Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 10/12/2021, 440458

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Mme G… H… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er août 2017 du directeur spécialisé des finances publiques pour l’assistance publique – hôpitaux de Paris en tant qu’elle lui interdit d’accéder aux locaux de la direction à compter du 2 août 2017. Par un jugement n° 1715884 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01222 du 5 février 2020, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par Mme H… contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 mai et 5 août 2020, ainsi que le 22 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme H… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
-la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
-la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
-le décret n°82-447 du 28 mai 1982 ;
-le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme H… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme H…, contrôleuse principale des finances publiques, s’est rendue le 1er août 2017 à la direction spécialisée des finances publiques (DSFP) pour l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, où elle était affectée jusqu’à la fin du mois. Par un courrier daté du même jour, le directeur spécialisé des finances publiques, après avoir listé les congés dont Mme H… devait bénéficier au cours du mois d’août 2017, lui a interdit de se présenter dans les locaux de la direction à compter du deuxième jour du même mois et lui a demandé de restituer la clef du local syndical et du panneau d’affichage syndical, ainsi que son badge. Par un jugement du 7 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté pour irrecevabilité la demande de Mme H… tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision en tant qu’elle lui interdit d’accéder aux locaux de la DSFP. Mme H… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 février 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement.

2. Les mesures prises à l’égard d’agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n’emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu’elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

3. Il ressort des énonciations non contestées de l’arrêt attaqué que Mme H… avait la qualité de responsable syndicale au sein de la DSFP et accédait à ce titre au local syndical ainsi qu’au panneau d’affichage syndical. La décision par laquelle le directeur spécialisé des finances publiques a interdit à Mme H… d’accéder aux locaux de la DSFP à compter du 2 août 2017 et lui a demandé de remettre la clef du local syndical et celle du panneau d’affichage syndical porte ainsi atteinte à l’exercice de la liberté syndicale qui est au nombre des droits et libertés fondamentaux. Par suite, elle ne présente pas le caractère d’une mesure d’ordre intérieur mais constitue un acte susceptible de recours. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que cette décision ne pouvait être regardée comme faisant grief à Mme H… au motif qu’elle était en congé au mois d’août et n’avait ainsi plus vocation à accéder à ces locaux, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit. Par suite et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme H… est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme H…, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 5 février 2020 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Paris.
Article 3 : L’Etat versera à Mme H… une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme G… H… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l’issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. I… F…, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A… N…, M. D… E…, Mme K… B…, M. L… C…, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d’Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
La secrétaire :
Signé : Mme J… M…

ECLI:FR:CECHR:2021:440458.20211210

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 10/12/2021, 437412

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. et Mme H… B… ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l’Etat à leur verser, d’une part, la somme de 1 200 118,87 euros en réparation de préjudices qu’ils estimaient avoir subis du fait de la faute commise par l’administration fiscale dans le cadre d’une procédure d’imposition suivie à leur encontre, et, d’autre part, la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice moral causé par la méconnaissance de leur droit à un délai raisonnable de jugement. Par un jugement no 1501798 du 6 avril 2017, ce tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 17BX01765 du 6 novembre 2019, la cour administrative d’appel de Bordeaux, sur appel de M. et Mme B…, a annulé ce jugement, condamné l’Etat à leur verser la somme de 75 530 euros et rejeté le surplus des conclusions de leur requête.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistré les 6 janvier et 9 novembre 2020 au secrétariat du Conseil d’Etat, le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande au Conseil d’Etat d’annuler les articles 1er à 3 de cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. et Mme B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B… ont fait l’objet d’un examen de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2002 à 2004, au terme duquel l’administration fiscale a écarté, sur le terrain de l’abus de droit, les donations des actions et parts de sociétés consenties à leurs enfants le 4 octobre 2003 en application des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. Le tribunal administratif de Poitiers puis la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté leurs recours, M. et Mme B… se sont acquittés, entre les mois de novembre 2011 et novembre 2013, selon un calendrier négocié avec l’administration fiscale, du paiement des impositions supplémentaires ainsi mises à leur charge. Par une décision n° 353822 du 9 avril 2014, le Conseil d’Etat a prononcé la décharge des impositions litigieuses, de sorte que l’administration a restitué aux requérants la somme de 5 637 139 euros, assortie du versement d’intérêts moratoires pour un montant de 475 703,26 euros. M. et Mme B… ont, par ailleurs, saisi le tribunal administratif de Pau d’une demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à les indemniser de la somme de 1 200 118,87 euros à raison de la faute commise à leur encontre par les services fiscaux, ainsi que la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice moral qu’ils estimaient avoir subi du fait de la méconnaissance de leur droit à un délai raisonnable de jugement. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre les articles 1er à 3 de l’arrêt du 6 novembre 2019 par lesquels la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Pau du 6 avril 2017 et condamné l’Etat à verser à M. et Mme B… une indemnité d’un montant de 75 530 euros.

2. Si le ministre faisait valoir en appel qu’aucune faute ne pouvait être reprochée à l’administration dans la mesure où la contrariété de la procédure d’abus de droit menée à l’encontre des contribuables avec les dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales n’était apparue qu’après la décision du Conseil d’Etat n° 330940 du 30 décembre 2011 qui a clarifié les critères permettant d’identifier un abus de droit en cas de donation-partage de titres suivie de leur cession, la cour, qui a implicitement mais nécessairement écarté ce moyen en retenant que l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat avait été révélée par la décision du Conseil d’Etat n° 353822 du 9 avril 2014 prononçant la décharge des suppléments d’impôt sur le revenu auxquels M. et Mme B… avaient été à tort assujettis au titre de l’année 2003, n’a pas entaché son arrêt d’insuffisance de motivation.

3. En revanche, aux termes de l’article L. 207 du livre des procédures fiscales :  » Lorsqu’une réclamation contentieuse est admise en totalité ou en partie, le contribuable ne peut prétendre à des dommages-intérêts ou à des indemnités quelconques, à l’exception des intérêts moratoires prévus par l’article L. 208 « . Aux termes de l’article L. 208 de ce livre :  » Quand l’Etat est condamné à un dégrèvement d’impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l’administration à la suite d’une réclamation tendant à la réparation d’une erreur commise dans l’assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d’intérêts moratoires dont le taux est celui de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du code général des impôts « .

4. Il résulte de ces dispositions qu’en cas de dégrèvement prononcé à la suite d’une réclamation portant sur l’assiette ou le calcul de l’impôt, le contribuable a droit à la perception des intérêts moratoires assis sur les impositions dégrevées, qui ont pour objet de tenir compte de la durée pendant laquelle le contribuable a été privé des sommes correspondantes, en compensant en particulier les effets de l’indisponibilité de celles-ci et les coûts de substitution que l’intéressé a été contraint d’exposer. Il peut également, le cas échéant, demander la réparation des préjudices causés par une faute de l’administration fiscale ne résultant pas du seul paiement de l’impôt, notamment ceux résultant des conséquences matérielles des décisions prises par l’administration ou des troubles causés dans ses conditions d’existence.

5. Il ressort des termes de l’arrêt attaqué qu’en réparation des intérêts d’emprunt et des frais de dossier que M. et Mme B… ont supportés pour acquitter les suppléments d’impôt indument mis à leur charge, la cour a condamné l’Etat à leur verser la somme de 70 530 euros alors que ce préjudice financier, résultant du coût du financement nécessaire au paiement de ces impôts supplémentaires, avait déjà été couvert par les intérêts moratoires, d’un montant de 475 703,26 euros, dont la restitution d’impôt avait été assortie. En faisant ainsi une application erronée des dispositions combinées des articles L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales, la cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre est seulement fondé à demander l’annulation de l’article 2 de l’arrêt qu’il attaque, en tant qu’il condamne l’Etat à verser à M. et Mme B… une indemnité d’un montant de 70 530 euros.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 4 et 5 ci-dessus que le préjudice subi par M. et Mme B… tenant aux intérêts d’emprunt et aux frais de dossier qu’ils ont dû supporter pour acquitter les suppléments d’impôt indument mis à leur charge a été indemnisé par le versement des intérêts moratoires d’un montant de 475 703,26 euros qui a accompagné la restitution de ces impositions. Les conclusions des requérants tendant à ce que l’Etat soit condamné à leur verser une indemnité de 70 530 euros en réparation de ce préjudice ne peuvent, par suite, qu’être rejetées.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’article 2 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 6 novembre 2019 est annulé en tant qu’il condamne l’Etat à verser à M. et Mme B… une indemnité d’un montant de 70 530 euros.
Article 2 : Les conclusions d’appel de M. et Mme B… tendant à ce que l’Etat soit condamné à leur verser la somme de 70 530 euros en réparation du préjudice correspondant aux intérêts d’emprunt et aux frais de dossier qu’ils ont supportés pour acquitter les suppléments d’impôt indument mis à leur charge, sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du ministre de l’action et des comptes publics est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. et Mme B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la relance et à M. et Mme H… B….
Délibéré à l’issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. I… G…, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A… N…, M. E… F…, Mme K… C…, M. L… D…, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d’Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Guiard
La secrétaire :
Signé : Mme J… M…

ECLI:FR:CECHR:2021:437412.20211210

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 445108

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Enedis a demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer l’annulation de deux titres exécutoires émis à son encontre le 21 juillet 2017 par le président de la communauté urbaine Creusot-Montceau (CUCM) pour des montants respectifs de 60 275,85 et 6 027,59 euros au titre de la redevance d’occupation provisoire de son domaine public en 2016. Par un jugement nos 1702302, 1702303 du 3 mai 2018, ce tribunal, après avoir joint ces demandes, a annulé les deux titres exécutoires contestés.

