S’agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions, le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction.

Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 03 juin 2020, 420736

Cf. CE, 27 mai 2019, Ministre de la cohésion des territoires et Société MSE La Tombelle, n°s 420554 420575, à mentionner aux Tables. Rappr., s’agissant de la procédure de régularisation sur le fondement de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, CE, Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, p. 380.

Rappr., s’agissant de la prise en compte de l’évolution des règles d’occupation du sol pour apprécier si le vice entachant un permis initial a été régularisé par un permis modificatif, CE, 7 mars 2018, Mme Bloch, n° 395963, p. 65.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 420736
ECLI:FR:CECHR:2020:420736.20200603
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10e et 9e chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT, avocats

Lecture du mercredi 3 juin 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme F… D…, Mme E… D… et M. A… D… en premier lieu, la société Cocimes en deuxième lieu et le syndicat des copropriétaires de la résidence « Altitude 1870 » en troisième lieu ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 5 avril 2012, 12 septembre 2012 et 12 juillet 2013 par lesquels le maire de Saint-Bon-Tarentaise (Savoie) a successivement délivré un permis de construire et deux permis de construire modificatifs à la société Alexandra pour la construction d’un chalet à usage d’habitation sur un terrain situé route de Nogentil.

Par trois jugements n° 1202976, 1206067, 1304496, n° 1203028, 1205955, 1304884 et n° 1204595, 1206066, 1305012 du 9 juin 2015, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces permis de construire.

Par un arrêt n° 15LY02376, 15LY02379, 15LY02383 15LY02745, 15LY02746, 15LY02747 du 13 mars 2018, la cour administrative d’appel de Lyon a, sur appel de la société Alexandra et de la commune de Saint-Bon-Tarentaise, devenue commune nouvelle de Courchevel, annulé le jugement n° 1202976, 1206067, 1304496 du tribunal administratif de Grenoble du 9 juin 2015 ainsi que les arrêtés du maire de Saint-Bon-Tarentaise des 5 avril 2012, 12 septembre 2012 et 12 juillet 2013 délivrant des permis de construire à la société Alexandra et jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation des autres jugements du même jour.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mai 2018, 16 août 2018 et 24 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Alexandra demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge des consorts D… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme C… B…, c onseiller d’Etat,

— les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Alexandra, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme F… D…, de M. E… D… et de M. A… D… et à la SCP Waquet, Frage, Hazan, avocat de la société Cocimes ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des arrêtés des 5 avril 2012, 12 septembre 2012 et 12 juillet 2013, le maire de Saint-Bon-Tarentaise, commune à laquelle s’est substituée la commune nouvelle de Courchevel le 1er janvier 2017, a délivré un permis de construire et deux permis de construire modificatifs à la société Alexandra en vue de la construction d’un chalet d’habitation sur un terrain situé rue de Nogentil, en zone UC du plan local d’urbanisme de la commune approuvé par délibération du 17 novembre 2011. La société Alexandra et la commune de Courchevel ont relevé appel des trois jugements du 9 juin 2015 par lesquels le tribunal administratif de Grenoble, faisant droit aux demandes respectives des consorts D…, de la société Cocimes et du syndicat des copropriétaires de la résidence « Altitude 1870 », a annulé ces permis de construire. Par un arrêt du 13 mars 2018, contre lequel la société Alexandra se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement ainsi que les arrêtés susmentionnés.

2. Pour annuler le permis de construire et les deux permis de construire modificatifs délivrés les 5 avril 2012, 12 septembre 2012 et 12 juillet 2013 par le maire de Saint-Bon-Tarentaise à la société Alexandra, la cour s’est fondée, en application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, sur trois motifs tirés respectivement de la méconnaissance des prescriptions de l’article UC 9 du règlement du plan local d’urbanisme sur l’emprise au sol, de l’article UC 11 sur les accidents de toiture et de l’article UC 10 sur les règles de hauteur, et a estimé qu’il n’y avait pas lieu de surseoir à statuer afin de permettre une régularisation en application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme.

