Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 16/06/2021, 437800

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Mme A… B…, épouse C…, a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler la décision implicite par laquelle le maire de Reclesne (Saône-et-Loire) a refusé de lui accorder le bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi qu’elle sollicitait à compter du 24 juillet 2015. Par un jugement n° 1503203 du 30 mars 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.

Par une décision n° 414201 du 26 décembre 2018, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l’affaire au tribunal administratif de Dijon.

Par un nouveau jugement n° 1803467 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de Mme C….

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 20 janvier et 24 août 2020 et le 19 avril 2021, Mme C… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 20 novembre 2019 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Reclesne la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la sécurité sociale ;
– le code du travail ;
– l’arrêté du 25 juin 2014 portant agrément de la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage et les textes qui lui sont associés ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Occhipinti, avocat de Mme C… et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la commune de Reclesne ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C…, employée par la commune de Reclesne depuis 2001, a été licenciée après avis du comité médical pour inaptitude totale et définitive à son emploi et à tout emploi, par un arrêté du maire en date du 20 février 2015, à compter du 20 mars 2015. Pôle emploi lui a refusé le bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi par un courrier du 9 juillet 2015, l’informant que la prise en charge de cette allocation incombait à cette commune. Mme C… a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler la décision implicite par laquelle la commune de Reclesne a refusé de lui accorder le bénéfice de cette allocation. Par une décision du 26 décembre 2018, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé le jugement du 20 mars 2017 par lequel ce tribunal avait rejeté cette demande. Sur renvoi du Conseil d’Etat, par un jugement du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a de nouveau rejeté la demande de Mme C…, qui se pourvoit en cassation contre ce dernier jugement.

2. Aux termes de l’article L. 5421-1 du code du travail :  » En complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion, les travailleurs involontairement privés d’emploi (…), aptes au travail et recherchant un emploi, ont droit à un revenu de remplacement dans les conditions fixées au présent titre « . L’article 1er du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage agréée par l’arrêté du 25 juin 2014 du ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social prévoit que :  » Le régime d’assurance chômage assure un revenu de remplacement dénommé allocation d’aide au retour à l’emploi, pendant une durée déterminée, aux salariés involontairement privés d’emploi qui remplissent des conditions d’activité désignées période d’affiliation, ainsi que des conditions d’âge, d’aptitude physique, de chômage, d’inscription comme demandeur d’emploi, de recherche d’emploi « . Ces dispositions sont applicables aux agents des collectivités territoriales dans les conditions prévues par l’article L. 5424-1 du code du travail. Il appartient aux collectivités territoriales qui assurent la charge et la gestion de l’indemnisation de leurs agents en matière d’allocation d’aide au retour à l’emploi de s’assurer, lorsqu’ils demandent le bénéfice de cette allocation, qu’ils remplissent l’ensemble des conditions auxquelles son versement est subordonné.

3. Aux termes de l’article L. 5421-3 du même code :  » La condition de recherche d’emploi requise pour bénéficier d’un revenu de remplacement est satisfaite dès lors que les intéressés sont inscrits comme demandeurs d’emploi et accomplissent, à leur initiative ou sur proposition de l’un des organismes mentionnés à l’article L. 5311-2, des actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise « . Sur le fondement des articles L. 5426-1 et L. 5426-2 de ce code, dans leur rédaction applicable au litige, le contrôle de la recherche d’emploi est exercé par les agents de Pôle emploi et le revenu de remplacement est supprimé ou réduit par l’autorité administrative pour les personnes qui ne peuvent justifier de l’accomplissement d’actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise, dans les conditions prévues à ses articles R. 5426-3 à R. 5426-14.

4. Il résulte de ces dispositions que si l’existence d’actes positifs et répétés accomplis en vue de retrouver un emploi est une condition mise au maintien de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, elle ne saurait conditionner l’ouverture du droit à cette allocation. Ainsi, en jugeant que la commune de Reclesne avait pu légalement refuser à Mme C… l’ouverture du droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi au motif qu’elle ne justifiait pas d’actes positifs et répétés de recherche d’emploi accomplis avant sa demande, le tribunal a commis une erreur de droit. Dès lors, Mme C… est fondée à demander pour ce motif l’annulation du jugement qu’elle attaque.

5. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative :  » Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire « . Le Conseil d’Etat étant saisi d’un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l’affaire au fond.

6. Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d’une personne en matière d’aide ou d’action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d’emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l’intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d’un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d’emploi, c’est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que l’accomplissement d’actes positifs et répétés de recherche d’emploi ne constituait pas une condition de l’ouverture du droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi sollicitée par Mme C….

8. En deuxième lieu, en revanche, l’ouverture de ce droit était subordonnée à la condition, prévue à l’article L. 5421-1 du code du travail cité au point 2, reprise à l’article 1er du règlement annexé à la convention du 14 mai 2014, qu’elle soit physiquement apte au travail. Le contrôle de cette condition relève, en vertu de l’article R. 5426-1 de ce code, de la compétence du préfet. En application de l’article L. 5411-5 du code du travail, les  » personnes invalides mentionnées aux 2° et 3° de l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale, bénéficiaires à ce titre d’un avantage social lié à une incapacité totale de travail, ne peuvent être inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi pendant la durée de leur incapacité « . Aux termes de l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale :  » En vue de la détermination du montant de la pension, les invalides sont classés comme suit : / 1°) invalides capables d’exercer une activité rémunérée ; / 2°) invalides absolument incapables d’exercer une profession quelconque ; / 3°) invalides qui, étant absolument incapables d’exercer une profession, sont, en outre, dans l’obligation d’avoir recours à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.  »

9. En l’espèce, si la commune de Reclesne fait valoir que Mme C… se trouvait, à la date de sa demande d’allocation d’aide au retour à l’emploi, dans une situation d’invalidité l’empêchant, en application de l’article L. 5411-5 du code du travail, de lui accorder le bénéfice de cette allocation, il résulte de l’instruction que l’intéressée était inscrite à cette date sur la liste des demandeurs d’emploi, sa demande de pension d’invalidité effectuée en application de l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ayant été refusée par une décision du 24 mars 2015 de la caisse primaire d’assurance maladie de la Nièvre, situation qu’elle avait portée à la connaissance de la commune de Reclesne le 7 septembre 2015. Mme C… satisfaisait à la condition d’aptitude à l’emploi aussi longtemps qu’elle demeurait inscrite sur cette liste. Il revenait, le cas échéant, à la commune, qui ne pouvait utilement opposer à l’intéressée l’avis concluant à son inaptitude totale et définitive à toutes fonctions émis le 16 décembre 2014 par le comité médical départemental dans le cadre de la procédure préalable à son licenciement de la fonction publique territoriale, cette procédure étant indépendante de celle selon laquelle s’apprécie l’aptitude au travail des personnes involontairement privées d’emploi, de saisir le préfet en vue que soit contrôlée l’aptitude physique au travail de Mme C….

10. Il est constant qu’à la date de sa demande, Mme C… remplissait également les autres conditions auxquelles est subordonné l’octroi de l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Par suite, elle avait droit à cette allocation et elle est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle le maire de Reclesne a refusé de la lui accorder. Il ne résulte pas de l’instruction que Mme C… aurait cessé de remplir les conditions pour bénéficier de l’aide au retour à l’emploi avant le 1er février 2018, date de l’ouverture de ses droits à la retraite, à compter de laquelle cette allocation ne lui était plus due en vertu de l’article 25 du règlement annexé à la convention d’assurance chômage. En revanche, l’état de l’instruction ne permet pas de déterminer le montant exact des droits que Mme C… aurait dû percevoir entre le 24 juillet 2015, date de sa demande, et le 1er février 2018. Il y a lieu, en conséquence, de la renvoyer devant la commune de Reclesne pour le calcul et le versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi au cours de cette période.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Reclesne le versement à Mme C… d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de Mme C… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 20 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : La décision du maire de Reclesne refusant d’accorder à Mme C… le bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi à compter du 24 juillet 2015 est annulée.
Article 3 : Mme C… est renvoyée devant la commune de Reclesne pour le calcul et le versement des allocations d’aide au retour à l’emploi pour la période allant du 24 juillet 2015 au 1er février 2018.
Article 4 : La commune de Reclesne versera à Mme C… une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le conclusions présentées par la commune de Reclesne au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : La présente décision sera notifiée Mme A… B…, épouse C…, et à la commune de Reclesne.

ECLI:FR:CECHR:2021:437800.20210616