Le divorce d’une personne ayant obtenu la qualité de réfugié au titre de l’unité de la famille à raison du statut dont bénéficie son ancien conjoint constitue un changement dans les circonstances justifiant que l’OFPRA puis, le cas échéant, à la CNDA, apprécie à nouveau si l’intéressé doit continuer à bénéficier de la protection internationale.

CE, 2-7 chr, 29 nov. 2019, n° 421523, Lebon T.

Cf., sur le principe d’unité de la famille, CE, Assemblée, 2 décembre 1994, Agyepong, n° 112842, p. 523.

Rappr., en précisant, CE, 25 novembre 1998, Mme Niangi, n° 164682, p. 434 ; s’agissant de l’office du juge de l’asile saisi d’une décision de cessation du statut de réfugié, CE, 28 décembre 2017, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 404756, T. pp. 476-478-768.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 421523
ECLI:FR:CECHR:2019:421523.20191129
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2e – 7e chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats

Lecture du vendredi 29 novembre 2019REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. C… A… a demandé à la Cour nationale du droit d’asile d’annuler la décision du 3 novembre 2016 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a mis fin au statut de réfugié qui lui avait été antérieurement reconnu.

Par une décision n° 16038156 du 23 janvier 2018, la Cour nationale du droit d’asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi enregistré le 15 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette décision ;

2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui rétablir la reconnaissance du statut de réfugié ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

— les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M. A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des stipulations de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Aux termes de la section C de l’article 1er de la convention de Genève : « Cette convention cessera … d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus : … 5. Si les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité (…) ». Le premier alinéa de l’article L. 711-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que « L’Office français de protection des réfugiés et apatrides peut mettre fin, de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité administrative, au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l’une des clauses de cessation prévues à la section C de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, précitée. Pour l’application des 5 et 6 de la même section C, le changement dans les circonstances ayant justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié doit être suffisamment significatif et durable pour que les craintes du réfugié d’être persécuté ne puissent plus être considérées comme fondées ».

2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d’asile que M. A…, ressortissant russe d’origine tchétchène, est arrivé en France en février 2015 pour y rejoindre son épouse, Mme D… B…, admise au statut de réfugié le 24 juin 2014. Par une décision du 28 mai 2015, M. A… a été admis au statut de réfugié. A la suite de son divorce prononcé par le tribunal de grande instance de Nice le 16 novembre 2015, le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, précisant que l’intéressé avait obtenu le statut de réfugié au titre de l’unité de la famille, a fait application des dispositions de l’article L. 711-4 du même code et a, par une décision du 3 novembre 2016, mis fin au statut de réfugié de M. A…. Le requérant demande l’annulation de la décision, en date du 23 janvier 2018, par laquelle la Cour nationale du droit d’asile a rejeté son recours dirigé contre cette décision.

3. En premier lieu, aux termes de l’article L. 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile « La qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu’à toute personne sur laquelle le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu’adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ». En mentionnant ces dispositions dans la décision octroyant la qualité de réfugié, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides se borne à indiquer la base légale de sa décision sans préciser à quel titre la qualité de réfugié a été reconnue, laquelle peut l’être au titre du principe d’unité de la famille. C’est, par suite, sans erreur de droit que la Cour nationale du droit d’asile s’est référée à des éléments extérieurs à la décision du 28 mai 2015 accordant l’asile à M. A… pour rechercher à quel titre cette décision avait été prise et retenir, au vu notamment du dossier d’instruction de l’Office, qu’elle l’avait été à raison de l’octroi de ce statut à son épouse.

4. En deuxième lieu, le divorce d’une personne ayant obtenu la qualité de réfugié au titre de l’unité de la famille à raison du statut dont bénéficie son ancien conjoint constitue un changement dans les circonstances ayant justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens des stipulations et dispositions citées au point 1. Il appartient, dès lors, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis, le cas échéant, à la Cour nationale du droit d’asile, d’apprécier, compte tenu de ce changement et au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si l’intéressé doit continuer à bénéficier de la protection qui lui avait été accordée.

5. Pour rejeter le recours de M. A…, la Cour a considéré, d’une part, que celui-ci ne pouvait continuer à bénéficier de la protection internationale au titre de l’unité de la famille en raison notamment de son divorce, et d’autre part, que ni les pièces du dossier ni les déclarations du requérant ne permettaient de tenir pour fondées les craintes personnelles et actuelles qu’il évoquait en cas de retour en Russie.

6. Si M. A… soutient que son divorce d’avec Mme B… n’établit pas la rupture totale de l’unité familiale, la Cour, appréciant souverainement les faits de l’espèce, a pu estimer que ni l’existence alléguée de reprise de vie commune avec son ex-épouse, ni son intention de rester auprès de ses enfants lesquels bénéficient de la qualité de réfugié, ne faisaient obstacle à ce qu’il soit mis fin au statut du fait de son divorce qu’elle a regardé, sans dénaturer les faits ni commettre d’erreur de droit, comme un changement des circonstances suffisamment significatif et durable.

7. D’autre part, en jugeant que les éléments produits par M. A…, tendant à établir l’existence de persécutions de la part d’unités spéciales tchétchènes en raison des démarches engagées contre son ancien employeur ou un lien entre ses propres craintes et celles ayant justifié la reconnaissance du statut de réfugié à son ex-épouse, ne permettaient pas de tenir les craintes alléguées pour fondées, la Cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 23 janvier 2018 de la Cour nationale du droit d’asile. Son pourvoi doit donc être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C… A… et à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.