CE, juge des réf., Ministre de l’intérieur c/ l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres 7 mai 2020, n° 440255.
Texte intégral
Conseil d’État
N° 440255
ECLI:FR:CEORD:2020:440255.20200507
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
Lecture du jeudi 7 mai 2020REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
1° L’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers », le Syndicat des avocats de France, le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s et quarante-sept autres requérants ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d’enjoindre à l’autorité préfectorale compétente de fermer le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes et de procéder aux opérations de décontamination avant sa réouverture, et, à titre subsidiaire, d’ordonner diverses mesures avant-dire droit.
Par une ordonnance n°s 2006287, 2006288, 2006289 du 15 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint, en premier lieu, aux autorités administratives compétentes d’exclure le centre de Vincennes comme lieu d’exécution de toute mesure de placement en rétention prise dans les 14 jours à compter de la notification de son ordonnance, en deuxième lieu, à l’autorité en charge de la gestion du centre d’isoler et de confiner les personnes retenues qui présenteraient les symptômes d’une contamination, tout en maintenant les soins nécessaires à leur état de santé et, en dernier lieu, au préfet de police de lever la rétention des personnes testées positives au covid-19 qui seraient à ce jour placées au centre de Vincennes afin de les orienter vers un centre relevant de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France.
2° L’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers », le Syndicat des avocats de France, le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s et vingt-huit autres requérants ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, à titre principal, de modifier le dispositif de l’ordonnance du 15 avril 2020 en enjoignant à l’autorité préfectorale compétente de fermer le centre de rétention administrative de Vincennes, de procéder aux opérations de décontamination avant sa réouverture et d’orienter sans délai les retenus atteints de covid-19 vers des centres de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France médicalement adaptés à leur situation, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, d’assortir d’une astreinte les injonctions prononcées par l’ordonnance du 15 avril 2020.
Par une ordonnance n°s 2006471, 2006472, 2006473 du 24 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a mis fin à l’injonction adressée au préfet de police par l’article 3 de l’ordonnance du 15 avril 2020 en ce qui concerne MM. G… et I….
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler les articles 1er et 3 de l’ordonnance du 15 avril 2020 ;
2°) à titre subsidiaire, d’annuler l’article 2 de l’ordonnance modificative du 24 avril 2020 en tant qu’elle limite ses effets aux seuls cas des étrangers retenus qu’elle mentionne expressément.
Il soutient que :
– la requête d’appel est recevable ;
– les injonctions prononcées sont injustifiées compte tenu des mesures d’organisation mises en place par le préfet de police au sein du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes pour, d’une part, protéger la santé des retenus et du personnel et, d’autre part, maîtriser la propagation de l’épidémie de covid-19, notamment en ce qui concerne les conditions d’hébergement, les prestations de service (ménage et hôtellerie), le dispositif médical et l’organisation de la répartition des équipes ;
– la suspension de l’accueil de tout nouvel étranger doit être levée, dès lors qu’il est possible d’accueillir de nouveaux retenus à concurrence de vingt-huit personnes par centre (CRA 2 A et CRA 2 B) selon leur statut médical, tout en leur garantissant un accueil compatible avec les conditions sanitaires prescrites ;
– la mesure d’orientation des étrangers malades vers les centres de l’ARS d’Ile-de-France ne se justifie plus au regard de la situation nouvelle du CRA de Vincennes et du dispositif qui y a été déployé, étant observé que, d’une part, les conditions d’accueil des personnes contaminées au sein des CRA sont au moins équivalentes à celles des centres d’hébergement, dans lesquels l’accueil en chambre individuelle n’est nullement garanti et, d’autre part, le juge des libertés et de la détention a tout loisir de se prononcer sur les situations individuelles si les retenus se croient fondés à le saisir ;
– le maintien cette mesure, au-delà de son exemption pour les deux retenus expressément mentionnés, est manifestement disproportionné, dès lors que, en premier lieu, il ne se justifie plus au regard de la réorganisation en profondeur du CRA de Vincennes et, en second lieu, il méconnaît l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, en imposant la levée de la rétention de certains étrangers en situation irrégulière et faisant l’objet d’un éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2020, l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers », le syndicat des avocats de France, le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s et MM. E… H…, K… B…, C… I…, J… D… et A… F… concluent au rejet de la requête et à ce que soit mises à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au bénéfice des associations défenderesses au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 2 000 euros au bénéfice de l’avocat des personnes retenues au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que la requête d’appel du ministre de l’intérieur a perdu son objet en tant qu’elle est dirigée contre l’article 1er de l’ordonnance du 15 avril 2020, qu’elle est irrecevable en tant qu’elle est dirigée contre l’article 3 de cette ordonnance et contre l’ordonnance du 24 avril 2020, dès lors que le juge des référés n’a fait que réitérer les termes d’une instruction du ministre des solidarités et de la santé du 17 mars 2020 et que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
L’Agence régionale de santé d’Ile-de-France a présenté des observations, enregistrées le 30 avril 2020.
