Pour une opération réalisée par un fonds d’investissement, il incombe au demandeur d’indiquer l’identité du gestionnaire du fonds et, lorsque ce gestionnaire est lui-même une personne morale, l’identité des personnes physiques ou des collectivités publiques qui la contrôlent, mais aucune disposition n’impose en revanche que soit précisée l’identité de tous les investisseurs participant à ce fonds.

CE, 6e – 5e ch. réunies, 3 avr. 2020, n° 422580, Lebon T

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Mme A… B… et M. C… B… ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 16 décembre 2015 par laquelle le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique a autorisé la société FII Co à acquérir le contrôle de la société B… Industries. Par un jugement n° 1521052/2-1 du 21 mars 2017, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 17PA01704 du 24 mai 2018, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel de M. et Mme B… dirigé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’État les 25 juillet et 25 octobre 2018 et le 15 janvier 2020, Mme A… B… et M. C… B… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – le code monétaire et financier ;

 – l’arrêté du 7 mars 2003 portant fixation de certaines modalités d’application du décret du 7 mars 2003 réglementant les relations financières avec l’étranger ;

 – le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Catherine Moreau, conseiller d’Etat en service extraordinaire,

— les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme B… et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société FII Co et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 16 décembre 2015, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique a, en application de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, autorisé la société FII Co, société de droit luxembourgeois détenue indirectement par deux fonds d’investissement gérés par la société de droit anglais Warwick Capital Partners LLP, à prendre le contrôle de la société B… Industries, spécialisée dans la fabrication de fibres diverses pour les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de l’électronique. Mme B… et M. B… se pourvoient en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté leur appel contre le jugement du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande d’annulation de cette décision.

2. Aux termes de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier :  » I. – Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie les investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève de l’un des domaines suivants : a) Activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ; b) Activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives. / Un décret en Conseil d’Etat définit la nature des activités ci-dessus. / II. – L’autorisation donnée peut être assortie le cas échéant de conditions visant à assurer que l’investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux visés au I. / Le décret mentionné au I précise la nature des conditions dont peut être assortie l’autorisation. (…) « . En vertu de l’article R. 153-10 du même code, le ministre chargé de l’économie refuse, par une décision motivée, d’autoriser l’investissement projeté, s’il estime, après examen de la demande, qu’il existe une présomption sérieuse que l’investisseur est susceptible de commettre l’une des infractions qu’il énumère, telles que le trafic de stupéfiants, le proxénétisme, le blanchiment ou des actes de terrorisme, ou que la mise en oeuvre des conditions dont le ministre peut assortir son autorisation ne suffit pas à elle seule à assurer la préservation des intérêts mentionnés au I de l’article L. 151-3 précité, dès lors que la pérennité des activités, des capacités industrielles, des capacités de recherche et développement et des savoir-faire des technologies et des savoir-faire associés ne serait pas préservée ou que l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement, l’intégrité, la sécurité, la continuité de l’exploitation d’un établissement, d’une installation ou d’un ouvrage d’importance vitale ou des réseaux et services de transport ou de communication électroniques ou la protection de la santé publique ou la protection des données ne seraient pas garantis ou que serait compromise l’exécution des obligations contractuelles de l’entreprise dont le siège social est établi en France comme titulaire ou sous-traitant dans le cadre de marchés publics ou de contrats intéressant l’ordre public, la sécurité publique, les intérêts de la défense nationale ou la recherche, la production ou le commerce en matière d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives.

3. Aux termes de l’article 4 de l’arrêté du 7 mars 2003 fixant certaines modalités d’application du décret du 7 mars 2003 réglementant les relations financières avec l’étranger :  » (…) les demandes d’autorisation sont établies par lettre contenant les renseignements suivants : En ce qui concerne l’investisseur : les nom et adresse du (des) investisseur(s) : s’il s’agit d’une personne morale, il conviendra de fournir les renseignements permettant de déterminer les personnes physiques ou les collectivités publiques qui la contrôlent en dernier ressort ; dans le cas où l’investisseur serait une société cotée, la déclaration administrative ou la demande d’autorisation devra fournir l’identité des principaux actionnaires connus détenant une participation supérieure à 5 % ainsi que la liste des membres du conseil d’administration et leur lieu de résidence. Dans le cadre d’une opération réalisée par un fonds d’investissement, il conviendra de préciser l’identité du ou des gestionnaires de ce fonds ; (…) « .

4. En premier lieu, en jugeant que, pour une opération réalisée par un fonds d’investissement, il incombe au demandeur d’indiquer l’identité du gestionnaire du fonds et, lorsque ce gestionnaire est lui-même une personne morale, l’identité des personnes physiques ou des collectivités publiques qui la contrôlent, et en relevant qu’aucune disposition n’impose que soit précisée l’identité de tous les investisseurs participant à ce fonds, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

5. En second lieu, en jugeant, après avoir relevé que Warwick Capital Partners LLP est une société, agréée par la Financial Conduct Authority (FCA), spécialisée dans les investissements en crédit et en capital ainsi que dans les opérations de rachat et capital-développement, que ses responsables ont une expérience de onze ans dans le domaine de l’industrie et ont obtenu des résultats dans le redressement d’entreprises en difficulté et qu’elle a pris des engagements de nature à pérenniser la société B… Industries dont il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis qu’ils ne seraient pas respectés, que la décision litigieuse n’était entachée d’aucune erreur d’appréciation au regard de la nécessité de préserver les intérêts protégés par l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

6. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de Mme B… et M. B… doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme B… et M. B…, au titre des mêmes dispositions, une somme de 1 000 euros à verser chacun, d’une part, à la société FII Co et, d’autre part, à la société Warwick Capital Partners LLP.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi de Mme B… et M. B… est rejeté.

Article 2 : Mme B… et M. B… verseront chacun à la société FII Co, d’une part, et à la société Warwick Capital Partners LLP, d’autre part, une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A… B…, à M. C… B…, à la société FII Co, à la société Warwick Capital Partners LLP et au ministre de l’économie et des finances.