La seule circonstance qu’un bien demeurant effectivement proposé à la location soit mis en vente n’est pas de nature à priver le contribuable du bénéfice du dégrèvement prévu au I de l’article 1389 du code général des impôts (CGI).

CE, 9-10 chr, 5 juin 2020, n° 423066, Lebon T

Texte intégral
Conseil d’État

N° 423066
ECLI:FR:CECHR:2020:423066.20200605
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème – 10ème chambres réunies
Mme Cécile Nissen, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CAPRON, avocats

Lecture du vendredi 5 juin 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles il a été assujetti dans les rôles de la commune de Darnétal (Seine-Maritime) au titre des années 2014 et 2015. Par un jugement n° 1603471 du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 18DA01389 du 8 août 2018, le président de la cour administrative d’appel de Douai a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 6 juillet 2018 au greffe de cette cour, présenté par M. A….

Par ce pourvoi et par un nouveau mémoire, enregistré le 20 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Capron, avocat de M. A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A… est propriétaire d’une maison d’habitation dans la commune de Darnétal (Seine-Maritime) pour laquelle il a été assujetti à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2014 et 2015. M. A… demande l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen qui a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.

2. Aux termes de l’article 1415 du code général des impôts :  » La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d’habitation sont établies pour l’année entière d’après les faits existants au 1er janvier de l’année de l’imposition « .

3. Toutefois, le I de l’article 1389 du code général des impôts prévoit que :  » Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d’une maison normalement destinée à la location (…), à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance (…) jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel la vacance (…) a pris fin. Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance (…) soit indépendante de la volonté du contribuable, qu’elle ait une durée de trois mois au moins et qu’elle affecte soit la totalité de l’immeuble, soit une partie susceptible de location (…) séparée. « . Ces dispositions subordonnent le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties à la condition, notamment, que la vacance de l’immeuble normalement destiné à la location soit indépendante de la volonté du propriétaire, le caractère involontaire de la vacance s’appréciant eu égard aux circonstances dans lesquelles cette vacance est intervenue et aux démarches accomplies par le propriétaire, selon les possibilités qui lui étaient offertes, en fait comme en droit, pour la prévenir ou y mettre fin.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A… qui habite à Créteil, a acquis à Darnétal une maison d’habitation qui a été donnée en location. Dès qu’il a été avisé du préavis du départ de ses locataires, fixé au 30 septembre 2013, M. A… a confié un mandat de recherche de nouveaux locataires à une agence immobilière, le 26 juin 2013. Ce mandat a été renouvelé les 23 octobre et 2 décembre 2013, avec réduction du loyer demandé, celui-ci étant finalement fixé à un montant au mètre carré inférieur au prix moyen de location sur la commune. Aucun locataire n’ayant été trouvé et la situation financière de M. A… devenant délicate dès lors que les échéances de l’emprunt qu’il avait souscrit pour l’achat de la maison n’étaient plus couvertes par des revenus locatifs, celui-ci s’est résolu à proposer son bien à la vente et a mandaté à cette fin l’agence immobilière le 3 juin 2014. Le bien a été finalement vendu le 30 janvier 2015.

5. En premier lieu, la seule circonstance qu’un bien demeurant effectivement proposé à la location soit mis en vente n’est pas de nature à priver le contribuable du bénéfice du dégrèvement prévu au I de l’article 1389 du code général des impôts. Par suite, en jugeant qu’aucun dégrèvement ne pouvait être accordé à M. A… au motif qu’en raison du mandat de vente signé le 3 juin 2014 le bien n’était plus exclusivement destiné à la location, alors qu’il lui appartenait de rechercher si, alors même que la maison avait été mise en vente, M. A… avait effectivement poursuivi ses démarches pour trouver de nouveaux locataires ainsi qu’il le soutenait dans ses écritures, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

6. En second lieu, en jugeant qu’aucun dégrèvement ne pouvait être accordé à M. A… au titre de l’ensemble des années en litige, alors qu’en application des dispositions du I de l’article 1389 du code général des impôts la taxe est dégrevée du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel la vacance a pris fin, et que par suite, M. A… pouvait, en tout état de cause, prétendre au bénéfice de ces dispositions pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2014, le tribunal a aussi entaché son jugement d’erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A… est fondé à demander l’annulation du jugement qu’il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A… en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Rouen.

Article 3 : L’Etat versera à M. A… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre de l’action et des comptes publics.