Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 12/05/2022, 442982, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Le groupement foncier agricole (GFA) des Rouges Terres de la Forêt a demandé au tribunal administratif de Nantes de le décharger de l’obligation de payer la somme de 30 086 euros mise à sa charge par l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) au titre du recouvrement d’un indu d’aide aux investissements vitivinicoles. Par un jugement n° 1602981 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19NT00081 du 13 mars 2020, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par le GFA des Rouges Terres de la Forêt contre ce jugement.

Par un pourvoi enregistré le 18 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le GFA des Rouges Terres de la Forêt demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le règlement (CE) n° 796/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
– le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;
– le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 ;
– le règlement (CE) n°1122/2009 de la Commission du 30 novembre 2009 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le décret n° 2009-178 du 16 février 2009 ;
– l’arrêté interministériel du 17 avril 2009 définissant les conditions de mise en œuvre de la mesure de soutien aux investissements éligibles au financement par les enveloppes nationales en application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;
– la décision du directeur général de FranceAgriMer du 17 février 2010 relative à la mise en place par FranceAgriMer d’une aide aux programmes d’investissements des entreprises en application des règlements (CE) n° 479/2008 du 29 avril 2008 et n° 555/2008 du 27 juin 2008 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société GFA des Rouges Terres de la Forêt et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer ;

Considérant ce qui suit :

1. Le GFA des Rouges Terres de la Forêt, qui exploite des vignes en Loire-Atlantique, a demandé, le 10 décembre 2009, le bénéfice d’une subvention du Fonds Européen Agricole de Garantie (FEAGA) pour financer la construction d’un bâtiment logistique. Par une première décision du 16 août 2010, FranceAgriMer lui a accordé une subvention de 263 475,94 euros correspondant à une assiette de dépenses éligibles de 658 689,84 euros. Sur une réclamation du groupement du 9 janvier 2013, FranceAgriMer, par une décision modificative du 26 mars 2013, a porté l’aide maximale allouée à la somme de 313 586,94 euros, après avoir accepté de prendre en compte le poste de dépenses  » voiries-réseaux divers « , initialement écarté, pour un montant estimé de 125 525 euros. A la suite d’un contrôle sur place réalisé les 9 et 10 décembre 2014, une partie de ces dernières dépenses, pour un montant total de 75 215 euros, a toutefois été regardée comme inéligible à l’aide concernée. Le 15 mars 2016, le directeur général de FranceAgriMer a émis un titre de recette d’un montant de 30 086 euros à l’encontre du GFA des Rouges Terres de la Forêt, correspondant à la somme indûment allouée à raison de ces dernières dépenses. Le groupement a demandé au tribunal administratif de Nantes de le décharger de l’obligation de payer cette somme. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal a rejeté sa demande. Le GFA des Rouges Terres de la Forêt se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 13 mars 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel qu’il avait formé contre ce jugement.

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

2. En premier lieu, il ressort de la minute de l’arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutient le GFA, elle a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d’audience conformément aux exigences de l’article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature de la minute manque en fait.

3. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 711-3 du code de justice administrative :  » Si le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne « . La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

4. En l’espèce, il résulte des pièces de la procédure suivie devant la cour administrative d’appel de Nantes que le sens des conclusions du rapporteur public, mentionnant qu’il entendait conclure au rejet de l’appel, a été mis en ligne le mardi 18 février 2020, en vue de l’audience se tenant le jeudi 20 février à 9h00. Le rapporteur public ayant ainsi indiqué aux parties, dans un délai raisonnable avant l’audience, les éléments du dispositif de la décision qu’il comptait proposer à la formation de jugement, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure ne peut qu’être écarté.

Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :

En ce qui concerne la régularité de la procédure de contrôle :

5. L’article 76 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 impose aux Etats membres de réaliser des contrôles administratifs et des contrôles sur place, notamment pour recouvrer les paiements indus. L’article 78 de ce règlement prévoit que :  » 1. Les contrôles sur place sont effectués de manière inopinée. Un préavis limité au strict nécessaire peut toutefois être donné, pour autant que cela ne nuise pas à l’objectif du contrôle. Le préavis ne dépasse pas 48 heures, sauf dans des cas dûment justifiés ou dans le cas des mesures pour lesquelles des contrôles sur place systématiques sont prévus. (…) 3. La demande ou les demandes d’aide concernées sont rejetées si les bénéficiaires ou leur représentant empêchent la réalisation du contrôle sur place « . Selon l’article 83 du même règlement,  » chaque État membre prend toutes les mesures utiles pour faciliter l’accomplissement des tâches des agents de ses instances compétentes. Il veille notamment à ce que ces agents, le cas échéant en collaboration avec ceux de ses services qu’il habilite à cette fin : a) aient accès aux vignobles, aux installations de vinification, de stockage et de transformation de produits vitivinicoles et aux moyens de transport de ces produits ; b) aient accès aux locaux commerciaux ou entrepôts et aux moyens de transport de quiconque détient en vue de la vente, commercialise ou transporte des produits vitivinicoles ou des produits pouvant être destinés à une utilisation dans le secteur vitivinicole (…) « . L’article 95 du même règlement prévoit que :  » 1. Les personnes physiques ou morales ainsi que les groupements de ces personnes dont les activités professionnelles peuvent faire l’objet des contrôles visés par le présent règlement ne font pas obstacle à ces contrôles et sont tenus de les faciliter à tout moment « . Par son arrêt du 7 août 2018, Château du Grand Bois SCI (C-59/17), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que ces dispositions du règlement du 27 juin 2008 doivent être interprétées en ce sens qu’elles n’autorisent pas les agents qui procèdent à un contrôle sur place à pénétrer sur une exploitation agricole sans avoir obtenu l’accord de l’exploitant.