Par un arrêt n° 18LY02549 du 6 août 2020, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par la communauté urbaine Creusot-Montceau contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 octobre 2020 et 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la communauté urbaine Creusot-Montceau demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de l’énergie ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la communauté urbaine Creusot Montceau et au cabinet Munier-Apaire, avocat de Enedis ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le conseil communautaire de la communauté urbaine Creusot Montceau (CUCM) a institué, par deux délibérations des 4 novembre 2015 et 28 avril 2016, en application des dispositions de l’article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales, des redevances à la charge des opérateurs de transport et de distribution d’électricité en contrepartie, respectivement, de l’occupation du domaine public routier par leurs ouvrages et de l’occupation provisoire de ce domaine par les chantiers de travaux qu’ils réalisent et en a fixé le montant. Sur le fondement de ces délibérations, le président de la CUCM a émis, le 21 juillet 2017, deux titres exécutoires à l’encontre de la société Enedis d’un montant respectif de 60 275,85 euros et de 6 027,59 euros. La société Enedis a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler ces titres exécutoires. Par un jugement du 3 mai 2018, ce tribunal a fait droit à sa demande. La CUCM se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 6 août 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l’article L. 5215-20-1 du code général des collectivités territoriales :  » I. ‘ Les communautés urbaines existant à la date de promulgation de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 (…) continuent d’exercer à titre obligatoire, au lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : / (…) 11° Voirie et signalisation, création et entretien des infrastructures de charge de véhicules électriques ; (…) « . En vertu de l’article L. 5215-28 de ce code, les immeubles faisant partie du domaine public des communes appartenant à l’agglomération sont transférés en pleine propriété à la communauté urbaine, de même que les droits et obligations qui y sont attachés, au plus tard un an après les transferts de compétences. Aux termes de l’article L. 5211-36 du même code :  » Sous réserve des dispositions qui leur sont propres, les dispositions du livre III de la deuxième partie sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale « .

3. Aux termes de l’article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales :  » Le régime des redevances dues aux communes en raison de l’occupation de leur domaine public par les ouvrages de transport et de distribution d’électricité et de gaz et par les lignes ou canalisations particulières d’énergie électrique et de gaz, ainsi que pour les occupations provisoires de leur domaine public par les chantiers de travaux, est fixé par décret en Conseil d’Etat (…) « . Si ces dispositions se réfèrent seulement au domaine public communal, elles sont applicables, en vertu de l’article L. 5211-36 du même code, aux communautés urbaines, auxquelles a été transférée la voirie ainsi que les droits et obligations qui y sont attachés, afin qu’elles fixent les tarifs des redevances d’occupation dues par les opérateurs de transport et de distribution d’électricité et de gaz.

4. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond qu’à la date des délibérations en litige, la CUCM exerçait, sur le territoire de ses communes membres, la compétence relative à la voirie et que celle-ci lui avait été transférée en pleine propriété. Dès lors, la cour ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, se fonder, pour confirmer l’illégalité des titres exécutoires contestés, sur ce que cette communauté urbaine n’était pas habilitée à mettre en œuvre le régime prévu à l’article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales.

5. Il suit de là, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la CUCM est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le moyen tiré de l’absence de délégation régulière du signataire des titres exécutoires litigieux :

7. Aux termes de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci « . Si la société Enedis soutient, dans le dernier état de ses écritures, que le bordereau des titres exécutoires litigieux serait imprécis à cet égard, il en ressort toutefois qu’y figurent lisiblement le prénom, le nom et le titre de Mme G… D…, directrice générale adjointe des services de la CUCM, laquelle avait valablement reçu délégation pour les signer.

Sur le moyen tiré de l’applicabilité de l’article R. 2333-106 du code général des collectivités territoriales :

8. En vertu de l’article R. 2333-105 du code général des collectivités territoriales, pris pour l’application de son article L. 2333-84, la redevance due à la commune pour l’occupation de son domaine public par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’énergie électrique est fixée par le conseil municipal dans la limite de plafonds fixés par cet article selon un barème progressif en fonction de la population de la commune. Les redevances dues pour l’occupation provisoire du domaine public par les chantiers de travaux sur des ouvrages du réseau public de distribution d’électricité sont, en application de l’article R. 2333-105-2 du même code, fixées par le conseil municipal dans la limite du dixième du plafond prévu pour la redevance due par le gestionnaire du réseau de distribution au titre de l’article en application de l’article R. 2333-105.

9. L’article R. 2333-106 du même code, également pris pour l’application de l’article L. 2333-84, prévoit que :  » Lorsqu’une partie du domaine public communal est mise à la disposition d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte, dans les conditions fixées à l’article L. 1321-2 du présent code, la commune, l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte fixent, chacun en ce qui le concerne, le montant des redevances dues pour l’occupation du domaine public qu’ils gèrent par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’énergie ou par les chantiers de travaux sur ces ouvrages. / Le montant de la redevance mentionnée à l’article R. 2333-105 fixé par chacun des gestionnaires mentionnés à l’alinéa précédent est alors limité à un montant égal au plafond calculé dans les conditions fixées par l’article R. 2333-105 du présent code et multiplié par un coefficient égal au rapport entre la longueur des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité installés sur leurs domaines respectifs et la longueur totale de ces réseaux installés sur le territoire de la commune. Le montant de la redevance mentionnée à l’article R. 2333-105-2 fixé par chacun des gestionnaires concernés est limité à un dixième de la redevance due à chacun d’eux au titre de l’occupation permanente de leurs domaines respectifs par les ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité « .

10. Il résulte des dispositions de l’article R. 2333-106 du code général des collectivités territoriales, cité ci-dessus, que lorsqu’une partie du domaine public d’une commune est mis à la disposition d’un établissement public de coopération intercommunale, l’un comme l’autre fixent le montant des redevances dues à raison de l’occupation, par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’énergie électrique, des dépendances domaniales dont ils sont gestionnaires, dans les limites du plafond communal global prévu par l’article R. 2333-105 du même code, réparti au prorata de l’occupation par ces réseaux de leur domaine public respectif. Ces dispositions s’appliquent également lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale est devenu propriétaire de dépendances du domaine public par l’effet d’un transfert de compétences. Ainsi, lorsque des ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’énergie électrique occupent à la fois le domaine public d’une communauté urbaine et celui de ses communes membres, les tarifs de la redevance instituée par la communauté urbaine à raison de l’occupation permanente de son propre domaine public par ces ouvrages doivent être fixés dans la limite, pour chacune des communes, d’une fraction du plafond communal global, calculée au prorata de la longueur des réseaux installés sur ce domaine public par rapport à la longueur totale des réseaux installés sur le territoire de la commune concernée. De même, les tarifs de la redevance due à raison de l’occupation provisoire de ce domaine public pour les besoins de chantiers de travaux sur des ouvrages du réseau public de distribution d’électricité doivent être fixés dans la limite, pour chacune des communes, du dixième de cette même fraction.

11. Il résulte de l’instruction qu’à la date des délibérations fixant les redevances en litige, une partie des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité présents sur le territoire de la CUCM occupaient, non pas la voirie appartenant à cette dernière, mais des dépendances du domaine public de ses communes membres.

12. Dès lors, les délibérations des 4 novembre 2015 et 28 avril 2016 de la CUCM, qui fixent les tarifs au niveau maximal autorisé par le barème de l’article R. 2333-105 du code général des collectivités territoriales appliqué à la somme des populations de ses communes membres, méconnaissent la règle de plafonnement mentionnée au point 10 ci-dessus et sont illégales dans cette mesure. Toutefois, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, la société Enedis est seulement fondée, en excipant de cette illégalité, à demander l’annulation des titres litigieux en tant qu’ils ont mis à sa charge des sommes excédant le montant déterminé par application de cette règle.

13. Il y a lieu, par suite, de réformer en ce sens le jugement du tribunal administratif.

14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Enedis qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Enedis au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 6 août 2020 de la cour administrative d’appel de Lyon est annulé.
Article 2 : Les titres exécutoires du 21 juillet 2017 sont annulés en tant qu’ils ont mis à la charge de la société Enedis des sommes excédant celles calculées conformément à la règle énoncée au point 10 de la présente décision.
Article 3 : L’article 1er du jugement du 3 mai 2018 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu’il a de contraire à l’article 2 de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l’appel de la communauté urbaine Creusot-Montceau est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Enedis et par la communauté urbaine Creusot-Montceau au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la communauté urbaine Creusot-Montceau et à la société anonyme Enedis.
Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré à l’issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. I… M…, M. E… L…, M. J… H…, M. B… N…, Mme K… A…, M. Jonathan Bosredon, conseillers d’Etat et M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Ferrari
La secrétaire :
Signé : Mme C… F…

ECLI:FR:CECHR:2021:445108.20211210

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 449637

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) BNP Paribas a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, en premier lieu, la restitution partielle de la cotisation d’impôt sur les sociétés qu’elle a acquittée au titre de l’année 2007 et, en second lieu, la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos de 2005 à 2007, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1303525, 1308999 du 9 février 2015, le tribunal administratif de Montreuil, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 15VE01061 du 13 décembre 2017, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la société BNP Paribas contre ce jugement.

Par une décision n° 418108 du 10 juillet 2019, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire à la cour administrative d’appel de Versailles.

Par un arrêt n° 19VE02589 du 16 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Versailles a prononcé la décharge partielle des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles la société BNP Paribas a été assujettie au titre des années 2005 et 2006 et des pénalités correspondantes, ainsi de la cotisation primitive du même impôt que cette société a acquittée au titre de l’année 2007, a réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu’il avait de contraire et a rejeté le surplus des conclusions d’appel de cette société.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 25 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler les articles 1er à 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l’appel de la société.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention conclue le 9 septembre 1974 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus ;
– la convention conclue le 27 décembre 1974 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Thaïlande tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus ;
– la convention conclue le 9 janvier 1975 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus ;
– l’accord conclu le 30 mai 1984 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu ;
– la convention conclue le 29 septembre 1992 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde en vue d’éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus et sur la fortune ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société BNP Paribas ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 décembre 2021, présentée par la société BNP Paribas ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société BNP Paribas a imputé sur ses cotisations d’impôt sur les sociétés dues au titre des exercices clos en 2005, 2006 et 2007 des crédits d’impôts correspondant aux impositions acquittées en Chine, en Inde, en Thaïlande, aux Philippines et à Singapour à raison d’intérêts qui lui ont été versés par ses succursales implantées dans ces pays en rémunération de prêts qui leur avaient été consentis par le siège français. A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur ces exercices, l’administration fiscale a remis en cause l’imputation de ces crédits d’impôts. L’administration fiscale a en outre rejeté la demande de la société BNP Paribas tendant à l’imputation, qu’elle avait omis d’opérer dans sa déclaration, de crédits d’impôt correspondant à l’imposition supportée en Chine et aux Philippines à raison d’intérêts versés par ses succursales implantées dans ces pays au titre de son exercice clos en 2007. La société BNP Paribas a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, d’une part, la restitution, à concurrence des crédits d’impôt qu’elle avait omis d’imputer, des cotisations d’impôt sur les sociétés qu’elle a acquittées au titre de l’exercice clos en 2007 et, d’autre part, la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2005, 2006 et 2007 et des pénalités correspondantes. Par un jugement du 9 février 2015, le tribunal a rejeté ces demandes. Par un arrêt du 16 décembre 2020, la cour administrative de Versailles, statuant après annulation par le Conseil d’Etat d’un premier arrêt et renvoi de l’affaire, n’a fait droit aux conclusions de la société BNP Paribas qu’en ce qui concerne le bénéfice des crédits d’impôts correspondant aux impositions supportées en Chine à raison des revenus perçus de sa succursale établie dans ce pays. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre les articles 1er à 3 de cet arrêt, par lesquels la cour administrative d’appel a statué sur le bénéfice des crédits d’impôts d’origine chinoise. La société BNP Paribas, par la voie d’un pourvoi incident, demande l’annulation de l’article 4 de cet arrêt, par lequel la cour a rejeté le surplus de ses conclusions d’appel.