Sur l’intérêt à agir des époux D… :

3. Pour écarter la fin de non-recevoir soulevée devant elle par la société Alexandra, tirée de ce que les époux D… ne justifiaient pas d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir des permis de construire en litige, la cour administrative d’appel a notamment relevé que la parcelle bâtie dont ils sont propriétaires n’est séparée du terrain d’assiette du projet en débat que par la route de Nogentil. En se référant ainsi à leur qualité de voisins immédiats, la cour administrative d’appel, qui a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas méconnu la portée des écritures de la société Alexandra, n’a pas commis d’erreur de droit.

Sur la légalité des permis de construire :

4. En premier lieu, aux termes de l’article UC 9 du règlement du plan local d’urbanisme de Saint-Bon-Tarentaise approuvé le 17 novembre 2011 : « Le coefficient d’emprise au sol est de 0,25 ». Selon le point 16 de l’article 9 de ce règlement dans sa rédaction issue d’une délibération du 19 juillet 2012 tirant les conséquences de l’ordonnance du 16 novembre 2011 relative à la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le code de l’urbanisme et du décret du 29 décembre 2011 pris pour son application, l’emprise au sol « correspond à la surface de la construction édifiée au sol calculée au nu extérieur de la construction ». Par ailleurs, aux termes de l’article R. 420-1 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable en l’espèce : « L’emprise au sol (…) est la projection verticale du volume de la construction, tous débords et surplombs inclus ».

5. D’une part, si le règlement du plan local d’urbanisme peut préciser la portée de la notion d’emprise au sol définie par l’article R. 420-1 du code de l’urbanisme, il ne saurait être regardé comme lui conférant une tout autre acception. Par suite, c’est sans erreur de droit et sans contradiction de motifs que la cour a considéré, par un arrêt suffisamment motivé, que l’emprise au sol s’entend en principe, en application de l’article R. 420-1 du code de l’urbanisme, comme la projection verticale du volume de la construction tous débords et surplombs inclus, en l’absence de prescriptions particulières sur ce point dans le document d’urbanisme et qu’en l’espèce il convenait de prendre en compte la projection des balcons s’incorporant au gros-oeuvre de la construction sur les façades nord, sud et est de la construction.

6. D’autre part, c’est sans erreur de droit et sans contradiction de motifs que la cour a considéré que, bien que partiellement enterrée compte tenu de la pente du terrain naturel, la surface du niveau 0 accessible de plain-pied devait également être prise en compte dans la détermination de l’emprise au sol du projet.

7. En deuxième lieu, aux termes du 4° de l’article UC 11 du règlement du plan local d’urbanisme de Saint-Bon-Tarentaise relatif à l’aspect extérieur des constructions : « Accidents de toiture : 4.1 – Ne sont autorisées que les lucarnes telles que définies à l’article 7-6 des dispositions générales et les excroissances de toitures telles que les souches de cheminée, antennes, cages et machineries d’ascenseur, système de ventilation et climatisation (…) ». Le point 7 de l’article 9 de ce règlement définit l’accident de toiture comme : « un terme qui se rapporte plus particulièrement à toutes modifications du plan de la toiture (…). Ces modifications ne peuvent se présenter que sous la forme de lucarnes et seules les lucarnes figurant au croquis page 11 ainsi que celles s’y apparentant sont autorisées ». En estimant, par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, qu’eu égard à leurs dimensions et à leurs caractéristiques architecturales, tant les baies ouvrant sur un balcon que l’ouvrage vitré donnant sur la cage d’escalier, qui dans leur partie supérieure forment des accidents de toiture en façades nord et sud, ne pouvaient être regardés comme des lucarnes ni comme des ouvrages s’y apparentant au sens de l’article UC 11, la cour n’a pas méconnu ces dispositions, ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

8. En troisième lieu, aux termes de l’article UC 10 du règlement du plan local d’urbanisme de Saint-Bon-Tarentaise : « La hauteur maximale des constructions ne doit pas dépasser 10 m 50 (…) ». Le point 12 de l’article 9 de ce règlement définit la hauteur des constructions comme : « la différence d’altitude entre tout point de la construction et sa projection à la verticale sur le terrain naturel sans prise en compte des éléments techniques ». Le point 1 du même article définit le terrain naturel comme : « le niveau du terrain existant avant la demande d’autorisation d’urbanisme ». Si le rapport de présentation du plan local d’urbanisme indique, s’agissant du terrain naturel à retenir en cas de reconstruction, qu’il convient de se référer au niveau du terrain naturel constaté avant la réalisation du bâtiment à détruire, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces précisions n’ont pas été reprises dans le règlement. Par suite, c’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis que la cour a écarté les dispositions du rapport de présentation, qui n’ont pas de valeur réglementaire, pour se référer au niveau du rez-de-chaussée de la construction préexistante intégrant la surélévation de ce bâtiment, qui s’établit à la cote 1864, 34, comme terrain naturel existant avant la demande d’autorisation d’urbanisme.

