Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 14/06/2021, 428459

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

M. C… A…, Mme H… A…, M. E… F… et M. D… B… ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 mai 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d’Azur a homologué le document unilatéral fixant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi de la société Aerofarm. Par un jugement n° 1804582 du 18 septembre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18MA04429 du 28 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de M. A… et autres, annulé ce jugement et rejeté la demande qu’ils avaient présentée devant le tribunal administratif de Marseille.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 février, 27 mai et 31 décembre 2019 et le 19 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre solidairement à la charge de la société Aerofarm et de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code du travail ;
– la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme G… I…, conseillère d’Etat en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M. A…, de Mme A…, de M. F… et de M. B… et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Aerofarm ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes de l’article L. 1235-10 du code du travail :  » Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou alors qu’une décision négative a été rendue est nul. / En cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 en raison d’une absence ou d’une insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi mentionné à l’article L. 1233-61, la procédure de licenciement est nulle. / Les deux premiers alinéas ne sont pas applicables aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires « . Aux termes de l’article L. 1235-11 du même code :  » Lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l’article L. 1235-10, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi disponible. / Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois « . Aux termes de l’article L. 1235-16 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques :  » L’annulation de la décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au dernier alinéa du présent article et au deuxième alinéa de l’article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9. / En cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 en raison d’une insuffisance de motivation, l’autorité administrative prend une nouvelle décision suffisamment motivée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à l’administration. Cette décision est portée par l’employeur à la connaissance des salariés licenciés à la suite de la première décision de validation ou d’homologation, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette information. / Dès lors que l’autorité administrative a édicté cette nouvelle décision, l’annulation pour le seul motif d’insuffisance de motivation de la première décision de l’autorité administrative est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur « .

2. Il résulte des dispositions qui viennent d’être citées que, pour les entreprises qui ne sont pas en redressement ou en liquidation judiciaire, le législateur a attaché à l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision d’homologation ou de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, des effets qui diffèrent selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée. Par suite, lorsque le juge administratif est saisi d’une requête dirigée contre une décision d’homologation ou de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise qui n’est pas en redressement ou en liquidation judiciaire, il doit, si cette requête soulève plusieurs moyens, toujours commencer par se prononcer, s’il est soulevé devant lui, sur le moyen tiré de l’absence ou de l’insuffisance du plan, même lorsqu’un autre moyen est de nature à fonder l’annulation de la décision administrative, compte tenu des conséquences particulières qui, en application de l’article L. 1235-11 du code du travail, sont susceptibles d’en découler pour les salariés. En outre, compte tenu de ce que l’article L. 1235-16 de ce code, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, prévoit désormais que l’annulation d’une telle décision administrative, pour un autre motif que celui tiré de l’absence ou de l’insuffisance du plan, est susceptible d’avoir des conséquences différentes selon que cette annulation est fondée sur un moyen tiré de l’insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen, il appartient au juge administratif de se prononcer ensuite sur les autres moyens éventuellement présentés à l’appui des conclusions aux fins d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision, en réservant, à ce stade, celui tiré de l’insuffisance de la motivation de la décision administrative. Enfin, lorsqu’aucun de ces moyens n’est fondé, le juge administratif doit se prononcer sur le moyen tiré de l’insuffisance de la motivation de la décision administrative lorsqu’il est soulevé.

3. Par ailleurs, lorsque l’autorité administrative prend  » la nouvelle décision suffisamment motivée  » mentionnée à l’article L. 1235-16 du code du travail, après l’annulation par le juge administratif d’une première décision de validation ou d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise en raison d’une insuffisance de motivation, cette nouvelle décision, qui intervient sans que l’administration procède à une nouvelle instruction de la demande, et au vu des circonstances de fait et de droit existant à la date d’édiction de la première décision, a pour seul objet de régulariser le vice d’insuffisance de motivation entachant cette précédente décision. En conséquence, les seuls moyens susceptibles d’être invoqués devant le juge administratif à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette seconde décision sont ceux critiquant ses vices propres.

Sur le pourvoi :
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 23 mai 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Provence-Alpes-Côte d’Azur a homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi de la société Aerofarm. Cette décision, contestée par la délégation unique du personnel de la société Aerofarm et M. B…, a été annulée pour excès de pouvoir en raison de son insuffisance de motivation par un arrêt du 27 avril 2018 de la cour administrative d’appel de Marseille, devenu définitif, qui a par ailleurs expressément statué, pour l’écarter, sur le moyen tiré de l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi de la société Aerofarm, qui était soulevé devant la cour. Une seconde décision homologuant le même document unilatéral a été prise par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Provence-Alpes-Côte d’Azur le 3 mai 2018, dans le but de régulariser le vice affectant la légalité de la décision du 23 mai 2017. M. A… et trois autres salariés de la société ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler cette seconde décision du 3 mai 2018. Par un jugement du 18 septembre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande. M. A… et autres se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 28 décembre 2018 par lequel la cour administrative d’appel a annulé le jugement et rejeté leur demande.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les moyens, présentés devant la cour administrative d’appel de Marseille, dirigés contre la seconde décision de l’autorité administrative du 3 mai 2018, tirés de l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi, ne pouvaient utilement être présentés. Par suite, il y a lieu de substituer aux motifs par lesquels la cour les a jugés non fondés le motif tiré de ce qu’ils ne pouvaient utilement être présentés à l’encontre de cette décision, dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait et justifie sur ce point le dispositif de l’arrêt attaqué. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, qui contestent le seul bien-fondé de ces motifs, le pourvoi de M. A… et autres doit être rejeté.

Sur les frais de l’instance :

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société Aerofarm. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de MM. A…, F… et B… et de Mme A… une somme à verser à la société Aerofarm au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A… et autres est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Aerofarm au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C… A…, premier requérant dénommé, à la société Aerofarm et à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

ECLI:FR:CECHR:2021:428459.20210614