Sur le pourvoi du ministre :

2. Aux termes des paragraphes 1 et 2 de l’article 10 de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine, applicable au litige :  » 1. Les intérêts provenant d’un Etat contractant et payés à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces intérêts sont aussi imposables dans l’Etat contractant d’où ils proviennent et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les intérêts en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi ne peut excéder 10 p. cent du montant brut des intérêts « . Aux termes de l’article 22 du même accord :  » La double imposition est évitée de la manière suivante pour les deux Etats contractants : (…) / 2. En ce qui concerne la République française : (…) / b) Les revenus visés aux articles 9, 10, 11, 12, 15 et 16 provenant de Chine sont imposables en France, conformément aux dispositions de ces articles, pour leur montant brut. Il est accordé aux résidents de France un crédit d’impôt français correspondant au montant de l’impôt chinois perçu sur ces revenus mais qui ne peut excéder le montant de l’impôt français afférent à ces revenus ; / c) Aux fins de l’alinéa b et en ce qui concerne les éléments de revenu visés aux articles 9, 10 et 11, le montant de l’impôt chinois perçu est considéré comme étant égal à (…) 10 p. cent sur les intérêts (…), du montant brut de ces éléments de revenu (…) « . Aux termes de l’article 39 du code général des impôts :  » 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (…) « .

3. Les stipulations citées au point 2 prévoient, pour l’élimination de la double imposition née A… la possibilité reconnue concurremment à la France et à la Chine de taxer les intérêts de source chinoise perçus par une entreprise établie en France, que cette entreprise est imposable en France sur ces revenus, retenus pour leur montant brut, c’est-à-dire incluant le montant de l’impôt chinois tel que défini au c de l’article 22, mais qu’elle bénéficie d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt sur les sociétés dû en France, égal au montant de cet impôt chinois, dans la limite du montant de l’impôt français dû à raison de ces revenus. En l’absence de toute stipulation contraire dans la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine, le montant de l’impôt français dû à raison de ces revenus doit être déterminé en appliquant au montant brut de ces intérêts, c’est-à-dire incluant le montant de l’impôt chinois, l’ensemble des dispositions du code général des impôts relatives à l’impôt sur les sociétés. Par suite, en application de l’article 39 de ce code, il y a lieu, pour déterminer le montant de l’impôt français dû à raison de ces revenus, de déduire de ce montant brut l’ensemble des charges, exception faite de l’impôt chinois, qui sont directement liées à l’acquisition de ces intérêts et n’ont pas pour contrepartie un accroissement de l’actif, sauf exclusion par des dispositions spécifiques.

4. Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, pour écarter l’argumentation soulevée par le ministre de l’économie, des finances et de la relance tirée de ce que la règle dite  » du butoir  » faisait obstacle aux prétentions de la société BNP Paribas, que les stipulations de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine prévoyaient de ne pas tenir compte, pour déterminer le montant de l’impôt français dû à raison des intérêts de source chinoise, qui limite le montant imputable du crédit d’impôt dont dispose le contribuable à raison de l’imposition chinoise de ces revenus, des charges exposées pour leur acquisition, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

5. Le ministre est par suite fondé à demander l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt qu’il attaque.

Sur le pourvoi incident de la société BNP Paribas :

6. En premier lieu, aux termes de l’article 25 de la convention conclue le 29 septembre 1992 entre la France et l’Inde :  » Les doubles impositions sont évitées de la manière suivante. / 1. En ce qui concerne la France : / a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent de l’Inde et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la Convention, sont pris en compte pour le calcul de l’impôt français lorsqu’ils reviennent à un résident de France. L’impôt indien n’est pas déductible de ces revenus. Le bénéficiaire a droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français correspondant à ces revenus ; (…) « . Aux termes de l’article 23 de la convention conclue le 27 décembre 1974 entre la France et la Thaïlande, dont la rédaction est similaire à celle de l’article 23 de la convention conclue le 9 janvier 1976 entre la France et les Philippines et à celle de l’article 24 de la convention conclue le 9 septembre 1974 entre la France et Singapour :  » Les doubles impositions sont évitées de la manière suivante : / 1. Dans le cas de la France : (…) / b) En ce qui concerne les revenus visés aux articles 8, 10, 11, 12, 16 et 17 qui ont supporté l’impôt thaïlandais conformément aux dispositions desdits articles, la France accorde à un résident de France recevant de tels revenus de source thaïlandaise un crédit d’impôt correspondant au montant de l’impôt payé en Thaïlande (…) / Ce crédit d’impôt, (…) ne peut excéder le montant de l’impôt français perçu sur lesdits revenus (…) « . Sous réserve de l’inclusion, le cas échéant, dans l’assiette retenue pour déterminer l’impôt français dû à raison des revenus en cause, de l’impôt acquitté ou réputé acquitté dans ces pays, ces stipulations emportent les mêmes conséquences que celles exposées au point 3 s’agissant de la détermination du montant maximal du crédit d’impôt imputable sur l’impôt français au titre des intérêts perçus en provenance de ces pays.

7. Par suite, la société BNP Paribas n’est pas fondée à soutenir que la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en jugeant, pour faire droit à l’argumentation du ministre de l’économie, des finances et de la relance tirée de ce que l’application de la règle dite  » du butoir  » faisait obstacle à ses prétentions, que les stipulations des conventions fiscales en cause imposaient, pour déterminer le montant de l’impôt français dû à raison des intérêts perçus par une société établie en France en provenance d’Inde, de Thaïlande, des Philippines ou de Singapour, qui limite le montant imputable du crédit d’impôt dont dispose cette société à raison de l’imposition de ces revenus dans l’Etat de la source, de déduire les charges exposées pour leur acquisition.

8. En second lieu, eu égard à la nature et aux conditions d’exercice de leur activité, les intérêts et charges assimilées que les établissements bancaires exposent en rémunération des ressources dont ils disposent pour leurs activités de financement doivent être regardés comme des charges directement liées à l’acquisition des intérêts qu’ils perçoivent à raison des prêts et avances qu’ils consentent. Par suite, la société BNP Paribas n’est pas fondée à soutenir que la cour administrative d’appel, qui s’est au demeurant bornée à juger en l’espèce qu’elle n’apportait pas d’élément suffisant pour établir le montant des charges qu’elle avait exposées pour l’acquisition des intérêts perçus de ses succursales, aurait commis une erreur de droit en jugeant qu’une fraction des charges de financement mentionnées ci-dessus devait être regardée comme directement liée à l’acquisition des intérêts venant en rémunération des opérations sur créances en litige.

9. Il résulte de ce qui précède que la société BNP Paribas n’est pas fondée à demander l’annulation de l’article 4 de l’arrêt qu’elle attaque.

10. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative :  » Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire « . Il incombe, par suite, au Conseil d’Etat de régler l’affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

11. Il ressort du jugement contesté que le tribunal administratif de Montreuil a analysé les sommes versées à la société BNP Paribas par sa succursale chinoise, ainsi que le soutenait la société requérante, comme ayant la nature d’intérêts sur des sommes prêtées par la première à la seconde. Faisant application de l’article 10, relatif aux  » intérêts « , de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine, le tribunal administratif s’est fondé sur ce que le paragraphe 5 de cet article renvoie aux règles posées par l’article 7 de la même convention, relatif aux  » bénéfices des entreprises « , dans l’hypothèse où les créances génératrices des intérêts se rattachent à l’activité exercée par le siège lui-même, par l’intermédiaire de sa succursale. Estimant qu’en l’espèce les intérêts litigieux n’étaient pas des bénéfices imputables à l’activité économique des succursales elles-mêmes, le tribunal en a déduit qu’ils n’étaient, en application de l’article 7 de l’accord, imposables qu’en France, de sorte qu’aucune double imposition ne justifiait la mise en œuvre d’un mécanisme conventionnel de crédit d’impôt alors même qu’il n’était pas sérieusement contesté que ces intérêts avaient été imposés localement.

12. En statuant ainsi, le tribunal administratif s’est borné à vérifier, ainsi qu’il était tenu de le faire, si les conditions auxquelles est subordonnée l’application des stipulations conventionnelles invoquées devant lui par les parties, relatives aux  » intérêts  » et aux  » bénéfices des entreprises « , étaient satisfaites. Par suite, et indépendamment du bien-fondé de l’appréciation portée sur ce point, la société BNP Paribas n’est pas fondée à soutenir que les premiers juges ont entaché leur jugement d’irrégularité en soulevant d’office, sans en informer les parties, pour procéder à une substitution de motifs, un moyen dont ils n’étaient pas saisis, en méconnaissance des prescriptions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions en litige :

13. Si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition. Par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s’agissant de déterminer le champ d’application de la loi, d’office, si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale.

14. Aux termes de l’article 220 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable :  » 1. a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l’impôt à sa charge en vertu du présent chapitre. (…) / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l’imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l’impôt retenu à la source à l’étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu’il est prévu par les conventions internationales (…) « .

15. Les sommes versées par les succursales de la société BNP Paribas en rémunération des prêts qu’elle leur a consentis ne relèvent ni des revenus de capitaux mobiliers énumérés au a du 1 de cet article, ni des revenus de source étrangère au sens du b du même 1, les revenus de créances n’étant pas visées aux articles 120 à 123 de ce code. Aucune autre disposition du code général des impôts ne prévoit l’imputation sur l’impôt dû en France d’un crédit d’impôt destiné compenser l’impôt dû à l’étranger sur des sommes de cette nature. Par suite, et sans préjudice de la mise en œuvre des stipulations de la convention conclue entre la France et la Chine relatives à l’élimination des doubles impositions, l’administration fiscale n’a pas méconnu la loi fiscale en établissant les impositions en litige sans admettre l’imputation d’un crédit d’impôt à raison de l’imposition chinoise des intérêts en provenance de ce pays.

