Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 11/10/2022, 465399

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2202645 du 29 juin 2022, enregistré le 30 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande de Mme I… P… tendant à ce qu’il réforme la décision du 8 décembre 2021 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a approuvé, après réformation, le compte de campagne qu’elle a déposé au titre de l’élection régionale des 20 et 27 juin 2021 dans la circonscription de Normandie, et arrêté le montant du remboursement forfaitaire dû par l’Etat à la somme de 415 582 euros, en tant qu’elle a écarté du droit à remboursement la facture de la société France Affichage Plus d’un montant de 30 003 euros, a décidé, en application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Les dispositions de l’article R. 39 du code électoral doivent-elles être interprétées en ce sens que les dépenses d’affichage incluent nécessairement les dépenses liées au conditionnement, au transport et à la livraison des affiches ‘

2°) En cas de réponse positive à la première question, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, ces dépenses excèderaient le montant maximum de remboursement fixé par ce même article R. 39 et ses arrêtés d’application, peuvent-elles être retracées dans le compte de campagne des candidats alors même qu’elles constitueraient des dépenses de la campagne officielle par nature ‘

Un mémoire en intervention a été présenté par M. de Rugy, M. X…, M. Z…, Mme N…, M. C…, M. V…, M. B…, M. U…, M. J… et l’association La République en Marche.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code électoral ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 septembre 2022, présentée par la CNCCFP ;

REND L’AVIS SUIVANT

1. En premier lieu, aux termes du second alinéa de l’article L. 355 du code électoral, relatif à l’élection des conseillers régionaux :  » Sont remboursés aux listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés : le coût du papier, l’impression des bulletins de vote, affiches, circulaires et les frais d’affichage. Un décret en Conseil d’Etat détermine la nature et le nombre des bulletins, affiches et circulaires dont le coût est remboursé ; il détermine également le montant des frais d’affichage « . Aux termes de l’article R. 39 de ce code, applicable à l’élection des conseillers régionaux en application de l’article R. 182 du même code :  » Lorsqu’il est prévu par la loi, le remboursement par l’Etat des frais d’impression ou de reproduction et d’affichage exposés avant chaque tour de scrutin par les candidats, les binômes de candidats ou les listes est effectué, sur présentation des pièces justificatives, pour les imprimés suivants : / a) Deux affiches identiques d’un format maximal de 594 mm × 841 mm, par emplacement prévu à l’article L. 51 ; / b) Deux affiches d’un format maximal de 297 mm × 420 mm pour annoncer la tenue des réunions électorales, par emplacement prévu à l’article L. 51 (…) Toutefois, la somme remboursée ne peut excéder celle résultant de l’application, au nombre des imprimés admis à remboursement, des tarifs d’impression et d’affichage fixés par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de l’économie. Les tarifs sont établis par référence à des documents imprimés sur papier blanc et conformes au grammage et au format fixés par les articles R. 29 et R. 30. Ils peuvent varier en fonction des quantités imprimées et du tour de scrutin « .

2. Les  » frais d’impression et de reproduction ou d’affichage  » mentionnés par les dispositions précitées de l’article R. 39 du code électoral, qui donnent lieu à remboursement par l’Etat, sous réserve que la liste concernée ait obtenu au moins 5% des suffrages exprimés, dans la limite du plafond que ces dispositions prévoient, incluent nécessairement les dépenses engagées par une liste pour le conditionnement des affiches, leur transport et leur livraison.

3. En second lieu, aux termes de l’article L. 52-4 du code électoral :  » [Le mandataire] règle les dépenses engagées en vue de l’élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l’exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique « . Aux termes de l’article L. 52-11 du même code :  » Pour les élections auxquelles l’article L. 52-4 est applicable, il est institué un plafond des dépenses électorales, autres que les dépenses de propagande directement prises en charge par l’Etat, exposées par chaque candidat ou chaque liste de candidats, ou pour leur compte, au cours de la période mentionnée au même article (…) « . Aux termes de l’article L. 52-11-1 du code électoral :  » Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l’article L. 52-4 est applicable font l’objet d’un remboursement forfaitaire de la part de l’Etat égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l’apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne « . Aux termes, enfin, de l’article L. 52-12 du code électoral :  » Le compte de campagne retrace, selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection par le candidat ou le candidat tête de liste ou pour son compte, à l’exclusion des dépenses de la campagne officielle « .

4. Il résulte de ces dispositions que les dépenses de la campagne officielle constituent des dépenses engagées en vue de l’élection au sens de l’article L. 52-4 du code électoral et doivent, à ce titre, être réglées par le mandataire financier. Il en résulte également que celles de ces dépenses qui, par dérogation, ne doivent pas figurer dans le compte de campagne et ne peuvent faire l’objet du remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu à l’article L. 52-11-1 du code électoral, s’entendent des seules dépenses de cette nature ouvrant droit au remboursement prévu, de manière distincte, par les dispositions citées au point 1, relatives à la campagne officielle.