Sur l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :

9. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable à la date de l’arrêt attaqué : « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».

10. Ces dispositions permettent au juge, lorsqu’il constate qu’un vice entachant la légalité du permis de construire peut être régularisé par un permis modificatif, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. S’agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction.

11. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué qu’alors que la société Alexandra faisait valoir que le nouveau plan local d’urbanisme approuvé le 31 janvier 2017 avait supprimé tout coefficient d’emprise au sol et modifié la définition des accidents de toiture, la cour a décidé de ne pas faire application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme au motif que les vices affectant la légalité des permis en litige ne pouvaient, eu égard à leur ampleur, à leur nature et à la configuration du terrain, donner lieu à des modifications ne remettant pas en cause la conception générale du projet. En refusant de tenir compte de la circonstance que certains de ces vices avaient, en l’état du nouveau plan local d’urbanisme, disparu à la date à laquelle elle statuait, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. Toutefois, c’est au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu’elle a pu juger que les vices subsistant au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle elle statuait n’étaient en tout état de cause pas susceptibles de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur. Ce motif est à lui seul de nature à justifier le refus de la cour de faire application de ces dispositions.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Alexandra n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Son pourvoi doit donc être rejeté, y compris les conclusions présentées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Au titre de ces dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Alexandra une somme de 3 000 euros à verser d’une part, aux consorts D… et d’autre part, à la société Cocimes.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Le pourvoi de la société Alexandra est rejeté.

Article 2 : La société Alexandra versera une somme de 3 000 euros d’une part, aux consorts D… et d’autre part, à la société Cocimes, au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCI Alexandra, à la commune nouvelle de Courchevel, à la SCI Cocimes et à Mme F… D…, première dénommée.

Copie en sera adressée au syndicat des copropriétaires de la résidence « Altitude 1870 ».

Le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

CE, 6e – 5e ch. réunies, Association la Demeure Historique, Association « Fédération environnement durable » et autres 3 avr. 2020, n° 426941, Lebon T

Article R. 611-7-2 du code de justice administrative (CJA) fixant, pour le contentieux des décisions exigées par l’installation des éoliennes, qui relève de la compétence en premier et dernier ressort des cours administratives d’appel (CAA) en application de l’article R. 311-5 du même code, un délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense à l’issue duquel les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux.

Cette limitation du délai ouvert aux parties pour présenter leurs moyens est subordonnée à la communication aux parties du premier mémoire en défense dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du CJA. Ces dispositions laissent aux parties un délai de deux mois pour présenter, le cas échéant, tout moyen nouveau. La faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Texte intégral
Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 426941, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 janvier 2019 et 29 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, l’association La demeure historique demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir les articles 23 et 24 du décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement ;

2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 427388, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 janvier et 5 avril 2019 et le 2 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, les associations Fédération environnement durable, Vent de colère ! Fédération nationale, Vieilles maisons françaises, Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et Patrimoine et environnement demandent au Conseil d’État :

1°) à titre principal, d’annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel la question de savoir si le décret attaqué est conforme au droit de l’Union européenne, notamment aux objectifs de l’article 9 § 3 de la convention d’Aarhus et à son préambule ainsi qu’à l’objectif de protection juridictionnelle effective des droits conférés par le droit de l’Union ;

3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

 – la Constitution, notamment son Préambule ;

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;

 – le code de l’environnement ;

 – la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

— les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l’association Fédération environnement durable et autres, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre avocat de France énergie éolienne, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat d’Electricité de France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 mars 2020, présentée par l’association La Demeure historique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 mars 2010, présentée par le Premier ministre ;

Considérant ce qui suit :

1. La requête de l’association La demeure historique et celle de l’association Fédération environnement durable et autres sont dirigées contre le décret du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l’intervention de l’association France énergie éolienne :

2. L’association France énergie éolienne justifie, eu égard à son objet statutaire, d’un intérêt suffisant au maintien du décret attaqué par les associations requérantes. Ainsi, son intervention en défense est recevable.

