Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 20/07/2021, 441096

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Mme B… A… a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler l’arrêté du 15 juillet 2016 par lequel le président de la communauté de communes Val de Charente a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle. Par un jugement n° 1601837 du 22 novembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18BX00174 du 4 février 2020, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de Mme A…, annulé ce jugement et l’arrêté du 15 juillet 2016 du président de la communauté de communes Val de Charente et enjoint à celui-ci de prononcer la réintégration juridique de Mme A… ainsi que la reconstitution de sa carrière dans un délai de trois mois.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin 2020 et le 15 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la communauté de communes Val de Charente demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de Mme A… ;

3°) de mettre à la charge de Mme A… la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
– le décret n° 95-31 du 10 janvier 1995 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la communauté de communes Val de Charente et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A… a été recrutée le 1er avril 2008 en qualité d’agent non titulaire afin d’exercer les fonctions d’éducatrice de jeunes enfants par la communauté de communes de Ruffec à laquelle a succédé la communauté de communes Val de Charente. Elle a été nommée en 2010 sur les postes de coordinatrice petite enfance et de directrice du service multi-accueil. Elle a été titularisée le 30 juin 2014 dans le cadre d’emplois des éducateurs territoriaux de jeunes enfants. Par un arrêté du 15 juillet 2016, le président de la communauté de communes Val de Charente a licencié Mme A… pour insuffisance professionnelle. La communauté de communes Val de Charente se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 4 février 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, après avoir annulé un jugement du tribunal administratif de Poitiers du 22 novembre 2017, annulé cet arrêté.

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

2. Si la communauté de communes Val de Charente soutient que l’arrêt qu’elle attaque serait irrégulier faute de mentionner dans ses visas qu’un mémoire produit avant la clôture de l’instruction et non communiqué aux parties ne contenait pas d’élément nouveau, aucune disposition n’impose qu’une telle mention figure sur la décision rendue par la juridiction.

Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :

3. Le licenciement pour insuffisance professionnelle d’un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s’agissant d’un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s’agissant d’un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions. Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.

4. Aux termes de l’article 1er du décret du 10 janvier 1995 portant statut particulier du cadre d’emplois des éducateurs territoriaux de jeunes enfants, alors en vigueur :  » Les éducateurs territoriaux de jeunes enfants constituent un cadre d’emplois social de catégorie B au sens de l’article 5 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée. Ce cadre d’emplois comprend les grades d’éducateur de jeunes enfants et d’éducateur principal de jeunes enfants « . Aux termes de l’article 2 de ce décret :  » Les éducateurs de jeunes enfants sont des fonctionnaires qualifiés chargés de mener des actions qui contribuent à l’éveil et au développement global des enfants d’âge préscolaire. (…). Ils peuvent également exercer leurs fonctions au sein d’un établissement ou service d’accueil des enfants de moins de six ans dans les conditions fixées par les articles R. 2324-16 et suivants du code de la santé publique « .

5. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour licencier Mme A… pour insuffisance professionnelle, le président de la communauté de communes Val de Charente s’est fondé, en s’appuyant notamment sur un rapport d’analyse des risques psychosociaux effectué par un cabinet extérieur et sur les plaintes déposées par de nombreux agents placés sous l’autorité de Mme A…, sur l’incapacité de cette dernière à développer des relations de travail adéquates avec ses collègues, cette  » insuffisance managériale  » étant susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service. En estimant que, même si les difficultés relationnelles avec certains agents étaient établies, elles ne pouvaient suffire à caractériser l’inaptitude de l’intéressée à exercer l’ensemble des fonctions correspondant au grade qu’elle détient dans le cadre d’emplois, relevant de la catégorie B, des éducateurs territoriaux de jeunes enfants, lesquelles ne sont, pour l’essentiel, pas des fonctions d’encadrement, et en en déduisant que l’arrêté du 15 juillet 2016 prononçant le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme A… était entaché d’une erreur d’appréciation, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que la communauté de communes Val de Charente n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la communauté de communes Val de Charente le versement d’une somme de 3 000 euros à Mme A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de Mme A…, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la communauté de communes Val de Charente est rejeté.
Article 2 : La communauté de communes Val de Charente versera une somme de 3 000 euros à Mme A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes Val de Charente et à Mme B… A….

ECLI:FR:CECHR:2021:441096.20210720