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre de l’intérieur, le ministre des solidarités et de la santé et l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France et, d’autre part, l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers », le Syndicat des avocats de France, le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s et MM. E… H…, K… B…, C… I…, J… D… et A… F… ;
Ont été entendus lors de l’audience publique du 4 mai 2020, à 11 heures :
— les représentants du ministre de l’intérieur ;
— Me Rameix, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres ;
— les représentants de l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres ;
à l’issue de laquelle le juge des référés a fixé la clôture de l’instruction au 5 mai à 18 heures, l’a reportée à 19 heures, puis a rouvert l’instruction le 6 mai à 15 heures jusqu’au 7 mai à 11 heures.
Vu les deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 et 6 mai 2020, par lesquels le ministre de l’intérieur maintient ses conclusions et ses moyens ;
Vu les deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 et 6 mai 2020, par lesquels l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres maintiennent leurs conclusions et leurs moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code de la santé publique ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
– le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ». Aux termes de l’article L. 521-2 de ce code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Aux termes de l’article L. 521-4 du même code : « Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin. »
2. L’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers », le Syndicat des avocats de France, le Groupe d’information et de soutien des immigrés et quarante-sept étrangers retenus au centre de rétention administrative de Vincennes ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de demandes tendant, à titre principal, à ce qu’il enjoigne à l’autorité préfectorale compétente de procéder à la fermeture du centre de rétention administrative de Vincennes et à sa décontamination avant sa réouverture. Par une ordonnance en date du 15 avril 2020, le juge des référés a enjoint aux autorités administratives compétentes, à son article 1er, de ne pas placer d’étrangers en rétention dans ce centre durant une période de quatorze jours, à son article 2, d’isoler et de confiner toute personne placée dans ce centre qui présenterait des symptômes de contamination par le virus covid-19, en lui permettant un accès aux soins et, à son article 3, de lever la rétention de tout étranger qui serait testé positif au covid-19 et de l’orienter vers un centre de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France. Les mêmes associations et vingt-huit des étrangers auteurs de la première demande ont à nouveau saisi le juge des référés, le 18 avril 2020, sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, de demandes tendant à ce qu’il modifie le dispositif de l’ordonnance du 15 avril 2020 afin de faire droit à leurs conclusions initiales. Le préfet de police, pour sa part, a présenté des conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’injonction de lever la rétention des étrangers testés positifs au covid-19 formulée à l’article 3 de la même ordonnance. Par une ordonnance en date du 24 avril 2020, le juge des référés a fait droit partiellement aux conclusions du préfet de police en mettant fin à cette injonction pour deux étrangers retenus et testés positifs au covid-19 et a rejeté le surplus de ses conclusions ainsi que les autres demandes dont il était saisi. Le ministre de l’intérieur relève appel des articles 1er et 3 de l’ordonnance du 15 avril 2020 et, à titre subsidiaire, de l’ordonnance du 24 avril 2020 en tant qu’elle a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur l’office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :
3. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l’article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit de mesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.
4. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi que le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.
Sur les circonstances :
5. La propagation, sur le territoire français, d’un nouveau coronavirus (covid-19) de caractère pathogène et particulièrement contagieux a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.
6. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par un décret du 14 avril 2020.
Sur les dispositions applicables au placement et au maintien en rétention :
7. L’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère, aux 1° à 7° de son I, les cas dans lesquels l’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard d’un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable. En vertu de l’article L. 551-1 du même code, dans les cas prévus aux 1° à 7° du I de l’article L. 561-2, l’étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu’il se soustraie à l’exécution de la mesure d’éloignement peut être placé en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures, en prenant en compte son état de vulnérabilité et tout handicap. Au-delà de cette durée, le juge des libertés et de la détention statue sur la prolongation de la rétention dans les conditions et pour les délais prévus par les articles L. 552-1 et suivants du même code. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 554-1 : « Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet ».
8. Aux termes de l’article R. 551-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Les étrangers retenus, en application du présent titre, dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire sont placés, sous réserve des dispositions de l’article R. 551-3, dans des établissements dénommés » centres de rétention administrative « , régis par les articles R. 553-1 à R. 553-4-1. / Les centres de rétention administrative, qui ont une vocation nationale, reçoivent, dans la limite de leur capacité d’accueil et sans considération de la compétence géographique du préfet ayant pris l’arrêté de placement en rétention, les étrangers mentionnés à l’alinéa précédent quel que soit le lieu de leur résidence ou de leur interpellation. Le préfet ayant procédé au placement en rétention de l’étranger exerce les compétences relatives à la mesure d’éloignement qu’il met à exécution jusqu’au terme de la procédure engagée quel que soit le lieu où l’étranger en cause est maintenu en rétention ». En vertu de l’article R. 553-2 du même code, « les centres de rétention administrative sont placés sous la responsabilité du préfet territorialement compétent et, à Paris, du préfet de police, qui désigne par arrêté le chef du centre (…) ». L’article R. 553-3 du même code prévoit que la capacité d’accueil des centres est fixée à 140 places au maximum et fixe les normes applicables aux équipements de type hôtelier et aux prestations de restauration collective qu’ils assurent.
Sur la requête d’appel du ministre de l’intérieur :
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l’article 1er de l’ordonnance du 15 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris :
9. Ainsi qu’il a été dit au point 2, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint aux autorités administratives compétentes, par l’article 1er de son ordonnance du 15 avril 2020, de ne pas placer d’étrangers en rétention dans le centre de rétention administrative de Vincennes durant une période de quatorze jours à compter de sa notification, soit jusqu’au 29 avril 2020. Cette injonction ayant cessé de produire ses effets à la date de la présente ordonnance, il n’y a pas lieu de statuer, dans cette mesure, sur les conclusions de la requête d’appel du préfet.
En ce qui concerne les conclusions dirigées, à titre principal, contre l’article 3 de l’ordonnance du 15 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris et, à titre subsidiaire, contre son ordonnance du 24 avril 2020 en tant qu’elle maintient l’injonction prononcée au titre de cet article :
10. Par l’article 3 de son ordonnance du 15 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint aux autorités administratives compétentes de lever la rétention de tout étranger qui serait testé positif au covid-19 et de l’orienter vers un centre de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France. Par son ordonnance du 24 avril 2020, rendue sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, il n’a mis fin à cette injonction que pour deux étrangers nominativement désignés. Le ministre de l’intérieur soutient qu’eu égard aux mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire du centre de rétention administrative de Vincennes, le maintien dans les lieux des étrangers testés positifs au covid-19 ne saurait être regardé comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit des intéressés et des autres personnes retenues dans le centre ou y intervenant au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ou au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé. Il indique, en outre, que les étrangers qui demeurent actuellement placés en rétention administrative, dont le nombre s’est considérablement réduit – cent-quatre-vingt-onze sur l’ensemble du territoire, dont dix-sept dans le centre de rétention administrative de Vincennes – présentent un risque particulier de troubles à l’ordre public.