Sur les conclusions à fin d’annulation du décret attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe du décret :

3. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers, notamment de l’avis du Conseil d’État en date du 22 octobre 2018 dont le texte a été versé au dossier par le ministre de la transition écologique et solidaire, que le texte du décret attaqué ne diffère pas de celui qu’a adopté le Conseil d’État. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait intervenu sans que soient respectées les règles régissant la consultation du Conseil d’Etat ne peut qu’être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l’article 22 de la Constitution : « Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ». S’agissant d’un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l’exécution de cet acte. Le décret attaqué n’appelant pas de mesure d’exécution de la part du garde des sceaux, ministre de la justice, le moyen tiré du défaut de contreseing de ce ministre doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne du décret :

S’agissant des articles 4, 10 et 11 du décret attaqué :

5. Aux termes du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, les autorités s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, du « principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

6. En premier lieu, l’article 4 du décret attaqué complète l’article R. 181-13 du code de l’environnement pour prévoir que le pétitionnaire peut inclure dans le dossier de demande d’autorisation environnementale une synthèse des mesures envisagées sous forme de propositions de prescriptions de nature à assurer le respect des dispositions des articles L. 181-3, L. 181-4 et R. 181-43 du même code, sans que la faculté ainsi offerte au pétitionnaire n’ait d’incidence sur la prise en compte par l’administration décisionnaire de l’avis de l’autorité environnementale.

7. En deuxième lieu, l’article 10 du décret attaqué complète l’article R. 181-45 du code de l’environnement pour prévoir que le projet d’arrêté portant prescriptions complémentaires est communiqué par le préfet à l’exploitant d’une installation disposant d’une autorisation environnementale, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit. Il modifie la même disposition pour porter de deux à quatre mois le délai à l’issue duquel le silence gardé par l’administration vaut décision implicite de rejet d’une demande de l’exploitant tendant à l’adaptation des prescriptions imposées par l’autorisation environnementale. Ce délai est porté de trois à cinq mois lorsque le préfet sollicite l’avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ou du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques.

8. Enfin, l’article 11 du décret attaqué se borne à adapter le délai laissé à certaines autorités de l’Etat pour rendre leur avis sur les projets pouvant faire l’objet d’une autorisation temporaire au titre de la police de l’eau, d’une durée maximale de six mois, renouvelable une fois, lorsque sont en cause un ouvrage, une installation, un aménagement, des travaux ou une activité qui ont une durée inférieure à un an et n’ont pas d’effets importants et durables sur les eaux ou le milieu aquatique, en complétant l’article R. 214-23 du code de l’environnement pour prévoir que le délai imparti au directeur général de l’agence régionale de santé et aux autres services de l’Etat concernés pour rendre leur avis est fixé à quinze jours.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux trois points précédents que les dispositions contestées des articles 4, 10 et 11 du décret attaqué n’ont ni pour objet, ni pour effet d’affaiblir la protection de l’environnement assurée par les normes réglementaires modifiées. Les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de non-régression mentionné par l’article L. 110-1 du code de l’environnement ne peuvent donc qu’être écartés.

S’agissant de l’article 23 du décret attaqué :

10. L’article R. 311-5 du code de justice administrative, créé par l’article 23 du décret attaqué, confie aux cours administratives d’appel le jugement en premier et dernier ressort de l’ensemble du contentieux des décisions qu’exige l’installation des éoliennes terrestres. Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles R. 311-5 et R. 431-11 du code de justice administrative que le ministère d’avocat est obligatoire dans ces litiges portés devant les cours administratives d’appel.

11. En premier lieu, ni les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni les stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni aucun principe général du droit ne consacrent l’existence d’une règle de double degré de juridiction qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort. Par suite, le moyen tiré de ce que l’article 23 du décret attaqué méconnaitrait le droit d’exercer un recours effectif et le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle doit être écarté.

