Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 04/06/2021, 430897

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. et Mme A… B… ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l’année 2008. Par un jugement n° 1305791 du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 17NC01667 du 21 mars 2019, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel formé par M. et Mme B… contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mai et 31 juillet 2019 ainsi que le 17 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme B… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– la loi n° 92-1476 du 31 décembre 1992 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. et Mme B… ;

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, M. et Mme B… ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l’année 2008 à raison des rémunérations complémentaires versées à M. B… sur le compte courant d’associé qu’il détenait dans la société Cristal de Lorraine Boog, dont il était alors gérant majoritaire. Par un jugement du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à obtenir la décharge de ces impositions. M. et Mme B… se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 21 mars 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel qu’ils avaient formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l’article L. 12 du livre des procédures fiscales :  » (…) Sous peine de nullité de l’imposition, un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ne peut s’étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l’avis de vérification. / (…) / Cette période est prorogée (…) / (…) des délais nécessaires à l’administration pour obtenir les relevés de compte lorsque le contribuable n’a pas usé de sa faculté de les produire dans un délai de soixante jours à compter de la demande de l’administration (…) « . Les comptes visés par cet article sont non seulement les comptes bancaires mais aussi tous les comptes au crédit desquels sont susceptibles d’être inscrites des sommes constitutives de revenus dont le contribuable aurait disposé au cours de la période vérifiée, notamment les comptes courants d’associés. La prorogation du délai prévue à cet article suppose dans ce cas que l’administration fiscale ait indiqué dans sa demande que les comptes dont elle demandait les relevés ne se limitaient pas aux seuls comptes bancaires.

3. Le caractère distinct des procédures de contrôle visant une société et ses associés ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce que l’administration fiscale exploite, dans le cadre de l’examen de la situation fiscale personnelle d’un contribuable, des informations obtenues dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société dont il est associé, dès lors qu’elle respecte les droits et garanties du contribuable, notamment les exigences énoncées à l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Pour autant, il reste loisible à l’administration, à l’occasion de l’examen de la situation fiscale personnelle du contribuable, de demander à ce dernier qu’il produise les comptes visés à l’article L. 12 du livre des procédures fiscales, quand bien même elle aurait pu en prendre connaissance par ailleurs voire en disposerait déjà, du fait notamment de la vérification de comptabilité de la société.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un avis d’examen de la situation fiscale personnelle en date du 12 juillet 2010, reçu par M. et Mme B… le 15 juillet 2010, l’administration a demandé à M. et Mme B…  » la totalité des relevés (en original ou en copie) des comptes financiers de toute nature et des comptes courants sur lesquels [eux-mêmes] et les membres de [leur] foyer fiscal [ont] réalisé des opérations de nature personnelle  » au cours des années 2007 à 2009 et les informait, en faisant référence à l’article L. 12 du livre des procédures fiscales, de ce que  » la durée du contrôle est limitée en principe à un an  » mais que  » cette durée peut être prorogée de la durée nécessaire à l’administration pour obtenir les relevés de compte lorsque le contribuable n’a pas fait usage de la faculté de les produire dans les soixante jours de la demande du service « . C’est par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, que la cour administrative d’appel de Nancy a jugé que cet avis les informait de la faculté qui leur était laissée de produire l’ensemble de leurs comptes, au nombre desquels figurent les comptes courants d’associés, dans un délai de soixante jours.

5. En deuxième lieu, il ressort des énonciations non contestées de l’arrêt attaqué que les écritures retraçant les opérations réalisées sur le compte courant d’associé détenu par M. B… dans les écritures de la société Cristal de Lorraine Boog n’ont pas été produites par les époux B… en réponse à l’avis reçu le 15 juillet 2010 et n’ont été obtenues auprès de la société par l’administration, à la suite de l’exercice de son droit de communication, que le 9 décembre 2010. Dès lors, c’est sans contradiction de motifs ni erreur de droit que la cour administrative d’appel de Nancy, qui a suffisamment motivé sa décision sur ce point, a jugé que l’administration était fondée à proroger la durée du contrôle du délai compris entre le 61ème jour après la réception de l’avis de vérification et la date d’obtention de ces écritures, soit le 9 décembre 2010, sans que, ainsi qu’il a été dit au point 3, y fasse obstacle la circonstance que l’agent chargé du contrôle avait déjà eu communication des éléments relatifs à ce compte courant à l’occasion de la vérification, qu’il avait effectuée, de la comptabilité de la société Cristal de Lorraine Boog portant sur la période du 1er janvier 2007 au 30 novembre 2009.

6. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que ne peut qu’être écarté le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d’erreur de droit au regard du caractère distinct des contrôles visant une société et ses associés, en jugeant, pour l’application de l’article L. 12 du livre des procédures fiscales, que la circonstance que les éléments du compte courant d’associé aient déjà été transmis au service dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société Cristal de Lorraine Boog ne faisait pas obstacle à ce que l’exercice ultérieur, par l’agent en charge de l’examen de leur situation fiscale personnelle, du droit de communication des éléments de ce compte, emporte prorogation de la durée de cet examen, tout en jugeant, par ailleurs, que la circonstance que l’administration fiscale avait exploité dans le cadre de la procédure d’examen de situation fiscale personnelle les concernant des constatations réalisées au cours de la vérification de comptabilité de la société n’entachait pas d’irrégularité l’examen de leur situation. Ces motifs, qui répondaient à des moyens différents, ne sont pas entachés de contradiction.

7. Enfin, la cour a relevé, par des motifs qui ne sont pas contestés en cassation, que si le service a eu connaissance du compte courant d’associé détenu par M. B… au cours de la vérification de comptabilité de la société Cristal de Lorraine Boog, il a exploité les informations de ce compte pour rehausser les revenus imposables de M. B… après avoir diligenté un examen contradictoire de situation fiscale personnelle de l’intéressé. La cour a également constaté qu’il n’était pas établi ni même allégué que ces deux procédures de contrôle ne se seraient pas déroulées dans le respect des règles qui leur sont applicables. Si la cour ne pouvait, pour écarter le moyen d’irrégularité dont elle était saisie, se fonder également sur les dispositions de l’article L. 47 B du livre des procédures fiscales afférentes aux  » comptes financiers utilisés à la fois à titre privé et professionnel « , lesquelles, éclairées par les travaux préparatoires de l’article 86 de la loi de finances rectificative pour 1992 du 31 décembre 1992 dont elles sont issues, ne visent pas les comptes courants d’associés dans une société, il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 3 qu’elle n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’administration fiscale avait pu se fonder, pour établir l’imposition des époux B… dans des conditions qui n’étaient pas contestées au regard notamment des dispositions de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, sur des extraits de leur compte courant d’associé dont elle disposait déjà par ailleurs. Il convient de substituer ce motif, qui n’implique aucune appréciation de fait nouvelle, à celui, erroné, retenu par la cour.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B… ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme B… est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A… B… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:430897.20210604