5. Par suite, les dépenses d’impression ou de reproduction et d’affichage qui ne peuvent donner lieu à remboursement au titre des articles L. 355 et R. 39 du code électoral parce qu’elles excèdent le plafond fixé en application de ces dispositions doivent être retracées dans le compte de campagne des candidats et peuvent faire l’objet du remboursement prévu à l’article L. 52-11-1 du code électoral.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Paris, à Mme I… P…, à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l’issue de la séance du 21 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. S… G…, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. O… T…, M. A… W…, M. Q… L…, M. M… K…, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et M. Y… D…, auditeur-rapporteur.
Rendu le 11 octobre 2022
La présidente :
Signé : Mme R… F…
L’auditeur-rapporteur :
Signé : M. Y… D…
La secrétaire :
Signé : Mme E… H…

ECLI:FR:CECHR:2022:465399.20221011

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 11/10/2022, 464561

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) BH Concept a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Par un jugement n° 1705179 du 17 octobre 2019, ce tribunal a fait droit à sa demande

Par un arrêt n° 20BX00181 du 7 avril 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par le ministre de l’économie, des finances et de la relance contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 mai et 19 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel – Rameix – Gury – Maître, avocat de la société BH Concept ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 septembre 2022, présentée par la société BH Concept ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société BH Concept, qui exerce une activité de marchand de biens, a procédé au cours des années 2012, 2013 et 2014 à des cessions de terrains à bâtir issus de la division parcellaire de terrains bâtis qu’elle a placées, pour leur assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, sous le régime de la marge prévu par l’article 268 du code général des impôts. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration, estimant que ces terrains n’avaient pas été acquis par l’intéressée en qualité de terrains à bâtir, a remis en cause l’application de ce régime et a mis à la charge de la société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 7 avril 2022 par lequel la cour administrative de Bordeaux a rejeté l’appel qu’il avait formé contre le jugement du 20 septembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux ayant, sur demande de la société BH Concept, prononcé la décharge de ces impositions.

2. En premier lieu, le I de l’article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b. de l’article 266 du même code, l’assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession. L’article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que :  » Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat « . L’article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que :  » S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir (…), si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre : / 1° D’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y ajoutent ; / 2° D’autre part, selon le cas : / – soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l’acquisition du terrain(…); / – soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués « .

3. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l’objet d’une division parcellaire en vue d’en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d’assiette du bâtiment.

4. En se fondant, pour juger que les terrains à bâtir objets des cessions en litige avaient été acquis en cette même qualité par la société BH Concept auprès de leurs anciens propriétaires, sur la seule circonstance que la division parcellaire dont ces terrains procédaient avait été autorisée de façon suffisamment précise et détaillée préalablement à cette acquisition, sans rechercher s’il ressortait des actes de vente que ces terrains avaient été acquis par la société BH Concept comme terrains à bâtir, distinctement des terrains supportant des constructions, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que le ministre de l’économie et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 7 avril 2022 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : Les conclusions de la société BH Concept tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée BH Concept.
Délibéré à l’issue de la séance du 21 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et M. François-René Burnod, auditeur-rapporteur.

Rendu le 11 octobre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. François-René Burnod
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle

ECLI:FR:CECHR:2022:464561.20221011

Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 11/10/2022, 463134

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société d’études et de développement patrimonial de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la redevance pour création de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage à laquelle elle a été assujettie à raison d’un centre de traitement de données qu’elle a été autorisée à bâtir à Bagneux (Hauts-de-Seine) en vertu d’un permis de construire qui lui a été accordé le 13 octobre 2014. Par un jugement n° 1704694 du 28 janvier 2020, le tribunal administratif a fait droit à cette demande.

Par une décision n° 441652 du 27 avril 2021, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l’affaire au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Par un jugement n° 2105668 du 11 février 2022, le tribunal administratif, statuant sur renvoi, a accordé la décharge sollicitée par la société RATP Real Estate, venue aux droits de la société d’études et de développement patrimonial de la RATP, au titre des locaux autres que de bureaux inclus dans les bâtiments du centre de traitement de données en litige, et rejeté le surplus de sa demande.

Par un pourvoi, enregistré le 12 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de la société RATP Real Estate.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de société RATP Real Estate ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société d’études et de développement patrimonial de la RATP, devenue ultérieurement la société RATP Real Estate, a été assujettie à la redevance pour création de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage en Ile-de-France prévue par l’article L. 520-1 du code de l’urbanisme à raison d’un permis de construire qui lui a été délivré le 13 octobre 2014 pour la construction d’un centre de traitement des données, dit  » data center « , sur le territoire de la commune de Bagneux. Par un jugement du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à la demande de la société tendant à la décharge de cette redevance. Par une décision du 27 avril 2021, le Conseil d’État, statuant au contentieux a annulé ce jugement. La ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation contre le jugement du 11 février 2022 par lequel le même tribunal, statuant sur renvoi, a prononcé la décharge partielle, à raison des locaux hébergeant des serveurs informatiques, de la redevance.

2. Aux termes de l’article L. 520-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date du fait générateur de l’imposition en litige :  » En région d’Île-de-France, une redevance est perçue à l’occasion de la construction, de la reconstruction ou de l’agrandissement des locaux à usage de bureaux, des locaux commerciaux et des locaux de stockage définis au III de l’article 231 ter du code général des impôts « . Le III de l’article 231 ter du code général des impôts dispose que :  » (…) III. – La taxe est due : (…) 3° Pour les locaux de stockage, qui s’entendent des locaux ou aires couvertes destinés à l’entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production « .

3. D’une part, les données numériques traitées dans les locaux en litige ne constituent ni des produits, ni des marchandises, ni des biens, au sens du 3° du III de l’article 231 ter du code général des impôts cité ci-dessus au point 2. D’autre part, et contrairement à ce que soutient la ministre, la circonstance, non contestée, que ces locaux abritent des matériels et infrastructures informatiques en fonctionnement ne saurait conduire à regarder ces locaux comme destinés à un entreposage au sens des mêmes dispositions. Dès lors, en jugeant que les locaux en cause ne constituaient pas des locaux de stockage au sens et pour l’application de ces dispositions, le tribunal, qui a suffisamment motivé son jugement, n’a pas commis d’erreur de droit ni donné aux faits de l’espèce une inexacte qualification juridique.

4. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique n’est pas fondée à demander l’annulation des articles 1er et 2 du jugement qu’elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de la ministre de la transition écologique est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à la société RATP Real Estate une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société RATP Real Estate.
Délibéré à l’issue de la séance du 21 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 11 octobre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle

ECLI:FR:CECHR:2022:463134.20221011

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 10/10/2022, 454460

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société anonyme Firalis a demandé au tribunal administratif de Rouen d’annuler la décision de la fédération hospitalo-universitaire  » Remod-VHF  » du 5 mai 2017, notifiée par un courrier du 13 juin 2017, par lequel il a été mis fin, à effet immédiat, au partenariat les liant dans le cadre du consortium dit  » STOP-AS « , ainsi que la décision du 27 juillet 2017 rejetant son recours gracieux, et d’enjoindre à la fédération hospitalo-universitaire de la réintégrer au sein du consortium. Par un jugement n° 1702974 du 11 octobre 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 19DA02753 du 11 mai 2021, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par la société Firalis contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juillet et 12 octobre 2021 et le 4 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Firalis demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen et de la fédération hospitalo-universitaire  » Remod-VHF  » la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la Société Firalis et à la SCP Foussard, Froger, avocat du centre hospitalier universitaire de Rouen ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une convention constitutive du 1er janvier 2015, le groupement de coopération sanitaire  » G4 « , l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, les centres hospitaliers universitaires d’Amiens, de Caen et de Rouen et les universités d’Amiens, de Caen et de Rouen, ont créé trois fédérations hospitalo-universitaires, dont la fédération hospitalo-universitaire dite  » Remod-VHF  » ( » remodeling in valvulopathy and heart failure  » – marqueurs précoces du remodelage cardiovasculaire au cours des valvulopathies et de l’insuffisance cardiaque), dont le centre hospitalier universitaire de Rouen assure la gestion administrative et juridique. Dans la perspective de répondre à un appel à projets de recherche hospitalo-universitaire lancé par l’Agence nationale de la recherche, la fédération hospitalo-universitaire  » Remod-VHF  » a réuni, dans le cadre d’un consortium dit  » STOP-AS  » ( » search treatment and improve outcome of patients with aortic stenosis  » – stopper le rétrécissement aortique et ses conséquences), différents partenaires publics et privés, dont la société Firalis. Par un arrêté du 24 juin 2016, le Premier ministre a autorisé l’Agence nationale de la recherche à subventionner le consortium  » STOP-AS  » à hauteur de 6 600 000 euros, en subordonnant toutefois le versement de l’aide à la société Firalis à la vérification de sa capacité à financer les apports prévus dans le dossier déposé le 11 février 2016. Le 5 mai 2017, dans le cadre d’une réunion du comité institutionnel réunissant les membres du consortium, la société Firalis a été invitée à présenter son bilan scientifique et financier. A l’issue de la réunion, les membres du consortium ont décidé de mettre fin à la relation les liant avec cette société. Cette décision a été notifiée à la société Firalis par un courrier du 13 juin 2017. La société a formé un recours gracieux contre la décision du 5 mai 2017, qui a été rejeté par un courrier du 27 juillet 2017. Par un jugement du 11 octobre 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la société Firalis tendant à l’annulation de la décision du 5 mai 2017 ainsi que de celle rejetant son recours gracieux. La société Firalis demande l’annulation de l’arrêt du 11 mai 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement.

2. D’une part, aux termes du premier alinéa de l’article R. 613-1 du code de justice administrative, dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel,  » Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l’instruction sera close (…) « . L’article R. 613-1-1 du même code prévoit que :  » Postérieurement à la clôture de l’instruction ordonnée en application de l’article précédent, le président de la formation de jugement peut inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n’a pour effet de rouvrir l’instruction qu’en ce qui concerne ces éléments ou pièces « . Le premier alinéa de l’article R. 613-2 de ce code dispose que :  » Si le président de la formation de jugement n’a pas pris une ordonnance de clôture, l’instruction est close trois jours francs avant la date de l’audience indiquée dans l’avis d’audience prévu à l’article R. 711-2. Cet avis le mentionne « .

3. D’autre part, aux termes de l’article R. 613-3 du code de justice administrative :  » Les mémoires produits après la clôture de l’instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l’instruction  » et aux termes de l’article R. 613-4 de ce code :  » Le président de la formation de jugement peut rouvrir l’instruction par une décision qui n’est pas motivée et ne peut faire l’objet d’aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l’ordonnance de clôture. / La réouverture de l’instruction peut également résulter d’un jugement ou d’une mesure d’investigation ordonnant un supplément d’instruction. (…) « .

4. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, lorsqu’au cours d’une audience, le président de la formation de jugement d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel invite une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction, il doit être regardé comme ayant rouvert l’instruction. Dans une telle hypothèse, en l’absence de dispositions lui permettant de différer la clôture de l’instruction au-delà de l’appel de l’affaire à l’audience ou, le cas échéant, de la formulation par les parties ou leurs mandataires de leurs observations orales, et dès lors que la formation de jugement ne saurait sans irrégularité statuer tant que l’instruction est en cours, il lui revient de rayer l’affaire du rôle et d’informer les parties de la réouverture de l’instruction.

5. Il ressort des pièces du dossier de la procédure devant la cour administrative d’appel de Douai que, par une ordonnance du 19 janvier 2021, la présidente de la deuxième chambre de cette cour a fixé la date de la clôture de l’instruction au 19 février 2021, 12 heures, et que l’instruction a été rouverte à cette date par la communication du mémoire en réplique de la société Firalis. Par un courrier du 1er avril 2021, le greffier a informé les parties de ce que leur affaire serait inscrite à l’audience du 20 avril 2021, de sorte que l’instruction était à nouveau close trois jours francs avant cette dernière date. Au cours de l’audience du 20 avril 2021, la présidente de la formation de jugement a demandé aux parties la production d’une pièce supplémentaire. La pièce en cause a été produite le 29 avril 2021, à la suite de quoi la cour a rendu son arrêt le 11 mai 2021. En statuant dans ces conditions, alors que l’instruction était toujours en cours et ne pouvait plus être à nouveau close sans que l’affaire, ne relevant d’aucune disposition permettant de différer la clôture au-delà de l’audience, soit rayée du rôle, la cour a entaché son arrêt d’irrégularité.

6. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Firalis est fondée à demander l’annulation pour ce motif de l’arrêt qu’elle attaque.

7. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Firalis au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par le centre hospitalier universitaire de Rouen.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 11 mai 2021 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Douai.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Firalis et au centre hospitalier universitaire de Rouen.
Délibéré à l’issue de la séance du 26 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d’Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Jeannard
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2022:454460.20221010

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 10/10/2022, 455573, Publié au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Horizon et Mme B… A… ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 20 avril 2020 par lequel le maire de Thonon-Les-Bains a délivré un permis de construire à la société à responsabilité limitée Immo Léman en vue de l’édification d’un immeuble de huit logements, après démolition d’une maison et d’un garage double. Par un jugement n° 2003237 du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 août et 16 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Horizon et Mme A… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de la société Immo Léman et de la commune de Thonon-les-Bains la somme de 4 000 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société Horizon et de Mme A… et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Thonon-les-Bains ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 20 avril 2020, le maire de Thonon-les-Bains a délivré à la société Immo Léman un permis de construire un immeuble de huit logements après démolition d’une maison et d’un garage double. La société Horizon et Mme A… se pourvoient en cassation contre le jugement du 14 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire.

2. En premier lieu, d’une part, le premier alinéa de l’article R. 613-1 du code de justice administrative dispose que, dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel :  » Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l’instruction sera close. (…) « . Le premier alinéa de l’article R. 613-2 de ce code prévoit que :  » Si le président de la formation de jugement n’a pas pris une ordonnance de clôture, l’instruction est close trois jours francs avant la date de l’audience indiquée dans l’avis d’audience prévu à l’article R. 711-2. Cet avis le mentionne.  »

3. D’autre part, aux termes de l’article R. 611-7 du même code :  » Lorsque la décision lui paraît susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l’instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu’y fasse obstacle la clôture éventuelle de l’instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué « . Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :  » Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations (…) « .

4. Lorsque, postérieurement à la clôture de l’instruction, le juge informe les parties, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que sa décision est susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, cette information n’a pas par elle-même pour effet de rouvrir l’instruction. La communication par le juge, à l’ensemble des parties, des observations reçues sur ce moyen relevé d’office n’a pas non plus par elle-même pour effet de rouvrir l’instruction, y compris dans le cas où, par l’argumentation qu’elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen. La réception d’observations sur un moyen relevé d’office n’impose en effet au juge de rouvrir l’instruction, conformément à la règle applicable à tout mémoire reçu postérieurement à la clôture de l’instruction, que si ces observations contiennent l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit qui est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire et dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction.

5. De même, lorsque le juge administratif, alors qu’il envisage de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, invite, ainsi que le prévoit cet article, les parties à produire des observations, ni cette invitation ni la communication par le juge des observations reçues en réponse à cette invitation n’ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l’instruction si elle était close.

6. Il ressort en l’espèce des pièces de la procédure qu’en l’absence d’ordonnance de clôture, l’envoi de l’avis d’audience, le 22 avril 2021, emportait clôture de l’instruction, qui avait auparavant été close par ordonnance le 16 décembre 2020 puis partiellement rouverte en application de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative par l’envoi d’une mesure supplémentaire d’instruction le 20 janvier 2021, trois jours francs avant la date de cette audience, fixée au lundi 17 mai 2021 à 9 heures 40. Par un courrier du 6 mai 2021, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de surseoir à statuer sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme pour permettre la régularisation du vice tiré de la méconnaissance par le projet de l’article UB 3 du règlement du plan local d’urbanisme et invitées à présenter leurs éventuelles observations dans un délai de six jours à compter de la notification de ce courrier. Par un courrier du lundi 10 mai 2021, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de recourir aux mêmes dispositions pour la régularisation d’un autre vice, tiré de la méconnaissance par le projet de l’article UB 13 de ce règlement et les parties invitées à faire connaître leurs observations dans un délai de quatre jours à compter de la réception de ce courrier. Par un mémoire enregistré le mercredi 12 mai 2021, la commune de Thonon-les-Bains a fait valoir ses observations en réponse à ces deux courriers. Ce mémoire a été communiqué à la société pétitionnaire et aux requérants par mise à disposition sur l’application Télérecours le lundi 17 mai 2021 à 8h37, en les invitant à y répondre, si elles l’estimaient utile,  » aussi rapidement que possible « . Elles en ont pris connaissance, respectivement, le 17 mai 2021 à 16h11 et le 18 mai 2021.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que ni les invitations faites aux parties de faire connaître leurs observations sur le sursis à statuer envisagé en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, ni la communication aux autres parties des observations présentées par la commune de Thonon-les-Bains en réponse à ces invitations n’ont eu pour effet de proroger au-delà du 14 mai 2021 la date de la clôture de l’instruction résultant de l’envoi de l’avis d’audience. Les requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que le jugement serait entaché d’irrégularité faute que l’instruction ait été autrement close ou que les parties en aient été informées.

8. En deuxième lieu, si le juge administratif doit, lorsqu’il invite les parties à produire des observations sur la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, leur laisser un délai suffisant à cette fin, le délai dans lequel il communique aux autres parties les observations qui lui sont présentées en réponse à cette invitation est, en revanche, eu égard à l’objet de cette invitation, sans incidence sur la régularité de la procédure. Par suite, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que les observations présentées par la commune de Thonon-les-Bains en réponse à l’invitation faite par le tribunal leur auraient été communiquées tardivement.