16. Aux termes de l’article 5 de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine :  » 1. Au sens du présent Accord, l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L’expression  » établissement stable  » comprend notamment : (…) / b) Une succursale (…) « . Aux termes des 4 et 6 de l’article 10 du même accord :  » 4. Le terme « intérêts » employé dans le présent article désigne les revenus de créances de toute nature (…) / 6. Les intérêts sont considérés comme provenant d’un État contractant lorsque le débiteur est un résident de cet État. Toutefois, lorsque le débiteur des intérêts, qu’il soit ou non un résident d’un État contractant, a dans un État contractant un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui supporte la charge de ces intérêts, ceux-ci sont considérés comme provenant de l’État où l’établissement stable est situé « .

17. La société BNP Paribas soutient qu’elle entre, à raison des sommes en litige reçues de sa succursale chinoise, dans les prévisions des stipulations citées au point 2 et 16 ci-dessus prévoyant, d’une part, une imposition concurrente en France et, dans la limite d’un plafond, en Chine, des intérêts perçus par un résident de France en provenance de Chine et, d’autre part, l’élimination de la double imposition correspondante par la mise en œuvre d’un mécanisme de crédit d’impôt.

18. L’existence d’une relation juridique de prêteur à emprunteur génératrice d’intérêts ne saurait être exclue entre le siège d’une société de banque et ses succursales, alors qu’il est loisible au siège, nonobstant l’appartenance à une même personne morale, de financer ses succursales par des apports en capital ou par des prêts.

19. Il résulte de l’instruction qu’au cours des années en litige, la société BNP Paribas a, sous la forme de versements répétés, mis des capitaux à la disposition de sa succursale située en Chine et a été rémunérée à ce titre.

20. Il résulte également de l’instruction, notamment du rapport annuel d’activités produit, que la succursale de la société BNP Paribas en Chine lui permet d’exercer de manière permanente une partie de son activité bancaire qui consiste en la fourniture de services bancaires en devises approuvés par la banque populaire de Chine. La société BNP Paribas dispose donc, par l’intermédiaire de cette succursale, d’un établissement stable dans ce pays.

21. Il résulte enfin de l’instruction, notamment des éléments relatifs aux flux financiers entre le siège de la société requérante et sa succursale, des liasses fiscales et du rapport annuel produit, que les emprunts que sa succursale a souscrits auprès d’elle l’étaient pour les besoins de ses activités bancaires en Chine, ainsi que le reconnaît l’administration dans ses propositions de rectification des 23 décembre 2008 et 23 décembre 2009, et que cette succursale a supporté la charge des intérêts correspondants.

22. Il en résulte d’une part, ainsi que l’admet le ministre dans le dernier état de ses écritures, que les sommes en litige présentent le caractère d’intérêts au sens des stipulations de l’article 10 de la convention conclue le 30 mai 1984 entre la France et la Chine et, d’autre part, que si la société BNP, qui doit être regardée comme débitrice de ces intérêts, est elle-même résidente de France et non de Chine, cette société dispose en Chine d’un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui en supporte la charge. Par suite, ces intérêts doivent, en application des stipulations précitées du paragraphe 6 du même article 10, être regardés comme provenant de Chine.

23. La société BNP Paribas est par suite fondée à demander, à raison des sommes en litige, le bénéfice du mécanisme d’élimination des doubles impositions prévu par la convention franco-chinoise au moyen d’un crédit d’impôt dont les modalités de calcul et de plafonnement sont rappelées au point 3.

24. Pour contester ce bénéfice, le ministre se prévaut, par la voie d’une demande de substitution de base légale qui ne prive en l’espèce le contribuable d’aucune garantie liée à la procédure d’imposition, de ce que le mécanisme de plafonnement de ce crédit d’impôt conventionnel à hauteur de l’impôt français dû à raison des intérêts en cause ferait obstacle aux prétentions de la société, compte tenu de la nécessaire prise en compte, pour déterminer le montant de cet impôt français, de l’ensemble des charges directement liées aux opérations de prêt conclues entre la société et sa succursale chinoise.

25. S’agissant, en premier lieu, de la demande de la société BNP Paribas tendant à la réduction de la cotisation d’impôt sur les bénéfices établie au titre de l’exercice clos en 2007 conformément à sa déclaration, dans laquelle elle n’avait pas procédé à l’imputation d’un crédit d’impôt à raison de l’imposition chinoise des intérêts en litige, il appartient à cette dernière, en application des dispositions de l’article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, d’établir le bien-fondé de ses prétentions. La société BNP Paribas n’établit toutefois pas, par les éléments qu’elle produits, qu’elle serait en droit de prétendre, compte tenu du mode de calcul rappelé au point 3, à un crédit d’impôt. En outre, en l’absence de rectification, celle-ci n’est en tout état de cause pas fondée à demander, sur le fondement de l’article L. 205 du livre des procédures fiscales, le bénéfice d’une compensation à raison de la sous-estimation du crédit d’impôt auquel elle serait en droit de prétendre à raison des impositions acquittées dans d’autres pays.

26. S’agissant, en second lieu, de la demande de la société BNP Paribas tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos au cours des années 2005 et 2006 à raison de la remise en cause par l’administration de l’imputation des crédits d’impôts conventionnels à laquelle cette société avait procédé, il ne ressort pas des écritures de cette société qu’elle aurait produit des éléments relatifs au montant des charges qu’elle a exposées pour l’acquisition des intérêts en litige. Si celle-ci se prévaut de la tolérance admise par les commentaires administratifs publiés le 1er avril 1976 au bulletin officiel des impôts sous la référence 14 B-1-76, aujourd’hui repris au paragraphe n° 230 des commentaires publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts sous la référence BOI-IS-RICI-30-10-20-10, selon laquelle les banques et établissements financiers peuvent, pour l’application de la règle dite du  » butoir « , déterminer les charges financières et de gestion afférentes aux prêts consentis à des emprunteurs non-résidents au moyen de fonds empruntés dans le cadre de leur activité professionnelle à partir de la balance des intérêts débiteurs et créditeurs afférents à un unique secteur d’activité, correspondant à l’ensemble des opérations de prêts qu’ils effectuent hors de France, elle n’a pas davantage produit le résultat d’un tel calcul. De son côté, l’administration fiscale, si elle oppose cette même règle à la société, ne soutient pas que le montant des charges qu’il y a lieu de déduire du revenu brut excéderait ce dernier, de sorte que l’impôt français correspondant serait nul. Il n’apparaît ainsi pas possible, en l’état de l’instruction, de déterminer le montant des charges directement liées à la perception des intérêts reçus par la société BNP Paribas de sa succursale chinoise au cours des exercices en cause et, partant, le montant du crédit d’impôt auquel cette société peut prétendre en application de la règle de calcul rappelée au point 3. Il y a lieu, dans ces conditions, d’ordonner un supplément d’instruction tendant à la production par les parties des éléments nécessaires.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt du 16 décembre 2020 de la cour administrative d’appel de Versailles sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de l’appel formé par la société BNP Paribas en tant qu’elles sont relatives à sa demande de restitution des cotisations d’impôt sur les sociétés qu’elle a acquittées au titre de son exercice clos en 2007 sont rejetées.
Article 3 : Avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de la société BNP Paribas ainsi que sur ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, il sera procédé à un supplément d’instruction tendant à la production des éléments mentionnés au point 26 des motifs de la présente décision.
Article 4 : Ces éléments devront parvenir au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 5 : Le pourvoi incident de la société BNP Paribas est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la relance et à la société anonyme BNP Paribas.
Délibéré à l’issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. G… J…, M. D… I…, M. H… F…, M. B… K…, Mme Françoise Tomé, conseillers d’Etat, M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et M. Jonathan Bosredon, conseiller d’Etat-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Jonathan Bosredon
La secrétaire :
Signé : Mme C… E…

ECLI:FR:CECHR:2021:449637.20211210

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 454363

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une protestation et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juillet et 9 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme N… G… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 en vue de l’élection des membres du conseil régional de Normandie ;

2°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 5 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code électoral ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de Mme G… ;

Considérant ce qui suit :

1. A l’issue des opérations électorales de premier tour de scrutin qui se sont déroulées le 20 juin 2021 en vue de l’élection des conseillers régionaux de Normandie, les listes  » Vivre La Normandie avec Hervé E… « , conduite par M. D… E…,  » La Normandie nous rassemble  » conduite par Mme K… O…,  » Faire gagner la Normandie – Liste soutenue par le Rassemblement national « , conduite par M. L… A… et  » Normandie Terre d’Avenir « , conduite par M. H… T… ont obtenu, chacune, plus de 10 % des suffrages exprimés. La liste  » Pour vous, avec vous « , conduite par Mme N… G…, n’a obtenu que 1,06 % des suffrages exprimés et n’a pu accéder au second tour en application des dispositions de l’article L. 346 du code électoral. Mme G… demande au Conseil d’Etat d’annuler les opérations électorales qui se sont tenues les 20 et 27 juin 2021.

2. En premier lieu, et d’une part, aux termes de l’article L. 354 du code électoral, applicable à l’élection des conseillers régionaux :  » Dans chaque département, une commission de propagande, dont la composition et le fonctionnement sont fixés par décret en Conseil d’Etat, est chargée d’assurer l’envoi et la distribution des documents de propagande électorale.  » L’article R. 38 du même code précise :  » Chaque candidat, binôme de candidats ou liste de candidats désirant obtenir le concours de la commission de propagande, doit remettre au président de la commission, avant une date limite fixée pour chaque tour de scrutin par arrêté préfectoral, les exemplaires imprimés de la circulaire ainsi qu’une quantité de bulletins au moins égale au double du nombre des électeurs inscrits. / La commission n’est pas tenue d’assurer l’envoi des imprimés remis postérieurement à cette date. (…) « . D’autre part, l’article R. 55 de ce même code dispose :  » Les bulletins de vote déposés par les candidats, binômes de candidats ou les listes, en application de l’article L. 58, ainsi que ceux adressés au maire par la commission de propagande sont placés dans chaque bureau, à la disposition des électeurs, sous la responsabilité du président du bureau de vote. / Les bulletins de vote peuvent être remis directement au maire par les candidats ou leurs mandataires dûment désignés, au plus tard à midi la veille du scrutin. / Le jour du scrutin, les bulletins peuvent être remis directement au président du bureau de vote par les candidats ou leurs mandataires dûment désignés. / Le maire ou le président du bureau de vote ne sont pas tenus d’accepter les bulletins qui leur sont remis directement par les candidats ou leurs mandataires, dont le format ne répond manifestement pas aux prescriptions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article R. 30 « . Aux termes de l’article R. 30 du même code :  » Les bulletins doivent être imprimés en une seule couleur sur papier blanc, d’un grammage de 70 grammes au mètre carré et avoir les formats suivants : / – 105 x 148 mm au format paysage pour les bulletins comportant de un à quatre noms ; / – 148 x 210 mm au format paysage pour les listes comportant de cinq à trente et un noms ; / – 210 x 297 mm au format paysage pour les listes comportant plus de trente et un noms (…) « 

3. Il résulte de l’instruction que le préfet de la Seine-Maritime a fixé au mercredi 26 mai 2021, à midi, la date limite de remise à la commission de propagande instituée pour l’élection des conseillers régionaux de Normandie des bulletins et circulaires imprimés et que cette commission n’a validé les modèles de documents remis par la liste conduite par Mme G… qu’à l’issue de la séance qu’elle a tenue le 26 mai à 9h du matin. Mme G… soutient qu’elle a, de ce fait, été placée dans l’impossibilité de respecter la date limite de dépôt de ses bulletins et circulaires auprès de la commission, que ces derniers n’ont dès lors pu être distribués et que cette circonstance a altéré la sincérité du scrutin.

