Le transfert d’une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l’ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme.

CE, 8e et 3e ch. réunies, 27 mai 2020, n° 433608, Lebon T

Texte intégral
Conseil d’État

N° 433608
ECLI:FR:CECHR:2020:433608.20200527
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8e et 3e chambres réunies
M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

Lecture du mercredi 27 mai 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. F… A…, Mme G… A… et la société civile immobilière (SCI) de la Poste ont demandé au tribunal administratif de Rennes d’annuler la décision du 5 mai 2015 par laquelle le préfet d’Ille-et-Vilaine a refusé de prononcer le transfert d’office de l’impasse de la Poste dans le domaine public de la commune de Saint-Lunaire. Par un jugement n° 1600930 du 24 novembre 2017, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18NT00294 du 18 juin 2019, la cour administrative d’appel de Nantes, sur appel des consorts A… et de la société civile de construction-vente (SCCV) Les Viviers venue aux droits de la SCI de la Poste, a annulé ce jugement et la décision du préfet d’Ille-et-Vilaine et enjoint au préfet de se prononcer à nouveau sur la demande dont il avait été saisi par la commune de Sainte-Lunaire.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 août, 13 novembre 2019 et 12 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme C… B…, M. E… B… et Mme I… D… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel des consorts A… et de la SCCV Les Viviers ;

3°) de mettre à la charge des consorts A… et de la SCCV Les Viviers la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le protocole additionnel à cette convention ;
– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

— les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de M. et Mme B…, M. E… B… et de Mme D… et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A…, de Mme H… et de la SCCV Les Viviers ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la commune de Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine) a cherché à procéder au transfert d’office dans le domaine public communal d’une voie privée, l’impasse de la Poste, constituée de plusieurs parcelles cadastrées section AB n° 69, 71, 73, 75, 78, 58, 383 et 56, dont certaines lui appartiennent, d’autres appartiennent aux consorts B… et une appartient à une copropriété. En raison de l’opposition des consorts B…, la commune a demandé au préfet d’Ille-et-Vilaine, conformément aux dispositions de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, de prononcer le transfert de la voie privée dans son domaine public, ce que le préfet a refusé le 5 mai 2015. M. et Mme A…, ainsi que la SCI de la Poste, dont ils étaient alors les gérants, ont demandé au préfet de retirer cette décision. Après le rejet implicite de leur demande, ils ont saisi le tribunal administratif de Rennes d’un recours contre le refus du préfet. Par un jugement du 24 novembre 2017, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt du 18 juin 2019, la cour administrative d’appel de Nantes, sur l’appel de M. et Mme A… et de la SCCV Les Viviers venue aux droits de la SCI de la Poste, a annulé le jugement et la décision du préfet et enjoint au préfet de se prononcer à nouveau sur la demande de la commune dans un délai de deux mois. M. et Mme C… B…, M. E… B…, Mme I… D…, dont l’intervention concluant au rejet de l’appel a été admise par la cour administrative d’appel, se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : « La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d’habitations peut, après enquête publique ouverte par l’autorité exécutive de la collectivité territoriale ou de l’établissement public de coopération intercommunale et réalisée conformément au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, être transférée d’office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées. / La décision de l’autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés. / Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l’Etat dans le département, à la demande de la commune ».

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

3. L’article R. 741-7 du code de justice administrative dispose : « Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d’audience ».

4. Il ressort de la minute de l’arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutient le pourvoi, elle a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur ainsi que le greffier d’audience. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature de la minute ne peut qu’être écarté comme manquant en fait.

Sur le bien-fondé de l’arrêt en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

5. Le transfert d’une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l’ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme.

6. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A… ainsi que la SCCV Les Viviers, dont il est constant qu’ils sont riverains des parcelles visées par la procédure de transfert, justifient en cette qualité d’un intérêt les rendant recevables à contester la décision du préfet d’Ille-et-Vilaine en date du 5 mai 2015. Ce motif, qui repose sur des faits constants n’appelant aucune appréciation, doit être substitué au motif erroné, tiré de ce que les parcelles appartenant aux consorts B… étaient grevées d’une servitude de passage au profit d’une parcelle appartenant à la SCCV Les Viviers, retenu par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, dont il justifie légalement le dispositif.

Sur le bien-fondé de l’arrêt en ce qui concerne la légalité de la décision du préfet :

7. En premier lieu, le transfert des voies privées dans le domaine public communal prévu par les dispositions de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme est subordonné à l’ouverture de ces voies à la circulation publique, laquelle traduit la volonté de leurs propriétaires d’accepter l’usage public de leur bien et de renoncer à son usage purement privé.

8. En jugeant, après voir relevé que l’impasse de la Poste était utilisée librement par les piétons, que l’accès des automobiles était possible dans la partie sud de la voie et que les consorts B…, qui s’étaient bornés à limiter la circulation et le stationnement de véhicules autres que ceux appartenant aux riverains ou aux bénéficiaires d’une servitude de passage et à apposer à l’entrée de l’impasse un panneau indiquant que cette voie sans issue était interdite à la circulation sauf riverains et livraisons et qu’il s’agissait d’un passage piétonnier, avaient accepté l’usage public de leur bien et renoncé à son usage purement privé, que la voie en litige était une voie privée ouverte à la circulation publique, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n’a pas commis d’erreur de droit, l’ouverture à la circulation publique d’une voie privée n’étant, contrairement à ce qui est soutenu, pas subordonnée à la condition que la circulation automobile y soit possible.