Quant à la fin de non-recevoir soulevée par l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres :
11. L’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres soutiennent que l’injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Paris se borne à reprendre les termes d’une « instruction » du ministre des solidarités et de la santé diffusé dans les centres de rétention administrative le 17 mars 2020, selon laquelle, en cas d’infection par le covid-19, il y a lieu de procéder à la levée de la rétention de la personne concernée et d’envisager son orientation vers un centre d’hébergement dédié aux personnes atteintes de cette maladie. Ils en déduisent que les conclusions dirigées contre cette injonction seraient irrecevables.
12. Toutefois, la circonstance qu’une injonction prononcée par le juge administratif réitèrerait les termes d’une instruction administrative ne saurait, par elle-même, rendre irrecevables des conclusions d’appel tendant à son annulation. La fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs ne peut, par suite, qu’être rejetée.
Quant à l’injonction prononcée par l’article 3 de l’ordonnance attaquée :
13. En premier lieu, il résulte de l’instruction que le fonctionnement du centre de rétention de Vincennes a fait l’objet d’un certain nombre de réaménagements. L’une des deux structures, le « CRA 1 », a été totalement fermée. Les personnes retenues ont été réparties entre les deux bâtiments de l’autre structure, dits « CRA 2A » et CRA 2B « . Le » CRA 2B « est désormais dédié à l’accueil des étrangers contaminés par le covid-19. Les deux bâtiments, qui peuvent accueillir chacun vingt-huit personnes en chambre individuelle, sont séparés et disposent l’un et l’autre de sanitaires et de douches, d’un réfectoire, d’une cour de promenade, de cabines téléphoniques, d’un local de distribution de denrées alimentaires, cigarettes et boissons, d’une fontaine à eau, d’une salle de télévision et de jeux vidéo, d’équipements sportifs et d’une salle de détente. Il existe un cabinet de consultation médicale par bâtiment. Une répartition des personnels intervenant dans chacun des deux bâtiments a été mise en place, qu’il s’agisse des policiers ou des infirmiers, afin d’assurer l’étanchéité de leurs fonctionnements respectifs. L’ensemble des fonctionnaires concernés a fait l’objet d’une campagne de dépistage. Les fonctionnaires intervenant dans le » CRA 2B « sont dotés d’une protection destinée à les prémunir contre les risques de contamination (masques, visières, gants, blouse…). Tout étranger testé positif au covid-19 est doté quotidiennement de masques et de gants. Une société spécialisée dans la désinfection et la contamination des locaux, distincte de celle assurant les prestations de ménage et de désinfection du » CRA 2A « , intervient en principe six jours sur sept dans l’ensemble des locaux du » CRA 2B « avec des exigences renforcées et doit intervenir sept jours sur sept si le nombre des personnes retenues atteint quatre. Si le nombre des personnes retenues est inférieur à quatre, la zone administrative du » CRA 2B » fait l’objet d’un nettoyage le dimanche par une autre société.
14. Les défendeurs soutiennent, il est vrai, que le point d’accueil du centre de rétention serait commun aux deux bâtiments, de même que la salle des coffres et la salle de visio-conférence. Toutefois, s’agissant des locaux auxquels peuvent effectivement avoir accès les étrangers retenus hébergés dans le « CRA 2B », d’une part, les coffres se trouvent désormais dans des salles distinctes pour les occupants des deux centres et, d’autre part, s’agissant de la salle de visio-conférence, effectivement utilisée par des étrangers retenus dans le « CRA 2A », une désinfection complète du local et du poste est réalisée quotidiennement et, en outre, après chaque passage d’une personne testée positive au virus covid-19.
15. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, que le maintien en rétention, dans le « CRA 2B », d’un nombre très réduit d’étrangers contaminés présenterait, pour leur santé et pour la sécurité sanitaire des personnes intervenant dans ce bâtiment et des personnes résidant dans le « CRA 2A », et sous réserve d’une aggravation de leur état de santé nécessitant une hospitalisation, des risques caractérisés et, en tout état de cause, supérieurs à ceux qui seraient encourus en cas de transfert des intéressés dans un centre géré par l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France. Au surplus, à la date de la présente ordonnance, un seul étranger testé positif au covid-19 demeure en rétention dans le « CRA 2B ».
16. En deuxième lieu, les défendeurs font valoir qu’aucune perspective raisonnable d’éloignement ne serait envisageable en ce qui concerne les étrangers testés positifs au covid-19 et que le maintien de leur rétention serait ainsi dépourvu de toute justification. Il résulte toutefois de l’instruction que la crise sanitaire actuelle n’a pas mis fin à l’éloignement des étrangers du territoire, soixante-huit étrangers, retenus dans différents centres de rétention, ayant fait l’objet d’un tel éloignement depuis le 17 mars 2020. A la date de la présente ordonnance, sur l’ensemble du territoire, des éloignements sont en cours de préparation, sous réserve de l’accord des Etats concernés, pour quatre-vingt quatorze étrangers relevant de cinq nationalités. S’il est acquis, et non contesté par le ministre de l’intérieur, qu’aucun étranger contaminé par le virus covid-19 ne saurait faire l’objet d’un éloignement tant qu’il demeure malade et contagieux, il n’apparaît pas que les perspectives d’éloignement effectif du territoire d’un étranger retenu, une fois guéri, seraient, par principe, inexistantes. Il appartient, en tout état de cause, au juge des libertés et de la détention de mettre fin à la rétention s’il estime que l’éloignement de l’étranger n’est pas ou n’est plus envisageable.
17. En troisième lieu, compte tenu des aménagements apportés au fonctionnement du centre de rétention administrative de Vincennes depuis le début de la crise sanitaire liée au covid-19, les règles générales formulées dans l’ « instruction » du ministre des solidarités et de la santé du 17 mars 2020, mentionnée au point 11, élaborée au vu de la situation existant à cette date dans l’ensemble des centres de rétention, ne sauraient, en tout état de cause, faire obstacle au maintien en rétention, dans le bâtiment « CRA 2B » du centre de Vincennes, des étrangers ayant contracté cette affection. Il résulte, en outre, de l’instruction qu’à la suite de l’intervention de l’ordonnance du 15 avril 2020, l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, qui n’avait pas été appelée à présenter d’observations dans le cadre de l’instance devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris, a informé le préfet de police de Paris qu’elle n’était pas en mesure d’accueillir dans les centres d’hébergement dits » Covid+ « , créés pour des personnes contaminées mais ne disposant pas de domicile personnel ou hébergées en structure collective, des personnes susceptibles de présenter un risque important de trouble à l’ordre public, en l’absence de dispositif adapté et compte tenu du risque de compromettre le bon fonctionnement de ces établissements.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’intérieur est fondé à soutenir que le maintien au centre de rétention administrative de Vincennes d’étrangers testés positifs au covid-19 ne porte pas, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ou au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé. Il y a lieu, par suite, de faire droit aux conclusions de sa requête d’appel tendant à l’annulation de l’article 3 de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 15 avril 2020. Les dispositions de l’article L. 761 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres tendant à leur application et à celle de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, non plus qu’à leurs conclusions tendant à ce que les défendeurs retenus au centre de rétention administrative soient admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.
O R D O N N E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du ministre de l’intérieur tendant à l’annulation de l’article 1er de l’ordonnance du 15 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris.
Article 2 : L’article 3 de l’ordonnance du 15 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : Les conclusions de l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers » et autres tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l’admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l’intérieur, à l’association « Avocats pour la défense des droits des étrangers, » premier défendeur dénommé, et à l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.