Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions, et une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.

Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, Commune d’Ouveillan 9 juin 2020, 425620

Faits de nature à justifier un licenciement pour inaptitude professionnelle – i) Agents contractuels – Inaptitude à exercer les fonctions pour lesquelles l’agent a été engagé – ii) Fonctionnaire – Inaptitude à exercer les fonctions correspondant à son grade (1) – 2) Cas d’un fonctionnaire exerçant des fonctions ne correspondant à son grade – i) Obligation de mettre fin à ses fonctions – ii) Faculté de constater l’inaptitude au regard de la manière d’exercer de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante.

Le licenciement pour inaptitude professionnelle d’un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement i) les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s’agissant d’un agent contractuel, ii) ou correspondant à son grade, s’agissant d’un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions.

Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions.

Une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.

Cf., en précisant, CE, 1er juin 2016, Commune de Sète, n° 392621, T. pp. 786-808 ; CE, 18 janvier 2017, M. Dong, n° 390396, p. 8 ; CE, 13 avril 2018, Commune de Gennevilliers, n° 410411, T. pp. 740.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 425620
ECLI:FR:CECHR:2020:425620.20200609
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3e – 8e chambres réunies
M. Christian Fournier, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

Lecture du mardi 9 juin 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler l’arrêté du 30 novembre 2015 par lequel le maire de la commune d’Ouveillan a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 30 novembre 2015 et d’enjoindre au maire de cette commune de procéder à sa réintégration dans le délai de cinq jours à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1600187 du 16 novembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l’arrêté du 30 novembre 2015 du maire de la commune d’Ouveillan et a enjoint au maire de réintégrer M. B… dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Par un arrêt n° 18MA00157 du 25 septembre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par la commune d’Ouveillan contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 novembre 2018, le 25 février 2019 et le 10 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune d’Ouveillan demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
– le décret n° 2006-1690 du 22 décembre 2006 ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

— les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la commune d’Ouveillan et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune d’Ouveillan a recruté M. A… B… le 25 mai 2009, par un contrat à durée déterminée, pour occuper le poste de secrétaire de mairie. Le 27 juillet 2009 il a été nommé adjoint administratif territorial de deuxième classe stagiaire puis a été titularisé au même grade le 4 août 2010. Estimant sa manière de servir insatisfaisante, le maire de la commune l’a affecté au service technique de la commune au cours du premier semestre 2011 puis au sein du syndicat d’initiative de la commune à l’automne 2014. Par un arrêté du 30 novembre 2015, le maire de la commune d’Ouveillan a prononcé le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. B…. Par un jugement du 16 novembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l’arrêté du 30 novembre 2015 du maire de la commune d’Ouveillan et a enjoint de réintégrer M. B… dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement. La commune d’Ouveillan se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 25 septembre 2018 de la cour administrative d’appel de Marseille qui a rejeté l’appel qu’elle a formé contre ce jugement.

2. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d’un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s’agissant d’un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s’agissant d’un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions. Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.

3. Aux termes de l’article 3 du décret du 22 décembre 2006 portant statut des adjoints administratifs territoriaux : « I. – Les adjoints administratifs territoriaux sont chargés de tâches administratives d’exécution, qui supposent la connaissance et comportent l’application de règles administratives et comptables. (…) II. Lorsqu’ils relèvent des grades d’avancement, les adjoints administratifs territoriaux (…) peuvent être chargés du secrétariat de mairie dans une commune de moins de 2 000 habitants ».

4. Après avoir relevé que les fonctions de secrétaire de mairie qu’occupait M. B… n’était pas, eu égard à la circonstance que la commune d’Ouveillan comptait plus de 2 000 habitants, au nombre de celles correspondant à son grade d’adjoint administratif territorial de seconde classe, la cour a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que le licenciement pour insuffisance professionnelle contesté ne pouvait être fondé sur les manquements qui lui avaient été reprochés dans l’exercice de ces fonctions, et ce alors même que ces manquements auraient porté sur des tâches administratives d’exécution au sens des dispositions citées au point 3. Puis, ayant estimé, par un arrêt suffisamment motivé, que les autres manquements reprochés à l’intéressé dans le cadre des fonctions qu’il a ensuite exercées au sein du service technique et du syndicat d’initiative de la commune n’étaient pas établis, la cour a pu écarter, sans commettre d’erreur de qualification juridique, l’insuffisance professionnelle de l’intéressé.

5. Il résulte de ce qui précède que la commune d’Ouveillan n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune d’Ouveillan la somme de 3 000 euros à verser à M. B… au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. B…, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :

————–
Article 1er : Le pourvoi de la commune d’Ouveillan est rejeté.
Article 2 : La commune d’Ouveillan versera une somme de 3 000 euros à M. B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune d’Ouveillan au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d’Ouveillan et à M. A… B….

 .