La livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière.

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 09 juin 2020, 432596

Pour l’application des articles 256, 256 A et 257 du code général des impôts (CGI), la livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique.

Rappr. CJUE, 15 septembre 2011, Jaroslaw Slaby, aff. C-180/10, et Emilian Kuc et Halina Jeziorska-Kuc, aff. C-181/10, Rec. p. I-08461.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 432596
ECLI:FR:CECHR:2020:432596.20200609
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8e – 3e chambres réunies
M. Laurent Domingo, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

Lecture du mardi 9 juin 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1605930 du 18 décembre 2017, ce tribunal a prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à M. A… et rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Par un arrêt n° 18MA00817 du 14 mai 2019, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par M. A… contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 juin 2019, 11 septembre 2019 et 19 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’au terme d’une vérification de sa comptabilité, M. A… a été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de la cession, en 2011 et 2012, de dix-huit parcelles de terrain à bâtir qu’il avait fait préalablement aménager. M. A… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 mai 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement du 18 décembre 2017 du tribunal administratif de Montpellier en tant que, après avoir prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, il a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge de ces rappels.

2. Aux termes de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : « (…) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l’envoi ou la remise d’un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix (…) ».

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A… a été informé, par un avis de vérification du 13 octobre 2014, de ce que l’administration vérifierait l’ensemble des déclarations fiscales ou opérations susceptibles d’être examinées portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 pour une activité de marchand de biens que lui paraissait révéler un projet d’opération immobilière que le requérant avait préalablement porté à la connaissance de l’administration par un courrier du 27 septembre 2010. Cet avis de vérification mentionnant notamment la période soumise à vérification et le fait que le contribuable avait la faculté de se faire assister par le conseil de son choix, la cour a pu écarter, sans erreur de droit, et alors même que la qualification de marchand de biens retenue dans la proposition de rectification du 16 décembre 2014 a finalement été abandonnée après avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, le moyen tiré de ce que cet avis aurait été pris en méconnaissance de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales.

4. Aux termes de l’article 256 du code général des impôts : « I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens (…) effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (…) ». Selon l’article 256 A du même code : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (…) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (…) ». Aux termes de l’article 257 de ce code : « I. – Les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / (…) 2. Sont considérés : / 1° Comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels les constructions peuvent être autorisées en application d’un plan local d’urbanisme (…) ».

5. Pour l’application de ces dispositions, la livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en oeuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en 2011 et 2012, M. A… a cédé comme terrain à bâtir, pour la somme de 1 307 400 euros, dix-huit parcelles dont l’emprise globale avait été acquise entre 1977 et 1991 et qu’il avait fait aménager à compter de 2010 en procédant à des travaux de viabilisation d’un montant de 552 281, 89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle. Après avoir estimé, par une appréciation souveraine des faits de l’espèce non arguée de dénaturation, que de tels travaux, eu égard à leur importance, ne relevaient pas de la simple gestion d’un patrimoine privé mais caractérisaient l’existence de démarches actives de commercialisation, la cour administrative d’appel a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que M. A… avait exercé, à raison de cette opération, une activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, alors même qu’il n’aurait, par ailleurs, pas mis en oeuvre des moyens de vente de type professionnel.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre de l’action et des comptes publics.

Les règles de calcul dérogatoires de la TVA que prévoit l’article 268 du CGI s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur.

CE, 8-3 chr, Ministre de l’action et des comptes publics c/ Société Promialp 27 mars 2020, n° 428234, Lebon T

Texte intégral
Conseil d’État

N° 428234
ECLI:FR:CECHR:2020:428234.20200327
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8e – 3e chambres réunies
M. Jean-Marc Vié, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

Lecture du vendredi 27 mars 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Promialp a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la réduction, à concurrence de 121 147 euros, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1504042 du 29 juin 2017, ce tribunal a prononcé la décharge de ces impositions à concurrence de 85 777 euros et rejeté le surplus de la demande.