9. En déduisant l’illégalité de la décision de refus du préfet du 5 mai 2015, fondée sur le motif tiré de ce que le caractère de voie ouverte à la circulation publique de l’impasse de la Poste n’était pas établi, la cour, qui n’avait pas à rechercher si le projet de la commune de Saint-Lunaire s’inscrivait dans un projet d’aménagement, si l’entretien de la voie était à la charge de la commune ou si les propriétaires avaient laissé la voie se dégrader, n’a, contrairement à ce qui est soutenu, pas commis d’erreur de droit ni méconnu son office.

10. En second lieu, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu les stipulations de l’article premier du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en faisant application de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme n’a pas été soulevé devant la cour administrative d’appel et ne présente pas le caractère d’un moyen d’ordre public. Ce moyen, nouveau en cassation, est inopérant et ne peut qu’être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C… B…, M. E… B… et Mme D… ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes qu’ils attaquent.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. et Mme C… B…, M. E… B… et Mme D… la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme A… et la SCCV Les Viviers au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge des consorts A… et de la SCCV Les Viviers qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme C… B…, M. E… B… et Mme D… est rejeté.

Article 2 : M. et Mme C… B…, M. E… B… et Mme D… verseront une somme de 3 000 euros à M. et Mme A… et à la SCCV Les Viviers au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C… B…, M. E… B… et à Mme I… B… épouse D…, à M. et Mme F… A… et à la société civile de construction-vente Les Viviers, et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Un exploitant qui a demandé une autorisation d’exploiter une ou plusieurs parcelles sur des terres en application du 1° de l’article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) justifie d’une qualité lui donnant intérêt à agir contre l’autorisation donnée à un autre exploitant d’exploiter des parcelles sur ces terres.

CE, 5-6 chr, Ministre de l’agriculture et de l’alimentation c/ GAEC Coulangheon Frères 5 févr. 2020, n° 418970, Lebon T

Rappr., s’agissant de l’intérêt pour agir du candidat à la reprise des terres entrant dans une des priorités définies par le schéma directeur des structures agricoles, CE, 2 décembre 1992, M. Tendron, n° 98985, T. pp. 731-1196.

Sur les personnes
Président : M. Alain Ménéménis
Rapporteur : M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public : Mme Cécile Barrois de Sarigny
Parties : MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION
Texte intégral
Conseil d’État

N° 418970
ECLI:FR:Code Inconnu:2020:418970.20200205
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5e – 6e chambres réunies
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public

Lecture du mercredi 5 février 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Le groupement d’exploitation agricole en commun (GAEC) Coulangheon frères a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 6 juin 2014 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme a autorisé le GAEC Ferme Bio « La Fenière » à exploiter des terres d’une surface de 18 hectares 23 ares 61 centiares sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire-près-Pionsat ainsi que l’arrêté du même jour par lequel le même préfet a refusé de lui délivrer l’autorisation d’exploiter, au sein de ces mêmes terres, des parcelles d’une superficie de 8ha 63 a 96 ca. Par un jugement n° 14001472 du 4 juin 2015, le tribunal administratif a annulé ces deux arrêtés.

Par un arrêt n° 15LY02720 du 11 janvier 2018, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt contre ce jugement en tant qu’il annule l’arrêté du 6 juin 2014 pris en faveur du GAEC Ferme Bio « La Fenière ».

Par un pourvoi enregistré le 12 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation demande au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt. Il soutient qu’il est entaché d’erreur de droit en ce qu’il juge que le GAEC Coulangheon frères a intérêt pour agir contre l’arrêté litigieux pris dans sa totalité, alors qu’il n’a été candidat qu’à l’exploitation d’une partie des terres concernées.

Le pourvoi du ministre de l’agriculture et de l’alimentation a été communiqué au GAEC Coulangheon frères, qui n’a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable à l’espèce : « Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : / 1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d’exploitations agricoles au bénéfice d’une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu’il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur départemental des structures (…) ». Aux termes de l’article L. 331-3 du même code, dans sa rédaction applicable : « L’autorité administrative se prononce sur la demande d’autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l’objet de la demande. Elle doit notamment : / 1° Observer l’ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l’installation de jeunes agriculteurs et l’agrandissement des exploitations agricoles (…) ».

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, saisi par deux groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) candidats à l’agrandissement de leur exploitation sur des terres d’environ dix-huit hectares situées dans la commune de Saint Hilaire-près-Pionsat (Puy-de-Dôme), le préfet du département a, par deux arrêtés du 6 juin 2014 pris sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, d’une part, autorisé le GAEC Ferme Bio « La Fenière » à exploiter l’ensemble des parcelles sur ces terres, d’autre part, rejeté la demande par laquelle le GAEC Coulangheon frères sollicitait l’autorisation d’exploiter, sur les mêmes terres, certaines parcelles seulement, d’une superficie d’environ huit hectares. Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 11 janvier 2018 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 5 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, à la demande du GAEC Coulangheon frères, annulé l’autorisation délivrée au GAEC Ferme Bio « La Fenière ».

3. Un exploitant qui a demandé une autorisation d’exploiter une ou plusieurs parcelles sur des terres en application des dispositions précitées de l’article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime justifie d’un intérêt lui donnant qualité à agir contre l’autorisation donnée à un autre exploitant d’exploiter des parcelles sur ces terres, même s’il ne s’est porté candidat que pour une partie des parcelles qui font l’objet de l’autorisation.

4. Par suite, en jugeant que le GAEC Coulangheon frères, candidat à la reprise d’une partie des terres en litige, justifiait d’un intérêt à agir contre l’arrêté préfectoral d’autorisation dans son ensemble, la cour administrative d’appel de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit. Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation n’est, par suite, pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

D E C I D E :

————–
Article 1er : Le pourvoi du ministre de l’agriculture et de l’alimentation est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’agriculture et de l’alimentation, au GAEC Coulangheon frères et au GAEC Ferme Bio « La Fenière ».