Le bénéfice du report d’imposition de la plus-value réalisée à l’occasion de l’apport n’est subordonné qu’à l’affectation à une activité professionnelle de l’élément d’actif en cause, sans qu’ait d’incidence la circonstance que le contribuable n’en assure pas personnellement l’exploitation.

CE, 9-10 chr, 5 juin 2020, n° 425113, Lebon T

Texte intégral
Conseil d’État

N° 425113
ECLI:FR:CECHR:2020:425113.20200605
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9e – 10e chambres réunies
M. Sylvain Humbert, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP COLIN-STOCLET, avocats

Lecture du vendredi 5 juin 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2005 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1201861 du 12 juin 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14BX02380 du 13 octobre 2015, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par M. B… contre ce jugement.

Par une décision n° 395159 du 27 septembre 2017, le Conseil d’Etat statuant au contentieux, saisi du pourvoi présenté par M. B…, a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 13 octobre 2015 et renvoyé l’affaire devant cette cour.

Par un nouvel arrêt n° 17BX03229 du 28 août 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par M. B… contre le jugement du 12 juin 2014 du tribunal administratif de Pau.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 octobre 2018, 29 janvier 2019 et 28 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code civil ;
– le code de général des impôts ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Sylvain Humbert, maître des requêtes,

— les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de M. B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B…, mariés sous le régime de la séparation de biens, ont adjoint à ce régime, le 25 février 1984, une société d’acquêts à laquelle M. B… a apporté le fonds de commerce de pharmacie qu’il avait constitué en 1962 et dont l’exploitation a ensuite été confiée à son épouse. Le 6 octobre 2005, cette dernière a créé avec leur fils la société à responsabilité limitée (SARL) Pharmacie B… à laquelle ce fonds de commerce a été apporté. A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration a constaté que M. B… n’avait pas déclaré à l’impôt sur le revenu la plus-value d’apport correspondant aux droits qu’il détenait dans la société d’acquêts et a estimé, d’une part, que cette plus-value devait être imposée selon le régime des plus-values professionnelles et, d’autre part, qu’à défaut pour l’intéressé d’exercer alors l’activité de pharmacien, les conditions pour bénéficier du report d’imposition prévu à l’article 151 octies du code général des impôts n’étaient pas satisfaites, quand bien même son épouse aurait bénéficié de ce régime pour l’imposition de la fraction de la plus-value la concernant. M. B… a, en conséquence, été assujetti, au titre de l’année 2005, aux cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales correspondantes. Par un arrêt du 28 août 2018 rendu après cassation d’un premier arrêt du 13 octobre 2015, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé contre le jugement du 12 juin 2014 du tribunal administratif de Pau rejetant sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. M. B… se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l’article 151 octies du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : « I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées par une personne physique à l’occasion de l’apport à une société soumise à un régime réel d’imposition de l’ensemble des éléments de l’actif immobilisé affectés à l’exercice d’une activité professionnelle (…) peuvent bénéficier des dispositions suivantes : a. L’imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables fait l’objet d’un report jusqu’à la date de la cession à titre onéreux ou du rachat des droits sociaux reçus en rémunération de l’apport de l’entreprise ou jusqu’à la cession de ces immobilisations par la société si elle est antérieure. En cas de transmission à titre gratuit à une personne physique des droits sociaux rémunérant l’apport, le report d’imposition est maintenu si le bénéficiaire de la transmission prend l’engagement d’acquitter l’impôt sur la plus-value à la date où l’un des événements prévus à la phrase précédente se réalise (…) ».

3. Après avoir relevé que M. B… avait apporté le 6 octobre 2005 le fonds de commerce de la pharmacie, dont il avait la copropriété avec son épouse, à la société Pharmacie B… et qu’il participait aux résultats de l’exploitation sans toutefois l’exploiter personnellement, la cour en a déduit que M. B… ne pouvait bénéficier du report d’imposition de la plus-value réalisée à l’occasion de l’apport sur le fondement des dispositions précitées de l’article 151 octies du code général des impôts. En statuant ainsi, alors qu’il résulte des termes même de l’article 151 octies du code général des impôts que le bénéfice de ce report d’imposition n’est subordonné qu’à l’affectation à une activité professionnelle de l’élément d’actif en cause, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, son arrêt doit être annulé, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi.

4. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative : « Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire ». Il incombe, dès lors, au Conseil d’Etat, par application de ces dispositions, de régler l’affaire au fond.

5. D’une part, lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens assorti de la création, par voie conventionnelle, d’une société d’acquêts, les biens ou revenus apportés à cette « société » sont soumis, sauf stipulation contraire, aux règles de la communauté. Les droits que détient un conjoint sur un actif apporté à la société d’acquêts et affecté à l’exercice de la profession de l’autre conjoint ont toujours, du point de vue fiscal, le caractère d’un élément de patrimoine professionnel, même dans le cas où ce conjoint ne participe pas à l’activité professionnelle en cause. Ces droits font, en conséquence, s’il y a lieu, l’objet d’une imposition selon le régime applicable aux plus-values professionnelles, prévu par les articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts. Si le ministre soutient que M. B… aurait constitué avec son épouse une société de fait exploitant le fonds de commerce apporté à la société Pharmacie B…, l’existence d’une telle société de fait n’est, en tout état de cause, pas établie en l’absence de participation de M. B… à la gestion de celle-ci. Par suite, la plus-value réalisée à l’occasion de l’apport par M. B… de ses droits indivis sur le fonds de commerce précité pouvait être imposée comme plus-value professionnelle.

6. D’autre part, il résulte de l’instruction que le fonds de commerce en litige est effectivement affecté à l’activité de la société Pharmacie B… qu’exploite l’épouse de M. B…. Par suite, ainsi qu’il a été dit au point 3 ci-dessus, M. B… peut bénéficier du report d’imposition sur la plus-value résultant de l’apport des droits sur ce fonds de commerce qu’il a apportée à la société Pharmacie B… en 2005. Il s’ensuit qu’il est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2005 ainsi que des pénalités correspondantes, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête d’appel.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L’arrêt du 28 août 2018 de la cour administrative d’appel de Bordeaux et le jugement du tribunal administratif de Pau du 12 juin 2014 sont annulés.

Article 2 : M. B… est déchargé des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2005 ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L’Etat versera à M. B… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au ministre de l’action et des comptes publics.