9. En troisième lieu, l’article UB 3 du règlement du plan local d’urbanisme, relatif à la desserte des terrains et à l’accès aux voies ouvertes au public, prévoit notamment que :  » La disposition des accès doit assurer leur fonctionnalité et la sécurité des usagers de la voirie et des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité et cette fonctionnalité s’apprécient compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l’intensité du trafic de la voie « .

10. Si les requérantes faisaient valoir devant le tribunal administratif qu’il était  » très difficile  » de connaître quelle serait la configuration de l’accès au bâtiment et, partant, d’apprécier la visibilité offerte pour déboucher sur le boulevard Carnot, compte tenu de la prescription dont est assorti le permis de construire, imposant que l’angle de l’immeuble en rez-de-chaussée, entre l’avenue des Tilleuls et le boulevard Carnot, soit  » reconstruit  » par l’ajout d’une paroi ajourée le long de l’avenue des Tilleuls pour réduire l’impact visuel des ouvertures nécessaires aux entrées et aux sorties du garage souterrain, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal a notamment estimé, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article UB 3 du règlement du plan local d’urbanisme, que le débouché du projet sur le boulevard Carnot permettait une bonne visibilité, tant pour les véhicules sortant du garage souterrain du projet que pour ceux empruntant cette voie. Il ne ressort pas des motifs de son jugement, suffisamment motivé sur ce point, qu’il aurait, pour porter cette appréciation, omis de tenir compte de la prescription dont est assorti le permis de construire.

11. En quatrième lieu, l’article UB 13 du règlement du plan local d’urbanisme, relatif aux espaces libres et plantations et aux espaces boisés classés, dispose que :  » Les espaces libres n’incluent pas les surfaces occupées par des constructions (…). / La moitié au moins des espaces non bâtis ou de la toiture plate d’une construction de deux niveaux au-dessus du terrain fini devra être traité en espace libre. / En dehors de tout projet de construction, les espaces libres existants devront être conservés (…) « .

12. En jugeant que les espaces libres existants n’avaient pas à être obligatoirement conservés dès lors que le projet litigieux était un projet de construction, le tribunal n’a pas, eu égard aux termes mêmes de l’article UB 13 du règlement du plan local d’urbanisme, commis d’erreur de droit. Il n’a pas davantage commis d’erreur de droit en jugeant que celles de ces dispositions imposant que la moitié au moins d’une toiture plate soit traitée en espace libre n’étaient applicables qu’aux bâtiments en R + 1 et qu’elles n’étaient, par suite, pas opposables au projet, qui porte sur la construction d’un bâtiment en R + 5.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du jugement qu’elles attaquent.

14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Thonon-les-Bains et de la société Immo Léman, qui ne sont pas les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Horizon et de Mme A… la somme de 1 000 euros chacune à verser à la commune de Thonon-les-Bains au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Le pourvoi de la société Horizon et autre est rejeté.

Article 2 : La société Horizon et Mme A… verseront, chacune, une somme de 1 000 euros à la commune de Thonon-les-Bains au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Horizon, première dénommée, pour les deux requérantes, à la commune de Thonon-les-Bains et à la société à responsabilité limitée Immo Léman.
Délibéré à l’issue de la séance du 26 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d’Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2022:455573.20221010

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 10/10/2022, 451530

Texte Intégral :
Vu les procédures suivantes :

Le Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, l’arrêté du 29 août 2011 par lequel le maire d’Etaples-sur-Mer a délivré à la société Adevia un permis d’aménager pour la création d’un parc d’activités économiques, d’autre part, l’arrêté du 2 juillet 2018 par lequel ce maire a délivré à la société anonyme d’économie mixte Territoires Soixante-Deux, venue aux droits de la société Adevia, un permis d’aménager modificatif, enfin la décision du 8 décembre 2011 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé de déférer au tribunal administratif l’arrêté du 29 août 2011. Par un jugement n°s 1502719, 1808259 du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés des 29 août 2011 et 2 juillet 2018 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n°s 19DA01901, 19DA02169 du 9 février 2021, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé contre ce jugement par la société Territoires Soixante-Deux et la commune d’Etaples-sur-Mer.

1° Sous le n° 451530, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 12 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la société Territoires Soixante-Deux demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Groupement de défense de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 451531, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 9 juillet 2021, la commune d’Etaples-sur-Mer demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 9 février 2021 de la cour administrative d’appel de Douai ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Groupement de défense de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament – Robillot, avocat de la société Territoires Soixante-Deux, à la SCP Zribi et Texier, avocat du Groupement de défense de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la commune d’Etaples-sur-Mer ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par une convention publique d’aménagement du 15 octobre 2003, la communauté de communes Mer et Terres d’Opale, devenue la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois, a confié à la société Adevia la création d’un parc d’activités dénommé Opalopolis sur le territoire de la commune d’Etaples-sur-Mer. Par un arrêté du 29 août 2011, le maire de cette commune a accordé un permis d’aménager un premier secteur du projet, portant sur une surface de 12 hectares, situé sur un ancien site industriel. A la suite de la réduction du périmètre du projet de 100 à 54 hectares, de la déclaration d’intérêt général par le conseil communautaire et de la mise en conformité en conséquence du schéma de cohérence territoriale et du plan local d’urbanisme, la société Territoires Soixante-Deux, venue aux droits de la société Adevia, a demandé un permis d’aménager modificatif, qui lui a été accordé par arrêté du 2 juillet 2018. Par un jugement du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille, saisi par le Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais, a annulé les arrêtés du 29 août 2011 et du 2 juillet 2018. La société Territoires Soixante-Deux et la commune d’Etaples-sur-Mer demandent, par deux pourvois qu’il y a lieu de joindre, l’annulation de l’arrêt de la cour administrative de Douai du 9 février 2021 ayant rejeté leurs appels contre ce jugement.