6. Si le GFA soutient que la procédure de contrôle menée dans son exploitation a été irrégulière, faute qu’il ait été préalablement informé de ce qu’il avait la possibilité de s’opposer à ce contrôle, ce qui traduirait une méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la procédure de contrôle en cause était destinée à vérifier que le bénéficiaire de l’aide respecte les conditions auxquelles son octroi est conditionné par le droit de l’Union européenne et que la décision ayant réduit le montant de l’aide accordée, prise sur la base des éléments constatés lors de ce contrôle, ne revêt pas un caractère punitif mais a pour seule portée de conduire au reversement de la partie de l’aide indûment perçue. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les pouvoirs de contrôle sur place exercés en l’espèce seraient tels qu’ils puissent être regardés, en l’absence de caractère répressif de la récupération de l’aide indûment versée, comme une ingérence disproportionnée par rapport aux buts en vue desquelles elle a été exercée. Par suite, à supposer même que les lieux de l’exploitation considérés soient au nombre de ceux vis-à-vis desquels pourrait être utilement invoqué l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en jugeant, après avoir relevé que le GFA ne s’était pas opposé au contrôle dont il avait été préalablement informé et que les inspecteurs n’avaient pu pénétrer les lieux, fermés au public, qu’avec l’accord du GFA dont le représentant était présent sur place, que le titre de recettes litigieux avait été émis à la suite d’une procédure de contrôle régulière ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.

En ce qui concerne la dispense de remboursement de l’aide :

7. Aux termes de l’article 15 du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 :  » 1. Un soutien peut être accordé pour des investissements matériels ou immatériels dans les installations de transformation, l’infrastructure de vinification, la commercialisation du vin qui améliorent les performances globales de l’entreprise et concernent un ou plusieurs des points suivants : a) la production ou la commercialisation des produits (…) « . L’article 17 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 dispose :  » (…) Sont admissibles les dépenses relatives : a) à la construction, à l’acquisition, y compris par voie de crédit-bail, et à la rénovation de biens immeubles « . Ces dispositions sont mises en œuvre en droit interne par le décret du 16 février 2009, modifié par le décret du 19 février 2013, qui dispose, à son article 2 :  » Des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture et du budget précisent les conditions et les modalités d’attribution des aides mentionnées aux articles (…) 15 (…) du règlement (CE) n° 479/2008 du 29 avril 2008 (…) « . En application de ce texte, l’arrêté interministériel du 17 avril 2009 prévoit à son article 4 que :  » Peuvent faire l’objet d’une aide les dépenses admissibles visées aux articles 17 et 18 du règlement (CE) n° 555/2008 et correspondant à des dépenses relatives : / – aux étapes dites « amont » de la production, destinées au conditionnement et au stockage de petits contenants ; / – à la construction de bâtiments correspondant à la fois aux étapes « amont » et « aval » / La liste des investissements éligibles est fixée par la circulaire du directeur de l’établissement désigné à l’article 2 « , à savoir FranceAgriMer. Aux termes de l’article 73 du règlement n° 796/2004 de la Commission du 21 avril 2004, dont les dispositions ont été reprises par le règlement n°1122/2009 du 30 novembre 2009 et rendu applicable par l’article 97 du règlement (CE) n°555/2008 du 27 juin 2008 :  » 4. L’obligation de remboursement visé au paragraphe 1 ne s’applique pas si le paiement a été effectué à la suite d’une erreur de l’autorité compétente ou d’une autre autorité et si l’erreur ne pouvait être raisonnablement décelée par l’agriculteur « .

8. En application de ces dispositions, la décision du directeur général de FranceAgriMer du 17 février 2010 a fixé la liste des investissements matériels des entreprises vitivinicoles éligibles à une subvention du FEAGA, au nombre desquels ne figurent pas les travaux de voirie extérieure permettant l’accès aux bâtiments, à l’exception des quais de réception.

9. Pour écarter l’invocation de l’article 73 du règlement du 21 avril 2004, la cour administrative d’appel a relevé que si le paiement de la subvention, pour sa fraction litigieuse, résultait d’une erreur de l’autorité compétente au sens des dispositions de cet article, la réglementation en vigueur excluait de manière claire l’éligibilité à l’aide des travaux de voirie extérieure et a jugé que le groupement requérant ne pouvait prétendre qu’il ne pouvait raisonnablement déceler cette inéligibilité pour toutes les surfaces de voirie excédant celle réalisée à l’intérieur du bâtiment. En statuant ainsi, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation. C’est, en outre, sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que la prise en compte des dépenses afférentes aux travaux de voirie extérieure ne résultait pas d’une pratique administrative généralisée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le GFA des Rouges Terres de la Forêt n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de FranceAgriMer qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du GFA des Rouges Terres de la Forêt une somme à verser à FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du GFA des Rouges Terres de la Forêt est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au GFA des Rouges Terres de la Forêt et à FranceAgriMer.
Délibéré à l’issue de la séance du 13 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Herondart, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 12 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Juliana Nahra
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin

ECLI:FR:CECHR:2022:442982.20220512