sans préjudice de l’analyse de la conformité des textes mettant en œuvre les dispositions ainsi prévues aux normes juridiques supérieures, notamment au RGPD, que les conditions générales prévues par le législateur pour la mise en œuvre de ces traitements de données à caractère personnel ne portent pas, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par les articles 2 de la Déclaration de 1789 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ne méconnaissent pas les dispositions du RGPD.

Application de ces mesures en outre-mer

20.    Les dispositions du projet sur l’application de ses dispositions en outre-mer et comprenant plusieurs mesures de coordination n’appellent pas d’observations du Conseil d’Etat.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat en Commission permanente dans sa séance du 1er mai 2020.

1 Par exemple cons. 5 Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020

Pas de restriction des épandages agricoles faute de pics de pollution.

CE, juge des réf., ASSOCIATION RESPIRE 20 avril 2020, n° 440005.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air (association « RESPIRE ») demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une part, de constater la carence de l’Etat à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluante et, d’autre part, d’enjoindre au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé et, le cas échéant, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de modifier les conditions d’application de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant pour rendre obligatoire et d’application immédiate jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire, les recommandations et dispositions réglementaires fixées dans son annexe.

Elle soutient que :

– elle justifie d’un intérêt à agir ;

– la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ;

– la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– il résulte de différentes études, notamment d’une étude chinoise de 2003 ainsi que d’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ;

– la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2020, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation conclut au rejet de la requête. Il soutient, en premier lieu, qu’à défaut pour la requérante de démontrer le risque engendré par le niveau actuel de la pollution de l’air dû aux activités agricoles, aucune carence dans la réglementation des activités d’épandage ne saurait être reprochée à l’autorité administrative, en deuxième lieu, qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et, en dernier lieu, qu’il n’y a dès lors pas urgence à édicter les mesures sollicitées.

La requête a été communiquée au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre des solidarités et de la santé qui n’ont pas produit d’observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association RESPIRE et, d’autre part, le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Ont été entendu lors de l’audience publique du 16 avril 2020 à 10 heures :

– les représentants de l’association RESPIRE ;

– les représentants du ministre de l’agriculture et de l’alimentation;

et à l’issue de laquelle le juge des référés différé la clôture de l’instruction au 17 avril 2020 à 12 heures puis 14 heures.

Vu les pièces complémentaires, enregistrées le 17 avril 2020, produites par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 avril 2020, par lequel l’association RESPIRE maintient ses conclusions et ses moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code de l’environnement ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– le code de la santé publique ;

– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

– l’arrêté du 7 avril 2016 ;

– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ». Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Sur l’office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu’il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

3. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie et le droit à la protection de la santé constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

Sur les circonstances :

4. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et des étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

5. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.

Sur la demande en référé :

6. L’association RESPIRE soutient que l’Etat prend des mesures insuffisantes pour lutter contre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 dont elle considère qu’il existe de sérieuses raisons de penser qu’elles constituent un facteur aggravant de la propagation du covid 19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections en particulier respiratoires. Elle demande en conséquence au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, après avoir constaté la carence de l’Etat dans ce domaine, d’enjoindre au Premier ministre, au ministre de la santé et, le cas échéant, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de prendre les mesures nécessaires pour réglementer la pratique des épandages agricoles et des autres pratiques agricoles polluantes en vue de limiter la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 en faisant usage des dispositifs prévus par le paragraphe 4 de l’annexe de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant.

7. Aux termes de l’article 8 de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant, pris pour la transposition de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe : « Lorsqu’il est informé d’un épisode de pollution par l’organisme agréé de surveillance de la qualité de l’air, le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre les actions d’information et de recommandation, et le cas échéant les mesures réglementaires de réduction des émissions polluantes, conformément aux articles 9 à 14. / Les mesures sont adaptées, proportionnées et graduées pour tenir compte de la nature, de la durée, de l’intensité et de l’ampleur géographique de l’épisode de pollution. » Aux termes de l’article 10 du même arrêté : « En cas de dépassement prévu d’un seuil d’information et de recommandation, le représentant de l’Etat dans le département déclenche, en concertation avec l’agence régionale de santé, des actions d’information du public, des maires, des établissements de santé et établissements médico-sociaux, des professionnels concernés et des relais adaptés à la diffusion de cette information, ainsi que des diffusions de recommandations sanitaires et de recommandations visant à limiter les émissions des polluants atmosphériques concernés ou de leurs précurseurs. / Il renforce le contrôle du respect de la réglementation en vigueur en matière de lutte contre les pollutions de l’air. ». Aux termes de l’article 12 du même arrêté : « En cas de dépassement prévu d’un seuil d’alerte ou d’épisode persistant de pollution aux particules  » PM10  » (…), le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre les actions d’information et de recommandation prévues aux articles 10 et 11, consulte le comité prévu à l’article 13 et peut imposer la mise en œuvre des mesures figurant en annexe du présent arrêté afin de réduire les émissions des polluants concernés ou de leurs précurseurs » Il résulte de l’article 1er de ce même arrêté que constitue un épisode persistant de pollution aux particules « PM10 » le dépassement du seuil d’information et de recommandation soit pendant deux jours consécutifs en cas d’absence de modélisation des pollutions soit lorsqu’il a eu lieu la veille et lorsqu’un nouveau dépassement est prévu pour le lendemain en cas de modélisation des pollutions. Enfin, l’article R. 221-1 du code de l’environnement fixe à 50 μg/ m³ en moyenne journalière le seuil d’information et de recommandation et à 80 μg/ m³ en moyenne journalière le seuil d’alerte pour les particules PM10.