Sur l’intervention :

2. La communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois justifie d’un intérêt suffisant à l’annulation de l’arrêt attaqué. Ainsi, son intervention au soutien des deux pourvois est recevable.

Sur les pourvois :

3. Aux termes du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, repris depuis le 1er janvier 2016 à l’article L. 121-8 de ce code :  » L’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement « . Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées, dans les communes littorales, en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions.

4. Lorsqu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l’autorisation, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’autorisation initiale.

5. Ainsi, le juge administratif saisi de la contestation de la légalité d’une autorisation d’urbanisme initiale ayant fait l’objet d’une autorisation modificative doit, pour apprécier s’il y a lieu le respect par le projet des dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ou, depuis le 1er janvier 2016, de l’article L. 121-8 de ce code, rechercher si, à la date de la délivrance de l’autorisation modificative, les constructions projetées se trouvent en continuité avec des zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions.

6. Il résulte de ce qui vient d’être dit que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la méconnaissance par le projet des dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ne devait s’apprécier qu’au regard des circonstances prévalant à la date du permis d’aménager initial accordé le 29 août 2011, sans qu’ait d’incidence la délivrance d’un permis modificatif par l’arrêté du 2 juillet 2018.

7. En outre, si la cour a précisé que l’appréciation du respect du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme qu’elle a opérée au regard de l’environnement du projet à la date du permis d’aménager initial valait  » même à celle du permis modificatif « , il ressort des pièces des dossiers qui lui étaient soumis que le projet litigieux, qui consiste à aménager des parcelles localisées sur une friche industrielle, se trouve aux abords immédiats d’une usine, en continuité de la zone d’aménagement concerté du Domaine du Chemins des Près, elle-même en continuité d’une zone déjà urbanisée située à l’est du territoire de la commune d’Etaples-sur-Mer. En jugeant que, même à la date du permis modificatif, la densité des constructions de la zone d’aménagement concerté n’était pas significative et que le projet ne se trouvait pas en continuité d’une agglomération existante, la cour a dénaturé les faits de l’espèce.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, les requérantes sont fondées à demander l’annulation de l’arrêt qu’elles attaquent.

9. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais les sommes demandées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par le Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’intervention de la communauté d’agglomération des deux bais en Montreuillois au soutien des deux pourvois est admise.

Article 2 : L’arrêt du 9 février 2021 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé.
Article 3 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Douai.
Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Territoires Soixante-Deux, à la commune d’Etaples-sur-Mer, au Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais et à la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois.
Délibéré à l’issue de la séance du 26 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d’Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2022:451530.20221010

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 10/10/2022, 465977

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet et 21 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association  » DIGNITAS – Vivre dignement – Mourir dignement  » demande au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant, d’une part, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande tendant à l’abrogation des articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au Premier ministre d’abroger ces dispositions et d’en édicter de nouvelles aux fins de prévoir  » le droit pour chacun de pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité « , de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code de la santé publique, notamment ses articles L. 1110-5 à L. 1110-5-3 ;
– la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l’association  » DIGNITAS – Vivre dignement – Mourir dignement  » ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :  » Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) « . Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. A l’appui de son recours tendant à l’annulation du refus du Premier ministre d’abroger les articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique, l’association requérante demande au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique, au motif que ces dispositions, en tant qu’elles s’abstiennent d’instituer des garanties légales de nature à permettre à chacun, au moment de son choix et en dehors de toute situation d’obstination déraisonnable ou de fin de vie, de pouvoir mettre fin à ses jours  » consciemment, librement et dans la dignité « , porteraient atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit au respect de la vie privée, au  » droit à l’autonomie personnelle  » et au  » droit de mourir dans la dignité  » ainsi qu’au principe de fraternité et à la  » liberté d’aider autrui dans un but humanitaire  » qui découlerait de ce principe et que le législateur, en adoptant les dispositions de ces articles sans organiser l’exercice d’une telle faculté, aurait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elle-même les droits et libertés invoqués.

3. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, déclaré conforme à la Constitution, sous des réserves qu’il a énoncées, les mots  » et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire  » figurant au premier alinéa de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique et le cinquième alinéa de l’article L. 1110-5-2 du même code dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Aucun changement de circonstances survenu depuis cette décision n’est de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.

4. En second lieu, s’il incombe au législateur, lorsqu’il adopte des dispositions, d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34, le grief tiré de son incompétence négative ne peut être utilement soulevé à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’à l’encontre de dispositions résultant d’une loi promulguée et à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu’elles ont instaurées, la question prioritaire de constitutionnalité étant destinée à saisir le Conseil constitutionnel de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de dispositions législatives applicables et non à contraindre le législateur de légiférer sur un autre sujet que celui traité par les dispositions de la loi contestée.

5. L’article L. 1110-5 du code de la santé publique garantit à toute personne, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées, ainsi que le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. L’article L. 1110-5-1 du même code prévoit que ces actes ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable et qu’ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale, lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en lui dispensant des soins palliatifs. L’article L. 1110-5-2 du même code dispose notamment que :  » A la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants : / 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; / 2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable./ Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l’obstination déraisonnable mentionnée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie (…) « . Enfin, l’article L. 1110-5-3 du même code prévoit notamment que :  » Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. (…) « .

6. Les dispositions de ces articles L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique n’ont ni pour objet ni pour effet de reconnaître ou d’organiser l’exercice d’un  » droit de chacun à pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité  » au moment de son choix et en dehors de toute situation d’obstination déraisonnable ou de fin de vie, tel que revendiqué par l’association requérante. Dans ces conditions, cette dernière ne peut utilement soutenir, par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité qui porte sur un autre sujet que celui traité par les dispositions législatives qu’elle conteste, ni que ces dispositions méconnaîtraient le droit qu’elle revendique, ni qu’elles seraient entachées d’incompétence négative faute de comporter des règles permettant l’exercice d’un tel droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’intérêt pour agir de l’association requérante et sans qu’il y ait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association  » DIGNITAS – Vivre dignement – Mourir dignement « .