12. En deuxième lieu, l’obligation du ministère d’avocat devant les cours administratives d’appel statuant en premier et dernier ressort a pour objet tant d’assurer aux justiciables la qualité de leur défense que de concourir à une bonne administration de la justice, en imposant le recours à des professionnels du droit. Eu égard à l’existence d’un dispositif d’aide juridictionnelle, l’obligation du ministère d’avocat dans le contentieux des décisions qu’exige l’installation d’éoliennes terrestres ne saurait être regardée comme portant atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

13. En troisième lieu, pour les mêmes raisons et en tout état de cause, les dispositions attaquées ne méconnaissent pas les stipulations du paragraphe 3 de l’article 9 de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998.

14. En quatrième lieu, compte tenu des éléments relevés aux points 11 et 12 ci-dessus, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 23 du décret attaqué méconnaîtraient le principe de non-régression mentionné par l’article L. 110-1 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté. De même, le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement doit être écarté.

15. En cinquième lieu, les dispositions attaquées ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la justice, dès lors que les justiciables se trouvant dans une même situation bénéficient, pour une même catégorie de litiges, de la même procédure.

16. En dernier lieu, eu égard à l’objectif de réduction des délais de traitement des recours pouvant retarder la réalisation de projets d’éoliennes terrestres conformes à la réglementation et concourant à la satisfaction des objectifs fixés par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissante verte en matière d’énergies renouvelables, le décret attaqué, en ce qu’il confie aux cours administratives d’appel le jugement en premier et dernier ressort de l’ensemble du contentieux des décisions qu’exige l’installation de ces éoliennes, n’est entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

S’agissant de l’article 24 du décret attaqué :

17. L’article 24 du décret attaqué introduit dans le code de justice administrative un article R. 611-7-2 ainsi rédigé : « Par dérogation à l’article R. 611-7-1, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1, lorsque la juridiction est saisie d’une décision mentionnée à l’article R. 311-5, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative. / Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie ».

18. En premier lieu, l’obligation faite aux parties par ces dispositions de soulever les moyens au soutien de leurs conclusions dans le délai prévu par l’article R. 611-7-2 du code de justice administrative concourt à assurer la célérité et l’efficacité de la procédure juridictionnelle dans le contentieux des décisions qu’exige l’installation des éoliennes terrestres. Contrairement à ce qui est soutenu par les associations requérantes, une telle obligation ne méconnaît pas le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

19. En deuxième lieu, pour les mêmes raisons et en tout état de cause, les dispositions attaquées ne méconnaissent pas les stipulations du paragraphe 3 de l’article 9 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998.

20. En troisième lieu, la limitation du délai ouvert aux parties pour présenter leurs moyens est subordonnée à la communication aux parties du premier mémoire en défense dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative. Les dispositions attaquées laissent aux parties un délai de deux mois pour présenter, le cas échéant, tout moyen nouveau. La faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Dans ces conditions, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l’article 24 du décret attaqué méconnaissent le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle.

21. En quatrième lieu, si la cristallisation des moyens peut représenter une contrainte pour les requérants dans un contentieux marqué par une certaine technicité, les dispositions attaquées ne méconnaissent pas pour autant le principe d’égalité des armes. Au demeurant, les procédures d’information et de participation du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement sont de nature à permettre aux justiciables d’avoir accès au dossier avant que ne soit prise la décision qu’ils entendent contester devant le juge administratif.

22. En dernier lieu, compte tenu des éléments relevés aux points 18, 19 et 21 ci-dessus, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 24 du décret attaqué méconnaîtraient le principe de non-régression mentionné par l’article L 110-1 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté. De même, le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement doit être écarté.

S’agissant du décret attaqué en son entier :

23. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que le cumul des dispositions critiquées du décret emporterait une régression de la protection de l’environnement et entacherait le décret d’une erreur manifeste d’appréciation ne peuvent qu’être écartés.

24. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du décret qu’elles attaquent. Par suite, leurs requêtes doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

————–

Article 1er : L’intervention de la société France énergie éolienne est admise.

Article 2 : Les requêtes nos 426941 et 427388 sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association La Demeure historique, à l’association Fédération environnement durable, représentante désignée, pour les autres requérantes, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire et à l’association France énergie éolienne.