8. Il résulte de l’instruction, notamment des éléments versés au dossier dans le cadre de la prolongation de l’instruction contradictoire décidée à l’issue de l’audience publique, que le dispositif mis en place par l’arrêté du 7 avril 2016 est effectivement utilisé en cas de dépassement des seuils rappelés plus haut. Ainsi, du 25 septembre 2017 au 15 avril 2020, 237 arrêtés préfectoraux mettant en place des mesures prévues dans le cadre d’un dépassement des seuils de pollution ont été pris, dont 227 comportaient des mesures relatives aux pratiques agricoles. Au cours de la période du 15 mars au 14 avril 2020, dans un context général de forte réduction des pollutions issues de l’activité industrielle et par les transports en raison des mesures de confinement de la population prises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19, il a été relevé un total de 18 dépassements du seuil d’information et de recommandation pour les particules PM10, dépassements répartis sur 9 régions (4 dépassements dans les Hauts-de-France et en Normandie, 2 dépassements en Bretagne, en Corse et en Guyane, 1 dépassement en Bourgogne-Franche Comté, en Nouvelle Aquitaine et en Ile-de-France) mais aucun dépassement du seuil d’alerte, contrairement à ce qui avait pu être observé pendant la même période au cours de l’année 2019 où l’on avait compté un dépassement du seuil d’alerte, outre 21 dépassements du seuil d’information et de recommandation. L’administration souligne que les préfets continueront à prendre, conformément à l’arrêté du 7 avril 2016, les mesures nécessaires en cas de dépassement des seuils.

9. Pour faire valoir que ce dispositif serait insuffisant dans le contexte de l’épidémie de covid-19, l’association requérante produit des études scientifiques dont elle soutient qu’elles établissent l’existence d’un lien entre la pollution de l’air, en particulier par les particules PM10 et PM2,5, et le développement des maladies respiraroires en général et du covid-19 en particulier. Il s’agit en particulier d’une étude chinoise publiée le 20 novembre 2003 portant sur la pollution de l’air et la mortalité due au SRAS en République populaire de Chine, d’une étude américaine datée du 5 avril 2020 analysant les conséquences d’une exposition prolongée aux particules PM2,5 sur la gravité de l’épidémie de covid-19 aux Etats-Unis et d’une étude italienne réalisée en avril 2020 sous l’égide des universités de Bologne et de Bari ainsi que de la SIMA (Società Italiana di Medecina Ambientale) examinant le lien entre les dépassements répétés des seuils de pollution survenus en Lombardie entre le 10 et le 29 février 2020 et la gravité de l’épidémie de covid-19 dans cette région d’Italie à compter du 3 mars 2020. Elle soutient que cela devrait conduire l’Etat à prendre des mesures visant à réduire la pollution par les particules PM10 et PM2,5 issue de l’activité agricole pendant la période d’état d’urgence sanitaire au-delà du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui limite ces mesures aux épisodes de dépassement des seuils, conformément aux principes de précaution et de prévention.

10. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 μg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements.

11. En outre, il incombe à l’administration, qui a confirmé lors de l’audience publique qu’elle assure une surveillance quotidienne des niveaux de pollution à la fois au plan central et au plan local, de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l’activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l’industrie et aux transports, la principale source d’origine humaine d’émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d’épandage.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sous réserve que l’Etat assure strictement les obligations, y compris préventives, rappelées au point 11, il n’apparaît pas que son abstention à prendre, hors des hypothèses prévues par l’arrêté du 7 avril 2016, des mesures de réduction des activités agricoles susceptibles d’émettre des particules PM10 et PM2,5 constitue, en l’état de l’instruction et des éléments produits par l’association requérante, une atteinte grave et manifestement illégale aux droits au respect à la vie et à la protection de la santé. Par suite, la requête de l’association RESPIRE doit être rejetée.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l’association RESPIRE est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air (association RESPIRE) et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Copie en sera adressée au Premier Ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre des solidarités et de la santé.