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association  » DIGNITAS – Vivre dignement – Mourir dignement  » et au ministre de la santé et de la prévention.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l’issue de la séance du 26 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d’Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2022:465977.20221010

Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 10/10/2022, 460776

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 janvier et 1er septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération Sud Education demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la réponse, publiée le 6 janvier 2022 dans la rubrique  » foire aux questions  » du site internet du ministère de l’éducation nationale de la jeunesse et des sports, apportée à la question :  » quelles sont les recommandations concernant la tenue des réunions syndicales et les absences pour motif syndical ‘  » ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– le décret n° 82-447 du 28 mai 1982
– le décret n° 84-474 du 15 juin 1984 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

– les conclusions de M. A… B… de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, représenté par Me Maman, avocat de la Fédération Sud Education ;

Considérant ce qui suit :

1. La Fédération Sud Education demande l’annulation pour excès de pouvoir des énonciations formulées dans une  » foire aux questions  » du 6 janvier 2022 relative au coronavirus Covid-19 publiée sur le site internet du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et précisant, en réponse à la question :  » Quelles sont les recommandations concernant la tenue des réunions syndicales et les absences pour motif syndical ‘ « , que :  » Face à une situation imprévisible qui empêche le fonctionnement du service, et sous les mêmes conditions de motivation, une autorisation de participation pourrait être retirée. Ainsi pourrait-il en être pour une autorisation de participation à un stage de formation syndical délivrée, conformément aux textes, au moins quinze jours à l’avance « .

2. Si le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse soutient que les énonciations attaquées ont été retirées du site internet du ministère le 24 août 2022, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces énonciations n’aient pas reçu de commencement d’exécution antérieurement à ce qui doit être regardé comme leur abrogation. Dès lors, les conclusions tendant à leur annulation ne sont pas devenues sans objet.

3. Aux termes de l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » L’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision « . Aux termes de l’article L. 242-2 du même code :  » Par dérogation à l’article L. 242-1, l’administration peut, sans condition de délai :/ 1° Abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie ; / (…) « .

4. Aux termes de l’article 4 du décret du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique :  » Les organisations syndicales peuvent tenir des réunions statutaires ou d’information à l’intérieur des bâtiments administratifs en dehors des horaires de service. Elles peuvent également tenir des réunions durant les heures de service mais dans ce cas seuls les agents qui ne sont pas en service ou qui bénéficient d’une autorisation spéciale d’absence peuvent y assister « . Aux termes de l’article 5 du même décret :  » I.- Les organisations syndicales représentatives sont en outre autorisées à tenir, pendant les heures de service, des réunions mensuelles d’information. / (…) Chacun des membres du personnel a le droit de participer à l’une de ces réunions, dans la limite d’une heure par mois. / Sous réserve des nécessités du service dûment motivées, les organisations syndicales peuvent regrouper leurs réunions d’information en cas, notamment, de dispersion des services. (…) Chacun des membres du personnel a le droit de participer à l’une de ces réunions, dans la limite de trois heures par trimestre. (…) / II. – Sans préjudice des dispositions du I, pendant la période de six semaines précédant le jour du scrutin organisé pour le renouvellement d’une ou plusieurs instances de concertation, chacun des membres du personnel peut assister à une réunion d’information spéciale, dont la durée ne peut excéder une heure par agent.  » Aux termes de l’article 7 du même décret :  » La tenue des réunions mentionnées aux articles 4, 5 et 6 ne doit pas porter atteinte au bon fonctionnement du service ou entraîner une réduction de la durée d’ouverture de ce service aux usagers.  » Aux termes de l’article 13 du même décret :  » Des autorisations spéciales d’absence sont accordées, sous réserve des nécessités du service, aux représentants des organisations syndicales mentionnées aux 1° et 2°, qui sont mandatés pour assister aux congrès syndicaux ou aux réunions de leurs organismes directeurs, dont ils sont membres élus ou pour lesquels ils sont nommément désignés conformément aux dispositions des statuts de l’organisation (…) « .

5. Aux termes, enfin, de l’article 4 du décret du 15 juin 1984 relatif à l’attribution aux agents de l’Etat du congé pour la formation syndicale :  » Le bénéfice du congé ne peut être refusé que si les nécessités du fonctionnement du service s’y opposent (…) « .

6. En premier lieu, il résulte des dispositions citées aux points 3 à 5 que les autorisations mentionnées aux points 4 et 5, qui constituent des décisions créatrices de droits dont le maintien est subordonné à la condition que les nécessités du fonctionnement du service permettent l’absence effective de l’agent, peuvent être abrogées par l’administration dans les conditions prévues à l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l’administration. Par suite, en prévoyant qu’une autorisation de participation à une réunion ou un stage de formation syndicales pourrait être retirée en cas de situation imprévisible, les énonciations attaquées de la  » foire aux questions  » du 6 janvier 2022 relative au coronavirus Covid-19 publiée sur le site internet du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, qui doivent être regardées comme rappelant que ces autorisations, qui ne produisent d’effet qu’au jour de l’absence effective de leurs bénéficiaires, peuvent être abrogées si les nécessités du fonctionnement du service s’y opposent à cette date, ne formulent pas, contrairement à ce que soutient la requérante, une règle qui méconnaît les dispositions de l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration citées au point 3.

7. En second lieu, une décision d’autorisation d’absence accordée sur le fondement des dispositions mentionnées aux points 4 et 5 ne peut être abrogée que pour un motif tiré des nécessités du fonctionnement du service, avec lesquelles doit être concilié l’exercice du droit syndical dans la fonction publique. Dès lors, en prévoyant que ces autorisations peuvent être abrogées en cas de situation imprévisible qui empêche le bon fonctionnement du service, les énonciations attaquées n’ont pas porté une atteinte illégale à la liberté syndicale.

