Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 13/10/2021, 434551

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes, la société civile de construction vente (SCCV) Campagne 1ère a demandé au tribunal administratif de Marseille, d’une part, l’annulation de deux titres exécutoires émis le 28 juin 2016 par le directeur départemental des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône pour le recouvrement de la taxe d’aménagement due au titre du permis de construire qui lui avait été délivré le 1er octobre 2012 par le maire de Bouc Bel Air (Bouches-du-Rhône), ainsi que la décharge de cette taxe et, d’autre part, l’annulation du titre exécutoire émis à la même date pour le recouvrement de la redevance d’archéologie préventive due au titre du même permis de construire, ainsi que la décharge de cette redevance. Par un jugement nos 1608920, 1608923 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a fait droit aux demandes de la société.

Par un pourvoi, enregistré le 11 septembre 2019 au secrétariat du Conseil d’Etat, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande au Conseil d’Etat d’annuler ce jugement en tant qu’il a fait droit aux conclusions de la société Campagne 1ère relatives à la taxe d’aménagement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;
– la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ;
– le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société SCCV Campagne 1ère ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Campagne 1ère a demandé l’annulation de trois titres de perception émis le 28 juin 2016 par le directeur départemental des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône relatifs à la taxe d’aménagement pour des montants de 45 692 et 45 691 euros et à la redevance d’archéologie préventive pour un montant de 5 580 euros, au titre d’une construction autorisée par un permis délivré par le maire de Bouc Bel Air à la société SAS SAM Immobilier, le 1er octobre 2012. Elle a aussi demandé l’annulation des décisions implicites de rejet de ses réclamations préalables en date du 25 juillet 2016. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit en cassation contre le jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 juillet 2019 statuant sur ces demandes en tant qu’il a fait droit aux conclusions relatives à la taxe d’aménagement.

2. Aux termes de l’article L. 331-21 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de l’article 28 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010 qui l’a créé :  » Le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’au 31 décembre de la troisième année qui suit (…) celle de la délivrance de l’autorisation de construire ou d’aménager (…) « . Les dispositions de l’article 56 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 ont modifié cet article du code de l’urbanisme et étendu ce droit de reprise de l’administration en matière de taxe d’aménagement jusqu’au 31 décembre de la quatrième année qui suit celle de la délivrance de l’autorisation de construire ou d’aménager. Les dispositions de la loi du 29 décembre 2015 sont entrées en vigueur le 30 décembre 2015, c’est-à-dire, pour les autorisations délivrées à partir du 1er janvier 2012, avant l’expiration des délais de reprise résultant de la version initiale de l’article L. 331-21 du code de l’urbanisme.

3. Lorsqu’une loi nouvelle allonge le délai de prescription d’un droit, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, le délai nouveau est immédiatement applicable aux délais en cours, compte tenu du délai déjà écoulé.

4. Par suite, et sans qu’y fassent obstacle les principes de confiance légitime et de sécurité juridique que la société Campagne 1ère n’avait, au demeurant, pas invoqués devant le tribunal administratif, ce dernier, en regardant comme applicables au litige les dispositions de l’article L. 331-21 du code de l’urbanisme dans leur version antérieure à celle qui est issue de la loi de finances rectificative pour 2015, a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l’annulation du jugement qu’il attaque en tant qu’il concerne la taxe d’aménagement.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Les travaux qui constituent l’assiette de la taxe d’aménagement en litige ont été autorisés par un permis de construire délivré par le maire de Bouc Bel Air le 2 octobre 2012. A cette date, l’administration disposait, en application de l’article L. 331-21 du code de l’urbanisme, d’un délai de trois ans, à compter du 31 décembre 2012, pour exercer son droit de reprise. Toutefois, comme il a été dit plus haut, avant que ce délai ne fût expiré, les dispositions de l’article 56 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 ont étendu le droit de reprise de l’administration jusqu’au 31 décembre de la quatrième année qui suit la délivrance de l’autorisation de construire. Dès lors, le délai de reprise ouvert à l’administration expirait le 31 décembre 2016, et la société Campagne 1ère n’est donc pas fondée à soutenir que les deux titres exécutoires émis le 28 juin 2016 sont tardifs.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 juillet 2019 sont annulés en tant qu’ils concernent la taxe d’aménagement.
Article 2 : La demande de la société Campagne 1ère tendant, d’une part, à l’annulation des titres exécutoires en date du 28 juin 2016 portant sur les sommes de 45 692 et 45 691 euros au titre du recouvrement de la taxe d’aménagement ainsi que de la décision implicite de rejet de sa demande préalable du 25 juillet 2016 et, d’autre part, à la décharge de l’obligation de payer ces sommes, est rejetée
Article 3 : Les conclusions de la société Campagne 1ère présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, au ministre de l’économie, des finances et de la relance et à la société civile construction vente Campagne 1ère.
Délibéré à l’issue de la séance du 29 septembre 2021 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Frédéric Aladjidi, président de chambre ; Mme A… K…, Mme G… B…, M. D… E…, M. H… C…, Mme I… L…, M. Alain Seban, conseillers d’Etat et Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 13 octobre 2021.

Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Nissen
La secrétaire :
Signé : Mme F… J…

ECLI:FR:CECHR:2021:434551.20211013