4. Il ne résulte toutefois pas de l’instruction que la liste conduite par Mme G… aurait déposé, fût-ce tardivement, les exemplaires imprimés dont elle aurait souhaité que l’envoi et la distribution soient assurés par la commission de propagande, à laquelle il appartient d’apprécier, au vu des circonstances de l’espèce et du temps dont elle dispose pour ce faire, s’il convient qu’elle assure l’envoi d’imprimés qui lui sont remis postérieurement à la date limite fixée par arrêté préfectoral. A cet égard, la seule circonstance, alléguée par Mme G…, que la commission ne lui aurait pas spontanément proposé de nouveau délai pour la remise de ces documents ne peut être regardée comme une irrégularité de nature à entacher la sincérité du scrutin. Si Mme G… soutient, en outre, que des  » bureaux de vote  » auraient irrégulièrement refusé la remise directe de bulletins de vote en faveur de sa liste au motif que leur format ne répondait manifestement pas aux prescriptions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article R. 30 du code électoral, il ne résulte pas de l’instruction que tel aurait été le cas.

5. En second lieu, aux termes de l’article L. 66 du code électoral :  » Les bulletins ne contenant pas une désignation suffisante (…) n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement « . L’article R. 66-2 du même code précise :  » Sont nuls et n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement : 1° Les bulletins ne répondant pas aux prescriptions légales ou réglementaires édictées pour chaque catégorie d’élections, à l’exception de la prescription relative au grammage, ce dernier pouvant être de 60 à 80 grammes par mètre carré (…) « . S’agissant de l’élection des conseillers régionaux, l’article R. 186 précise :  » Les bulletins de vote comportent le titre de la liste, les nom et prénoms du candidat désigné tête de liste ainsi que les nom et prénoms de chacun des candidats composant la liste, répartis par section départementale et dans l’ordre de présentation tel qu’il résulte de la publication prévue par l’article R. 184 « .

6. Mme G… soutient que les bulletins de vote déposés en faveur de la liste conduite par M. T… ne doivent pas être pris en compte dans le résultat du dépouillement au motif qu’ils ne comportaient pas le titre  » Normandie Terre d’Avenir  » de cette liste. Il résulte toutefois de l’instruction que ces bulletins comportaient les nom et prénom du candidat désigné tête de liste régionale et ceux de chacun des candidats composant cette dernière, répartis par section départementale et dans l’ordre de présentation, et qu’ils précisaient le nom des partis politiques nationaux soutenant cette même liste. Par suite, ces bulletins comportaient une désignation de la liste suffisamment précise et dépourvue d’ambiguïté pour les électeurs. Ils ne peuvent dès lors être regardés comme étant, par eux-mêmes, nuls. Il n’est par ailleurs ni établi, ni même allégué que l’omission de l’intitulé de la liste serait constitutif d’une manœuvre. Dans ces conditions, les suffrages émis au moyen des bulletins litigieux doivent être regardés comme valablement exprimés.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme G… n’est pas fondée à demander l’annulation des opérations électorales qu’elle conteste.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge des défendeurs, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme G… la somme demandée par M. T… au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La protestation de Mme G… est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. T… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme N… G…, à M. D… E…, à M. L… A…, à M. H… T…, à Mme K… O… et au ministre de l’intérieur.
Délibéré à l’issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. N… S…, M. I… R…, M. P… M…, M. D… U…, Mme Q… C…, M. Jonathan Bosredon, conseillers d’Etat et M. V… B…, auditeur-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Charles-Emmanuel Airy
La secrétaire :
Signé : Mme F… J…

ECLI:FR:CECHR:2021:454363.20211210

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 442111

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. C… I… a demandé au tribunal des pensions de Marseille de réformer l’arrêté du 23 octobre 2017 portant révision de la pension militaire d’invalidité dont il est titulaire, en tant que cet arrêté ne prévoit pas son indemnisation à raison d’une infirmité nouvelle de  » séquelles d’entorses de la cheville droite traitées chirurgicalement « . Par un jugement n° 17/00145 du 13 septembre 2018, ce tribunal a accordé à M. I…, à raison de cette infirmité, une pension militaire d’invalidité au taux de 20 %, dont 15 % imputables au service.

Par un arrêt n° 19MA05050 du 16 juin 2020, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de la ministre des armées, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. I….

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juillet 2020 et 1er juillet 2021, M. I… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la ministre des armées ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le protocole provisoire du 27 juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises sur le territoire de la République de Djibouti après l’indépendance et les principes de la coopération militaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Djibouti ;
– le code des pensions militaire d’invalidité et des victimes de la guerre ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. I…, militaire dans la Légion étrangère entre 2004 et 2015, est titulaire d’une pension militaire d’invalidité, concédée par arrêté du 19 janvier 2015 et révisée par arrêté du 23 octobre 2017, au taux de 55 %, pour  » séquelles d’entorses de la cheville gauche traitées chirurgicalement, hypoacousie bilatérale et acouphènes bilatéraux permanents « . A l’occasion de la révision de cette pension, la ministre des armées a rejeté la demande de M. I… tendant à ce que soit indemnisée une infirmité nouvelle de  » séquelles d’entorse de la cheville droite traitée chirurgicalement  » au motif que si le taux global de cette infirmité était de 20 %, elle ne résultait qu’à concurrence d’un taux de 5 % d’un accident survenu lors d’un exercice en Nouvelle-Calédonie le 1er septembre 2014 et n’était par suite imputable au service que dans cette mesure. M. I… a demandé au tribunal des pensions de Marseille de réformer cet arrêté en tant qu’il portait rejet de sa demande tendant à l’indemnisation de cette infirmité. Il faisait notamment valoir que cette entorse avait été constatée dès le 3 juin 2008, alors qu’il était affecté à Djibouti dans le cadre d’un renfort temporaire à l’étranger. Par un jugement du 13 septembre 2018, le tribunal des pensions de Marseille, faisant droit à sa demande, lui a accordé le bénéfice d’une pension militaire d’invalidité pour  » séquelles d’entorses de la cheville droite traitées chirurgicalement  » au taux de 20 %, dont 15 % imputables au service. M. I… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 16 juin 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de la ministre des armées, annulé ce jugement et rejeté sa demande.

2. Aux termes de l’article L. 2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la constatation de l’infirmité invoquée par M. I…:  » Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d’événements de guerre ou d’accidents éprouvés par le fait ou à l’occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l’occasion du service ; / 3° L’aggravation par le fait ou à l’occasion du service d’infirmités étrangères au service ; / 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d’accidents éprouvés entre le début et la fin d’une mission opérationnelle, y compris les opérations d’expertise ou d’essai, ou d’entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. « . L’article D. 1 du même code, également applicable à cette date, précise que :  » Sont considérées comme missions opérationnelles, au sens des dispositions du 4° de l’article L. 2, les missions suivantes : / a) Les opérations extérieures conduites sous la responsabilité de l’état-major des armées quelle que soit leur nature et les missions effectuées à l’étranger au titre d’unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France (…) « .

3. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour juger que l’administration avait pu à bon droit rejeter la demande de M. I… tendant à la révision de sa pension, la cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée sur ce qu’il ne résultait pas de l’instruction que l’affectation temporaire de ce dernier à Djibouti entre le 19 juin et le 22 octobre 2008, au titre d’une mission de renfort temporaire à l’étranger, aurait été justifiée par la participation à une mission effectuée à l’étranger au titre d’unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France. En statuant ainsi, alors que la présence militaire française à Djibouti, qui résultait de la mise en œuvre du protocole provisoire du 27 juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises conclu entre la France et la République de Djibouti, constituait une mission opérationnelle au sens du a) de l’article D. 1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre et que les infirmités résultant de blessures reçues par suite d’accidents entre le début et la fin de cette mission étaient en conséquence susceptibles d’ouvrir droit à pension, en vertu du 4°) de l’article L. 2 du même code, au bénéfice des militaires qui y participaient, la cour a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que M. I… est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. I… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 16 juin 2020 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : L’Etat versera à M. I… une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C… I… et à la ministre des armées.
Délibéré à l’issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. H… M…, M. E… L…, M. J… G…, M. B… N…, Mme K… A…, M. Jonathan Bosredon, conseiller d’Etat et M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
La secrétaire :
Signé : Mme D… F…

ECLI:FR:CECHR:2021:442111.20211210

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 10/12/2021, 438902, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société Bertrandt France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2008, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1429107, 1429218 du 20 septembre 2016, le tribunal administratif de Montreuil a constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la société Bertrandt France à hauteur du dégrèvement accordé en cours d’instance et déchargé la société de l’imposition en litige.

Par un arrêt n° 16VE03269 du 19 décembre 2019, la cour administrative d’appel de Versailles, faisant droit à l’appel formé par le ministre de l’action et des comptes publics contre ce jugement, a remis à la charge de la société Bertrandt France l’imposition en litige, sous réserve d’une réduction de base, et réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil en ce qu’il avait de contraire à son arrêt.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 février et 20 mai 2020 et le 23 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Bertrandt France demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Bertrandt France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Bertrandt, qui exerce l’activité de bureau d’études et d’améliorations techniques dans le domaine de la construction automobile, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a remis en cause l’éligibilité au crédit d’impôt recherche au titre de l’année 2007 des dépenses engagées dans le cadre de certains projets. Par un jugement du 20 septembre 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2008 à laquelle la société Bertrandt France, en sa qualité de société mère du groupe fiscal auquel appartient la société Bertrandt, a été assujettie à la suite de cette rectification. La société Bertrandt France demande l’annulation de l’arrêt du 19 décembre 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles, faisant droit à l’appel du ministre de l’action et des comptes publics contre le jugement du 20 septembre 2016, a remis à sa charge l’imposition en litige.

