Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 04/06/2021, 434207

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Mme B… a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008 et 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1602193 du 16 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement des majorations de 80 % intervenu en cours d’instance, déchargé l’intéressée des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l’année 2009 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 17BX03996 du 5 juillet 2019, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par Mme A… contre ce jugement en tant qu’il ne fait pas entièrement droit à sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 septembre et 3 décembre 2019 et le 23 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, Mme A… demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code civil ;
– le code de commerce ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code général des impôts ;
– la loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000 de finances pour 2001 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A… a imputé sur le montant de son impôt sur le revenu dû au titre des années 2008 et 2009, la réduction d’impôt prévue par l’article 199 undecies B du code général des impôts, à raison d’un investissement consistant en l’acquisition et en la mise à disposition d’une plantation de sept hectares de fleurs d’alpinias située en Guadeloupe, réalisé par l’intermédiaire de la société en participation (SEP) KJD Capital 3, dont elle détenait 14,83 % des parts, laquelle était représentée par la société en nom collectif (SNC) KJD Capital. À l’issue d’une vérification de comptabilité, cette réduction d’impôt a été remise en cause par l’administration fiscale aux motifs, notamment, que le caractère neuf de l’investissement et le caractère commercial du contrat de location passé avec l’exploitant n’étaient pas établis. Par un jugement du 16 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement total des pénalités intervenues en cours d’instance, a déchargé l’intéressée des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l’année 2009 à raison d’une irrégularité de la procédure d’imposition et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Mme A… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 juillet 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement en tant qu’il n’avait pas entièrement fait droit à sa demande.

2. Aux termes de l’article 199 undecies B du code général des impôts, dans sa version applicable au titre de l’année d’imposition en litige :  » I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l’article 4 B peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu’ils réalisent dans les départements d’outre-mer (…), dans le cadre d’une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l’article 34. / (…) / Les dispositions du premier alinéa s’appliquent aux investissements réalisés par une société soumise au régime d’imposition prévu à l’article 8 (…). En ce cas, la réduction d’impôt est pratiquée par les associés ou membres dans une proportion correspondant à leurs droits dans la société ou le groupement. / La réduction d’impôt prévue au premier alinéa est pratiquée au titre de l’année au cours de laquelle l’investissement est réalisé. / (…) / La réduction d’impôt prévue au présent I s’applique aux investissements productifs mis à la disposition d’une entreprise dans le cadre d’un contrat de location si les conditions mentionnées aux quatorzième à dix-septième alinéas du I de l’article 217 undecies sont remplies et si 60 % de la réduction d’impôt sont rétrocédés à l’entreprise locataire sous forme de diminution du loyer et du prix de cession du bien à l’exploitant. (…) « . Aux termes du quinzième alinéa de l’article 217 undecies du même code, dans sa version alors applicable :  » 2° Le contrat de location revêt un caractère commercial (…) « .

3. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi de finances pour 2001 dont elles sont issues, que lorsqu’un investissement productif neuf réalisé dans un département d’outre-mer est mis à la disposition d’une entreprise dans le cadre d’un contrat de location, le bénéfice de la réduction d’impôt prévue par l’article 199 undecies B du code général des impôts est subordonné à la condition que ce contrat porte sur une opération de location à caractère commercial, dont les revenus relèvent, par leur nature, de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

4. Pour écarter les moyens relatifs au bien-fondé des impositions en litige par lesquels la requérante invoquait une méconnaissance des dispositions citées au point 2, la cour, sans se prononcer sur la qualification de biens meubles ou immeubles des plants d’alpinias en litige, a adopté les seuls motifs du jugement de première instance tirés de ce qu’en l’absence de la participation de la SEP KJD Capital 3, en tant que bailleur, aux responsabilités et aux risques inhérents à l’exploitation de la plantation litigieuse, la mise à disposition de cette dernière au profit de l’exploitant n’avait pu être effectuée en vertu d’un contrat revêtant un caractère commercial. En se fondant sur un tel critère qui, à supposer que les plants d’alpinias doivent être regardés comme des immeubles, ne pouvait, en tout état de cause, conduire à regarder les revenus retirés de leur mise à disposition comme relevant, par leur nature, de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et qui, par suite, était inopérant pour l’application des dispositions combinées de l’article 199 undecies B et du quinzième alinéa de l’article 217 undecies du code général des impôts, telles qu’interprétées au point 3, la cour a commis une erreur de droit.

5. Si le ministre fait valoir que la remise en cause de la réduction d’impôt est, par ailleurs, justifiée par le motif que la plantation litigieuse ne pouvait être regardée comme un investissement productif neuf, le juge de cassation ne saurait substituer au motif retenu par la cour cet autre motif, qui suppose l’appréciation de circonstances de fait.

6. Dès lors, il résulte de tout ce qui précède que Mme A… est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 5 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : L’Etat versera à Mme A… une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2021:434207.20210604