Par un arrêt n° 17LY03359 du 20 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par la société Promialp et l’appel incident formé par le ministre contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 20 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’action et des comptes publics demande au Conseil d’Etat d’annuler l’article 2 de cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Promialp ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Promialp, qui exerce une activité de marchand de biens et de lotisseur, a procédé à la cession de sept parcelles situées sur le territoire de la commune de Gières (Isère), dont six terrains à bâtir, résultant de la division d’une parcelle unique sur laquelle était édifiée, à la date de l’acquisition, un immeuble d’habitation que la société a fait démolir préalablement à la division et à la vente. Elle a, dans les déclarations qu’elle a souscrites au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, estimé pouvoir faire application à ces opérations du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.

2. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par actes des 17 janvier 2011 et 24 avril 2012, la société Promialp a cédé deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix (Isère) issus de la division d’un unique terrain à bâtir qu’elle avait acquis en 2009 sans que cette acquisition ne soit soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Les actes de vente relatifs à ces opérations mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée calculée sur la totalité du prix de vente. Estimant toutefois que le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge était applicable à ces opérations, la société n’a reversé au Trésor que la fraction de la taxe mentionnée dans les actes qui correspondait à l’application du régime de la marge.

3. Il ressort enfin des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2013, à l’issue de laquelle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à sa charge, procédant notamment, d’une part, de la remise en cause du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge appliqué à la cession des terrains à bâtir situés à Gières et, d’autre part, de la mise en recouvrement de la différence entre la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée dans les actes de cession des terrains à bâtir situés à Claix et celle qui avait été reversée au Trésor par la société. Par un jugement du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit aux conclusions en décharge de la société relative au premier de ces deux chefs de rectification mais a rejeté ses conclusions relatives au second. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté, d’une part, l’appel formé par la société contre le jugement, en tant qu’il a rejeté ses conclusions relatives aux opérations de cession des terrains situés à Claix et, d’autre part, l’appel incident formé par le ministre contre ce même jugement, en tant qu’il a accordé à la société la décharge des impositions relatives à la cession des terrains situés à Gières.

4. Le ministre se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu’il a rejeté son appel incident. La société demande, par la voie du pourvoi incident, l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a rejeté son appel contre le jugement, en tant qu’il a statué sur la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de la cession des terrains situés à Claix.

Sur le pourvoi du ministre de l’action et des comptes publics :

5. Le I de l’article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable, issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l’article 266 du même code, l’assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

6. L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : « Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat ». L’article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l’article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que :  » S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir (…), si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain(…); / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués. « .

7. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur.

8. Il suit de là que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant qu’il résultait des dispositions des articles 268 du code général des impôts et 392 de la directive du 28 novembre 2006 que le bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge était subordonné à la seule condition que l’acquisition du bien cédé n’ait pas ouvert droit à déduction de la taxe et en jugeant sans incidence sur sa mise en oeuvre la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification du bien en cause aient été modifiées entre son acquisition et sa vente.

9. Par suite, le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à demander, pour ce motif, l’annulation de l’article 2 de l’arrêt attaqué.

Sur le pourvoi incident de la société Promialp :

10. Postérieurement à l’introduction du pourvoi incident de la société Promialp, le ministre de l’action et des comptes publics a prononcé, le 9 mars 2020, le dégrèvement des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à la vente des deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix mis à la charge de la société. Les conclusions du pourvoi incident étant ainsi devenues sans objet, il n’y a pas lieu d’y statuer.

11. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Promialp au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi incident de la société Promialp relatif aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférente à la vente de deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix.

Article 2 : L’article 2 de l’arrêt du 20 décembre 2018 de la cour administrative d’appel de Lyon est annulé.

Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Lyon.

Article 4 : Les conclusions présentées par la SARL Promialp au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’action et des comptes publics et à la société à responsabilité limitée Promialp.