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales :  » L’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (…) « . Aux termes de l’article L. 45 B du même livre :  » La réalité de l’affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d’impôt défini à l’article 244 quater B du code général des impôts peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l’administration des impôts qui demeure seule compétente pour l’application des procédures de rectification, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie « .

3. La cour a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans commettre d’erreur de droit au regard des exigences de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, d’une part, que tant la proposition de rectification du 19 octobre 2010 que la réponse aux observations du contribuable du 20 septembre 2011 étaient suffisamment motivées dès lors qu’elles détaillaient les motifs de l’exclusion du crédit d’impôt recherche de certaines des dépenses engagées par la société Bertrandt et d’autre part, qu’eu égard à cette motivation, l’administration avait exercé le pouvoir d’appréciation qu’il lui appartenait de mettre en œuvre.

4. En second lieu, aux termes de l’article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l’année 2007 :  » I. – Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d’après leur bénéfice réel (…) qui exposent des dépenses de recherche peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt égal à la somme : / a. D’une part égale à 10 % des dépenses de recherche exposées au cours de l’année, dite part en volume ; / b. Et d’une part égale à 40 % de la différence entre les dépenses de recherche exposées au cours de l’année et la moyenne des dépenses de même nature, revalorisées de la hausse des prix à la consommation hors tabac, exposées au cours des deux années précédentes, dite part en accroissement (…) « .

5. Pour déterminer le montant de la part en accroissement du crédit d’impôt recherche, égale à 40 % de l’excédent des dépenses de recherche exposées au cours de l’année par rapport à la moyenne des dépenses de même nature des deux années précédentes, il convient de retenir le montant des dépenses des années antérieures tel qu’il aurait dû normalement être calculé par l’entreprise. Par suite, lorsque, à la suite d’un contrôle, l’administration rectifie le montant des dépenses éligibles au crédit d’impôt exposées au cours de l’année vérifiée, la moyenne des dépenses exposées les deux années précédentes doit être corrigée dans la même mesure, alors même que ces années seraient prescrites et que l’erreur sur le montant de ces dépenses serait imputable à l’entreprise.

6. Par suite, en jugeant qu’il ne résultait pas de la rectification du montant des dépenses éligibles au titre de l’année 2007 une obligation pour l’administration de corriger dans la même mesure le montant des dépenses éligibles au titre des années 2005 et 2006 pour la détermination de la part en accroissement du crédit d’impôt recherche au titre de l’année 2007, la cour a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société est seulement fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il statue sur la part en accroissement du crédit d’impôt recherche au titre de l’année 2007.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Bertrandt France, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 19 décembre 2019 est annulé en tant qu’il statue sur la part en accroissement du crédit d’impôt recherche au titre de l’année 2007.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 3 : L’Etat versera à la société Bertrandt France la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Bertrand France est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Bertrandt France et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l’issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G… F…, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A… L…, M. D… E…, Mme I… B…, M. J… C…, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d’Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Martin de Lagarde
La secrétaire :
Signé : Mme H… K…

ECLI:FR:CECHR:2021:438902.20211210

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 10/12/2021, 439944

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 avril 2020 et 2 avril 2021, au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Hydroption demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2020-071 de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d’électricité et de gaz naturel, en tant qu’elle méconnaît les dispositions des articles 10 et 13 de l’accord-cadre pour l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) conclu le 26 octobre 2016 entre la société Hydroption et la société EDF, ensemble la décision du 31 mars 2020 rejetant le recours gracieux qu’elle avait formé à l’encontre de cette délibération ;

2°) d’enjoindre a` la CRE de reprendre une délibération s’agissant de l’application des articles 10 et 13 de l’accord-cadre ARENH dans un délai de deux semaines à compter de la notification de la décision a` venir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’énergie ;
– l’arrêté du 12 mars 2019 portant modification de l’arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d’Etat,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes de l’article L. 336-1 du code de l’énergie, issu de la loi du 7 décembre 2010 portant Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité :  » Afin d’assurer la liberté de choix du fournisseur d’électricité tout en faisant bénéficier l’attractivité du territoire et l’ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, un accès régulé et limité à l’électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires mentionnées à l’article L. 336-2, est ouvert, pour une période transitoire définie à l’article L. 336-8, à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. / Cet accès régulé est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l’utilisation de ses centrales nucléaires mentionnées au même article L. 336-2 « .

2. L’article L. 336-2 du même code prévoit que, jusqu’au 31 décembre 2025, la société EDF cède de l’électricité aux fournisseurs qui en font la demande, pour un volume maximal déterminé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) en fonction des prévisions, fournies par les entreprises intéressées, de consommation des consommateurs finals et des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes et en fonction de ce que représente la part de la production des centrales nucléaires dans la consommation totale des consommateurs finals. En vertu de l’article L. 337-13 du même code, le prix de l’électricité cédé par EDF en application de ces dispositions est arrêté par les ministres chargés de l’énergie et de l’économie, pris sur proposition de la CRE. En vertu d’un arrêté du 17 mai 2011, ce prix est fixé à 42 euros, hors taxes, par MWh à compter du 1er janvier 2012.

3. L’article L. 336-5 du même code prévoit que le fournisseur souhaitant exercer les droits qui découlent du mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) conclut avec EDF, dans le délai d’un mois suivant sa demande, un accord-cadre déterminant les modalités d’exercice de ces droits  » par la voie de cessions d’une durée d’un an  » et dont les stipulations sont conformes à un modèle déterminé par arrêté du ministre chargé de l’énergie pris sur proposition de la CRE. L’article R. 336-9 du même code prévoit que tout fournisseur ayant signé un accord-cadre avec EDF transmet à la CRE, au moins quarante jours avant le début de chaque période de livraison, un dossier de demande d’achat d’électricité au titre de l’ARENH. Aux termes de l’article R. 336-10 du même code :  » La transmission d’un dossier de demande d’ARENH à la Commission de régulation de l’énergie vaut engagement ferme de la part du fournisseur d’acheter les quantités totales de produit qui lui seront cédées au cours de la période de livraison à venir calculées conformément à l’article R. 336-13 sur la base de sa demande et notifiées conformément à l’article R. 336-19 par la Commission de régulation de l’énergie « . Enfin, aux termes de l’article R. 336-19 du même code :  » Au moins trente jours avant le début de chaque période de livraison, la Commission de régulation de l’énergie notifie simultanément : / 1o A chaque fournisseur, sur la base des éléments transmis dans le dossier de demande mentionné à l’article R. 336-9 et conformément aux méthodes mentionnées à l’article R. 336-13, les quantités et profils des produits que la société EDF lui cède sur la période de livraison à venir, les quantités étant celles définies à l’article R. 336-18 ; / 2o Au gestionnaire du réseau public de transport et à la société EDF la quantité d’électricité que cette société doit injecter chaque demi-heure de la période de livraison à venir au titre de l’ARENH ; / 3o Au gestionnaire du réseau public de transport la quantité d’électricité que reçoit, chaque demi-heure de la période de livraison à venir, chaque responsable d’équilibre des fournisseurs bénéficiaires de l’ARENH. (…) « .

4. Le modèle d’accord-cadre pour l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique annexé à l’arrêté alors applicable du 12 mars 2019 portant modification de l’arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité rappelle, dans son article 4 que :  » A compter de la réception de la notification de cession annuelle d’électricité et de garanties de capacité, l’acheteur s’engage à prendre livraison de la totalité des produits cédés, objets de la notification « . L’article 13 du même modèle prévoit toutefois que :  » L’exécution de l’accord-cadre pourra être suspendue, dans les cas de défaillance et suivant les modalités indiquées ci-après : / (…)/ – en cas de survenance d’un événement de force majeure, défini à l’article 10 de l’accord-cadre (3)  » et que, dans cette hypothèse,  » la suspension prend effet dès la survenance de l’événement de force majeure et entraîne de plein droit l’interruption de la cession annuelle d’électricité et de garanties de capacité « . Aux termes de l’article 10 de ce modèle :  » La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables/ (…)/  » La Partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra, dès connaissance de la survenance de l’événement de force majeure, informer l’autre Partie, la CDC et la CRE, par lettre recommandée avec accusé de réception, de l’apparition de cet événement et, dans la mesure du possible, leur faire part d’une estimation, à titre indicatif, de l’étendue et de la durée probable de cet événement. / La Partie souhaitant se prévaloir d’un événement de force majeure s’efforcera, dans des limites économiques raisonnables, de limiter les conséquences de l’événement de force majeure et devra, pendant toute la durée de cet événement, tenir régulièrement l’autre Partie informée de l’étendue et de la durée probable de cet événement. / Les obligations des Parties sont suspendues pendant la durée de l’événement de Force majeure « . Enfin, aux termes de l’article 19 de ce modèle :  » En cas de litige survenu entre les parties, celles-ci s’engagent à se rencontrer en vue de chercher une solution amiable. Dans le cas où aucune solution amiable ne pourrait être trouvée dans les sept jours ouvrés suivant la survenance du litige, chacune des parties pourra saisir le tribunal de commerce de Paris. Les parties reconnaissent le tribunal de commerce de Paris comme l’unique juridiction compétente pour régler tout différend lié à l’interprétation ou à l’exécution du présent accord-cadre « .

Sur la demande de la société requérante :

5. Il ressort des pièces du dossier que la crise sanitaire liée à l’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux ainsi que les mesures, notamment dites de confinement, prises pour limiter la propagation de ce virus, ont entraîné, à la fin du premier trimestre 2020, une importante baisse de la consommation d’électricité en France et une diminution du prix de l’électricité sur les marchés de gros à un niveau bien inférieur au montant de 42 euros mentionné au point 2. Certains fournisseurs d’électricité, estimant que cette situation était constitutive d’un  » évènement de force majeure  » au sens de l’article 10 précité du modèle annexé à l’arrêté du 12 mars 2019, ont demandé à mettre en œuvre les stipulations de l’article 13 de ces accords-cadres.

6. Par une délibération n° 2020-071 du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d’électricité et de gaz naturel, la CRE, dans la partie intitulée  » Evolution du cadre de l’ARENH « , a, dans les quatre premiers paragraphes, rappelé le contexte mentionné au point 5 et constaté le désaccord entre les fournisseurs alternatifs d’ électricité et la société EDF, dans le paragraphe suivant, a donné son interprétation des dispositions précitées de l’article 10 du modèle d’accord-cadre annexé à l’arrêté du 12 mars 2019 et son analyse des conséquences sur le marché de l’électricité d’une suspension des accords-cadres sur l’ARENH et, dans le dernier paragraphe a conclu qu’  » en conséquence, la CRE ne transmettra pas à RTE une évolution des volumes d’ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d’activation de la clause de force majeure « .

7. La société Hydroption, qui a conclu un accord-cadre sur l’ARENH en date du 26 octobre 2016 avec la société EDF et à qui cette dernière a refusé la mise en œuvre de la clause de force majeure par une décision du 23 mars 2020, demande, d’une part, l’annulation pour excès de pouvoir de la délibération mentionnée au point 6 en tant qu’elle méconnait les dispositions des articles 10 et 13 de cet accord ainsi que du rejet de son recours gracieux du 31 mars 2020 et, d’autre part, qu’il soit enjoint à la CRE de reprendre une délibération dans un délai de deux semaines sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Eu égard aux moyens qu’elle invoque, les conclusions aux fins d’annulation doivent être regardées comme dirigées contre les énonciations du cinquième paragraphe de la délibération selon lesquelles la  » force majeure ne trouverait à s’appliquer que si l’acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l’exécution de l’obligation de paiement de l’ARENH « .

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la Commission de régulation de l’énergie :

8. Les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance. Ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent.

9. Il ressort des pièces du dossier que l’interprétation que la CRE a donnée des dispositions précitées de l’article 10 du modèle d’accord-cadre pour l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, alors même qu’elle ne saurait avoir pour effet de lier l’appréciation des juridictions qui ont été saisies des différends entre les fournisseurs d’électricité et la société EDF, a eu pour objet d’influer de manière significative sur le comportement des intéressés. Eu égard à sa qualité de fournisseur d’électricité, la société requérante justifie d’un intérêt direct et certain à l’annulation de cette prise de position, qui a été adoptée par la CRE dans le cadre de sa mission de régulation. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par cette dernière doit être écartée.

En ce qui concerne la légalité de la délibération attaquée :

10. En réservant l’application de la force majeure à l’hypothèse d’une impossibilité totale pour l’acheteur d’exécuter l’obligation de paiement de l’ARENH alors que les stipulations de l’article 10 de l’accord-cadre subordonnaient uniquement le bénéfice de cette clause à la condition qu’un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rende impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables, la Commission de régulation de l’énergie a entaché la délibération attaquée d’une erreur de droit.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Hydroption est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée en tant qu’elle énonce que  » la force majeure ne trouverait à s’appliquer que si l’acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l’exécution de l’obligation de paiement de l’ARENH « , ainsi que, dans cette mesure, du rejet de son recours gracieux. L’exécution de la présente décision n’implique pas qu’il soit enjoint à la CRE de prendre une nouvelle délibération.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la CRE la somme de 3 000 euros à verser à la société requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La phrase de la délibération n° 2020-071 de la Commission de régulation de l’énergie du 26 mars 2020 énonçant que  » La CRE considère néanmoins que la force majeure ne trouverait à s’appliquer que si l’acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l’exécution de l’obligation de paiement de l’ARENH  » et, dans cette même mesure, la décision du 31 mars 2020 sont annulées.

Article 2 : La Commission de régulation de l’énergie versera à la société Hydroption la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Hydroption est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Hydroption, à la Commission de régulation de l’énergie et à la société Electricité de France.
Copie en sera adressée pour information à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré à l’issue de la séance du 26 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, conseillers d’Etat ; M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes et Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d’Etat-rapporteure.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Fischer-Hirtz
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel

ECLI:FR:CECHR:2021:439944.20211210

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 457050, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 septembre et 19 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la société en nom collectif (SNC) MCC Axes demande au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 juillet 2021 par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande tendant à l’abrogation des paragraphes nos 1, 10 et 20 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 et des paragraphes nos 1, 10, 20 et 45 des commentaires administratifs publiés sous la même référence les 4 avril 2018, 7 juin 2018 et 16 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
– la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
– les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne C-434/05 du 14 juin 2007, Horizon college, C-445/05 du 14 juin 2007, Werner Haderer et C-449/17 du 14 mars 2019, A et G Fahrschul-Akademie GmbH ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de l’éducation ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 décembre 2021, présentée par la société MCC Axes ;

Considérant ce qui suit :

1. La société MCC Axes demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le refus du ministre de l’économie, des finances et de la relance d’abroger les paragraphes nos 1, 10 et 20 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts les 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 et les paragraphes n os 1, 10, 20 et 45 des commentaires administratifs publiés sous la même référence les 4 avril 2018, 7 juin 2018 et 16 octobre 2019, par lesquels celui-ci a fait connaître son interprétation des dispositions du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts, relatives, notamment, à l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons de biens et prestations de services se rapportant à l’enseignement scolaire et universitaire.

Sur les interventions :

2. Les sociétés Cote Ouest Services 2, MHM Formation, Française d’Enseignement et de Formation et M. F… C… justifient d’un intérêt suffisant à l’annulation du refus d’abrogation attaqué. Leurs interventions au soutien de la requête de la société MCC Axes sont par suite recevables.

Sur la recevabilité de la requête :

3. Les commentaires administratifs des dispositions du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts publiés les 12 septembre 2012, 4 avril 2018 et 7 juin 2018 se sont respectivement substitué les uns aux autres, la plus récente de ces versions ayant elle-même été remplacée depuis le 16 octobre 2019 par de nouveaux commentaires des mêmes dispositions législatives. Par suite, la demande tendant à l’annulation du refus du ministre de procéder à l’abrogation des versions de ces commentaires antérieures à celle publiée le 16 octobre 2019, dépourvue d’objet à la date de son introduction, est irrecevable.

Sur le cadre juridique applicable :

4. Aux termes de l’article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée :  » 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : (…) / i) l’éducation de l’enfance ou de la jeunesse, l’enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d’autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l’État membre concerné ; / j) les leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l’enseignement scolaire ou universitaire ; (…) « .

5. Au sens de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment par ses arrêts du 14 juin 2007, Horizon college, (C-434/05) et du 14 mars 2019, A et G Fahrschul-Akademie GmbH (C-449/17), les prestations d’enseignement scolaire ou universitaire exonérées sont celles qui sont rendues dans le cadre d’un système intégré qui inclut concomitamment des éléments relatifs aux relations s’établissant entre enseignants et étudiants ainsi que ceux formant le cadre organisationnel des établissements, dont l’objet est la transmission en son sein de connaissances et de compétences portant sur un ensemble large et diversifié de matières, ainsi qu’à l’approfondissement et au développement de ces connaissances et de ces compétences par les élèves et les étudiants au fur et à mesure de leur progression au sein des différents degrés constitutifs de ce système.

6. Par ailleurs, il ressort de la lettre même des dispositions du j du 1 de l’article 132 de la directive du 28 novembre 2006, lesquelles doivent être lues indépendamment de celles du i du même 1, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 14 juin 2007, Werner Haderer (C-445/05), que l’exonération qu’elles prévoient pour les  » leçons (…) portant sur l’enseignement scolaire ou universitaire  » ne bénéficie qu’aux leçons données, dans des matières relevant de ces enseignements, par des enseignants intervenant à titre personnel. De telles leçons, lorsqu’elles sont données par les enseignants dans le cadre de l’activité d’une personne morale qui les emploie n’entrent pas dans le champ de ces dispositions. Elles peuvent toutefois être exonérées sur le fondement du i précité si elles participent d’une activité d’enseignement scolaire ou universitaire, au sens rappelé au point précédent, exercée par l’établissement qui les fournit.

7. Aux termes de l’article 261 du code général des impôts, par lequel la France a transposé ces dispositions :  » Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (…) / 4. (…) / 4° a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre : / de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés régis par les articles L. 151-3, L. 212-2, L. 424-1 à L. 424-4, L. 441-1, L. 443-1 à L. 443-5 et L. 731-1 à L. 731-17 du code de l’éducation ; (…) / b. les cours ou leçons relevant de l’enseignement scolaire (…), dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves (…) « . Aux termes de l’article L. 321-4 du code de l’éducation :  » Dans les écoles, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés (…) « . Aux termes de l’article L. 332-4 du même code  » Dans les collèges, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés (…) « . Aux termes du douzième alinéa de l’article D. 333-2 du même code :  » Des dispositifs d’accompagnement personnalisé sont mis en place pour tous les élèves selon leurs besoins dans les classes de seconde, première et terminale préparant aux baccalauréats général, technologique et professionnel. Ils comprennent des activités de soutien, d’approfondissement, d’aide méthodologique et d’aide à l’orientation, pour favoriser la maîtrise progressive par l’élève de son parcours de formation et d’orientation (…) « .

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :  » Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) « . Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

9. La société MCC Axes soutient que les dispositions du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts citées au point 7 méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce que les exonérations qu’elles prévoient respectivement ne s’étendent pas aux prestations fournies par les organismes de soutien scolaire visés par les articles L. 445-1 et L. 445-2 du code de l’éducation.

10. Toutefois, d’une part, les organismes de soutien scolaire se bornent à dispenser de manière ponctuelle des leçons dans des matières relevant de l’enseignement scolaire et universitaire, sans fournir de prestations d’enseignement scolaire et universitaire, telles que définies au point 5, faisant l’objet du i du 1 de l’article 132 de la directive du 28 novembre 2006. D’autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les prestations qu’ils assurent n’entrent pas davantage dans les prévisions du j du 1 du même article.

11. Par suite, en excluant les prestations rendues par les organismes de soutien scolaire du champ des exonérations prévues au a et au b du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts, le législateur s’est borné à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles des i et j du 1 de l’article 132 de la directive du 28 novembre 2006, sans mettre en cause aucune règle, ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

12. Il en résulte qu’il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

13. Eu égard à l’argumentation qu’elle soulève, la société MCC Axes doit être regardée comme contestant le refus d’abroger le dernier alinéa du paragraphe n° 1, le deuxième alinéa du paragraphe n° 10, les premier et troisième alinéas du paragraphe n° 20 et les premier et deuxième alinéas du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019.

14. En premier lieu, la société MCC Axes soutient que ces commentaires réitèrent, au deuxième alinéa de leur paragraphe n° 10 et au premier alinéa de leur paragraphe n° 20, les dispositions du a du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts qui méconnaitraient elles-mêmes les dispositions du i du 1 de l’article 132 de la directive du 28 novembre 2006 et le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée en ce qu’elles n’incluent pas dans leur champ les prestations rendues par les organismes de soutien scolaire.

15. Toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 10, les prestations fournies par les organismes de soutien scolaire ne sauraient être regardées comme des prestations d’enseignement scolaire et universitaire, telles que définies par le i du 1 de l’article 132 de la directive, dans l’interprétation qu’en donne la Cour de justice de l’Union européenne. Par suite, en ne mentionnant pas ces organismes dans la liste figurant au deuxième alinéa du a du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts, le législateur n’a pas méconnu cette directive. Les organismes de soutien scolaire ne pouvant de ce fait être regardés comme ayant des fins comparables à celles des établissements publics d’enseignement scolaire et universitaire, la société requérante ne saurait davantage utilement soutenir que le législateur, en ne les incluant pas dans le champ de l’exonération, aurait méconnu le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée dans l’exercice de la faculté que lui laisse la directive de déterminer les conditions dans lesquelles une personne peut être reconnue comme ayant des fins comparables à de tels établissements.

16. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que le troisième alinéa du paragraphe n° 20 méconnaît les dispositions législatives qu’il a pour objet d’éclairer en indiquant que l’exonération s’applique aux opérations effectuées dans le cadre d’un agrément obtenu par l’établissement concerné alors que l’ouverture d’un établissement privé d’enseignement n’est soumis qu’à un régime de déclaration, il ressort des termes mêmes de ce troisième alinéa que l’agrément auquel il fait référence est celui, délivré par leur Etat d’origine, auquel est soumis le bénéfice de l’exonération pour les établissements étrangers implantés en France.

17. En troisième lieu, la société MCC Axes soutient que les commentaires contestés réitèrent, au dernier alinéa de leur paragraphe n° 1 et aux deux premiers alinéas de leur paragraphe n° 45, des dispositions législatives qui méconnaissent les i et j du 1 de l’article 132 de la directive de 2006 en ce qu’ils énoncent que les prestations de soutien scolaire ne sont exonérées que lorsqu’elles sont dispensées soit sous forme de cours particuliers donnés par des personnes physiques rémunérées directement par les élèves, soit dans le cadre de l’activité des établissements d’enseignement publics et privés régis par les dispositions du code de l’éducation mentionnées au deuxième alinéa du a du 4° du 4 de l’article 261 du code général des impôts. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 10 qu’en limitant ainsi le champ de l’exonération des cours de soutien scolaire, sans y inclure les cours dispensés par des organismes de soutien scolaire, les dispositions législatives en cause ne méconnaissent pas la directive qu’elles ont pour objet de transposer.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l’économie, des finances et de la relance, que la société MCC Axes n’est pas fondée à demander l’annulation du refus d’abroger les commentaires administratifs qu’elle conteste.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Les interventions des sociétés Cote Ouest Services 2, MHM Formation, Française d’Enseignement et de Formation et de M. F… C… sont admises.
Article 2 : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société MCC Axes.
Article 3 : La requête de la société MCC Axes est rejetée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif MCC Axes, à la société à responsabilité limitée Cote Ouest Services 2, à la société à responsabilité limitée MHM Formation, à la société par actions simplifiée Française d’Enseignement et de Formation, à M. F… C… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l’issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. H… K…, M. D… J…, M. I… G…, M. A… L…, Mme Françoise Tomé, conseillers d’Etat, M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et M. Jonathan Bosredon, conseiller d’Etat-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Jonathan Bosredon
La secrétaire :
Signé : Mme B… E…

ECLI:FR:CECHR:2021:457050.20211210

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 10/12/2021, 457349, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 9 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M. et Mme I… et O… C… J… demandent au Conseil d’État :

1°) d’annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite du 7 juin 2021 par laquelle le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, a rejeté leur demande tendant à l’abrogation du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs publiés le 19 novembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-50-10-40, et d’enjoindre au ministre d’y procéder, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la date fixée par la décision à intervenir ;

2°) à titre subsidiaire, d’annuler pour excès de pouvoir le même paragraphe ;

3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son article 61-1 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de la sécurité sociale ;
– la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 ;
– la décision n° 2010-88 QPC du 21 janvier 2011 du Conseil constitutionnel ;
– la décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011 du Conseil constitutionnel ;
– la décision n° 435634 du 13 mars 2020 du Conseil d’État statuant au contentieux ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa du 2 du VII de l’article 167 bis du code général des impôts applicable aux transferts du domicile fiscal hors de France intervenus à compter du 3 mars 2011, dans sa version issue de l’article 48 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013 :  » À l’expiration d’un délai de huit ans suivant le transfert de domicile fiscal hors de France ou lorsque le contribuable transfère de nouveau son domicile fiscal en France si cet événement est antérieur, l’impôt établi dans les conditions du I du présent article, à l’exception de l’impôt afférent aux créances mentionnées au second alinéa du 1 du même I, est dégrevé d’office, ou restitué s’il avait fait l’objet d’un paiement immédiat lors du transfert de domicile fiscal hors de France, lorsque les titres mentionnés au même 1 ou les titres reçus lors d’une opération d’échange entrant dans le champ d’application de l’article 150-0 B intervenue après le transfert de domicile fiscal hors de France demeurent, à cette date, dans le patrimoine du contribuable « . Aux termes du dixième alinéa du I de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, qui institue notamment une contribution sociale sur les plus-values et les créances mentionnées au I et au II de l’article 167 bis du code général des impôts, dans sa version issue du même article 48 de la première loi de finances rectificative pour 2011, applicable à la date de publication des commentaires en litige :  » Il n’est pas fait application à la contribution du dégrèvement ou de la restitution prévus à l’expiration d’un délai de huit ans au 2 du VII de l’article 167 bis du code général des impôts et du dégrèvement prévu au premier alinéa du 4 du VIII du même article « . Cette disposition est applicable, par renvoi, aux autres prélèvements sociaux auxquels les plus-values et créances mentionnées au I et au II de l’article 167 bis du code général des impôts sont par ailleurs soumises.

2. M. et Mme C… J…, qui ont transféré leur domicile fiscal hors de France le 4 juin 2012 et déclaré à cette occasion, conformément à l’article 167 bis du code général des impôts, des plus-values latentes grevant leur patrimoine, demandent, à titre principal, l’annulation pour excès de pouvoir du refus implicitement opposé par le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, à leur demande tendant à l’abrogation du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs publiés le 19 novembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-50-10-40, par lesquels l’administration fiscale a fait connaître son interprétation des dispositions précitées des articles 167 bis du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale. À titre subsidiaire, ils demandent l’annulation pour excès de pouvoir de ce paragraphe.

3. Le paragraphe n° 10 des commentaires en litige énonce que  » L’impôt sur le revenu afférent à l’ensemble des plus-values latentes constatées lors du transfert du domicile fiscal hors de France est dégrevé d’office ou restitué à l’expiration d’un délai de huit ans suivant ce transfert, lorsque les titres demeurent dans le patrimoine du contribuable au terme de ce délai (…) « . Le paragraphe n° 40 des mêmes commentaires énonce que  » En revanche, les prélèvements sociaux restent dus. Dans le cas où le contribuable a bénéficié du sursis de paiement lors du transfert de son domicile fiscal hors de France, il continue à bénéficier de ce sursis pour les seuls prélèvements sociaux jusqu’à la réalisation d’un des événements mentionnés au BOI-RPPM-PVBMI-50-10-30 au III-D § 370 (…) « .

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :  » Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) « . Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. M. et Mme C… J… soutiennent que les dispositions de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale citées au point 1 ci-dessus méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce que, d’une part, elles instituent à l’encontre des contribuables ayant transféré leur domicile fiscal hors de France une présomption irréfragable de fraude et que, d’autre part, elles créent entre impôts et entre contribuables placés dans une situation comparable une différence de traitement qui n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi par le législateur.

6. L’article 48 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, dont sont issues les dispositions contestées, a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011. Les requérants soutiennent toutefois que deux changements de circonstances justifient que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution lui soit transmise.

7. Ils se prévalent, en premier lieu, d’une évolution de jurisprudence du Conseil constitutionnel en vertu de laquelle le législateur ne peut instituer des présomptions irréfragables de fraude pesant sur les contribuables, notamment ceux transférant leur domicile fiscal hors de France. Une telle argumentation ne peut cependant qu’être écartée dès lors qu’en tout état de cause, le Conseil constitutionnel a rendu des décisions en ce sens antérieurement à celle du 28 juillet 2011, notamment sa décision n° 2010-88 QPC du 28 janvier 2011.

8. Ne saurait, en second lieu, davantage constituer un changement de circonstances susceptible de justifier un nouvel examen par le Conseil constitutionnel des dispositions contestées la modification que le législateur leur a apportée par l’article 42 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.

9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 font obstacle à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soit transmise au Conseil constitutionnel.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

10. M. et Mme C… J… soulèvent à l’encontre des commentaires administratifs qu’ils attaquent, comme à l’encontre de la décision implicite du ministre refusant de les abroger, un unique moyen tiré de ce que leurs énonciations réitèrent des dispositions législatives non conformes à la Constitution. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 ci-dessus qu’un tel moyen n’est pas fondé.

11. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’économie, des finances et de la relance, M. et Mme C… J… ne sont pas fondés à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre a refusé d’abroger les commentaires administratifs qu’ils attaquent. Leurs conclusions à fin d’injonction doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

12. Il en va de même, pour les mêmes motifs, des conclusions tendant à l’annulation des mêmes commentaires, lesquelles sont par ailleurs tardives et, par suite, irrecevables dès lors qu’elles ont été enregistrées après l’expiration du délai imparti par la décision n° 435634 du 13 mars 2020 du Conseil d’Etat statuant au contentieux pour former un recours pour excès de pouvoir contre des commentaires administratifs par lesquels l’autorité compétente prescrit l’interprétation de la loi fiscale, lorsque ceux-ci ont, comme en l’espèce, été insérés au BOFiP-impôts et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l’adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018.

13. L’article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme C… J….
Article 2 : La requête de M. et Mme Dubois de Belair est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme I… et O… C… J… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l’issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. H… M…, M. E… L…, M. I… G…, M. B… N…, Mme K… A…, M. Jonathan Bosredon, conseillers d’Etat et M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Gariazzo
La secrétaire :
Signé : Mme D… F…

ECLI:FR:CECHR:2021:457349.20211210