8. Il résulte de ce qui précède que la Fédération Sud Education n’est pas fondée à demander l’annulation des énonciations qu’elle attaque.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–

Article 1er : La requête de la Fédération Sud Education est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Sud Education et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré à l’issue de la séance du 19 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bonhert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d’Etat et Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :
Signé : Mme Elise Adevah-Poeuf

La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat

ECLI:FR:CECHR:2022:460776.20221010

Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 10/10/2022, 455188

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

La société FRA Architectes a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler les titres exécutoires d’un montant de 62 535,72 euros émis à son encontre par la communauté d’agglomération du Grand Angoulême les 7 novembre 2016 et 2 mars 2017. Par un jugement n°s 1700065, 1701144 du 6 mars 2019, le tribunal administratif de Poitiers a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 7 novembre 2016 et a rejeté la demande tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 2 mars 2017.

Par un arrêt n° 19BX01806 du 3 juin 2021, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la société FRA Architectes, annulé ce jugement ainsi que le titre exécutoire litigieux et déchargé la société FRA Architectes de l’obligation de payer la somme demandée.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 août et 3 novembre 2021 et 4 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la communauté d’agglomération du Grand Angoulême demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la société FRA Architectes ;

3°) de mettre à la charge de la société FRA Architectes la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

– les conclusions de M. A… B… de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Fra Architectes ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, le 15 février 2010, la communauté d’agglomération du Grand Angoulême a conclu un marché de maîtrise d’œuvre relatif à la construction d’une médiathèque avec un groupement conjoint dont le mandataire solidaire était la société Loci Anima, devenue la société FRA Architectes. Le 7 novembre 2016, la communauté d’agglomération a émis à l’encontre de la société FRA Architectes un titre exécutoire d’un montant de 62 535,72 euros. Ce titre exécutoire a été retiré et remplacé par un second titre du même montant émis le 2 mars 2017. La société FRA Architecte a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler ces deux titres exécutoires ainsi que de la décharger de l’obligation de payer la somme de 62 535,72 euros. Par un jugement du 6 mars 2019, le tribunal administratif de Poitiers a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 7 novembre 2016 et a rejeté la demande tendant à l’annulation du titre exécutoire émis le 2 mars 2017. Par un arrêt du 3 juin 2021, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement et le titre exécutoire litigieux et déchargé cette société de l’obligation de payer la somme demandée. La communauté d’agglomération du Grand Angoulême se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l’article 3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles issu du décret du 26 décembre 1978 (CCAG-PI), applicable au marché en litige :  » Au sens du présent document, les titulaires sont considérés comme groupés et sont appelés « cotraitants » s’ils ont souscrit un acte d’engagement unique. (…) Les cotraitants sont conjoints lorsque chacun d’eux n’est engagé que pour la partie du marché qu’il exécute. Toutefois, l’un d’entre eux, désigné dans l’acte d’engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l’égard de la personne responsable du marché, jusqu’à la date où ces obligations prennent fin ; cette date est soit l’expiration de la garantie technique prévue à l’article 34, soit, à défaut de garantie technique, la date de prise d’effet de la réception des prestations. Le mandataire représente, jusqu’à la date ci-dessus, l’ensemble des cotraitants conjoints vis-à-vis de la personne responsable du marché pour exécution de ce dernier « .

3. En vertu de l’article 20 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d’œuvre, la mission du maître d’œuvre s’achève à la fin du délai de garantie de parfait achèvement, d’une durée d’un an, prévu au CCAG-Travaux applicable, ou après la levée des réserves signalées lors de la réception de l’ouvrage si cette levée est plus tardive. Dans cette dernière hypothèse, l’achèvement de la mission intervient lors de la levée de la dernière réserve.

4. La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif. Seule l’intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d’interdire au maître de l’ouvrage toute réclamation à cet égard.

5. En jugeant qu’en application des stipulations précitées de l’article 3.1 du CCAG-PI, la responsabilité de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d’œuvre s’était achevée alors que si cette dernière date marque la fin des relations contractuelles, elle demeure, ainsi qu’il a été dit au point précédent, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l’engagement solidaire qu’il a contracté, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. Il suit de là que la communauté d’agglomération du Grand Angoulême est fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société FRA Architectes la somme de 3 000 euros à verser à la communauté d’agglomération du Grand Angoulême au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 3 juin 2021 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : La société FRA Architectes versera à la communauté d’agglomération du Grand Angoulême la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société FRA Architectes au titre de l’article L. 761 -1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la communauté d’agglomération du Grand Angoulême et à la société FRA Architectes.
Délibéré à l’issue de la séance du 19 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d’Etat et Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :
Signé : Mme Elise Adevah-Poeuf

La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat

ECLI:FR:CECHR:2022:455188.20221010

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 10/10/2022, 452955, Publié au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu les procédures suivantes :

1° M. et Mme B… et E… C… ont demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 25 juillet 2017 par lequel le maire de Lyon a délivré un permis de construire à la société en nom collectif Cogedim Grand Lyon en vue de l’édification d’un immeuble de trente-neuf logements, de locaux commerciaux et de la création de trente-quatre aires de stationnement. Par un jugement n° 1706997 du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à cette demande.

Par une décision n° 427408, 427618 du 13 mars 2020, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a annulé ce jugement et renvoyé l’affaire au tribunal administratif de Lyon.

Par un nouveau jugement n° 2003234 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé l’arrêté du 25 juillet 2017 en tant seulement que le dernier étage du projet excède le tiers de la surface moyenne des étages (rez-de-chaussée non inclus), a imparti au pétitionnaire un délai de trois mois pour solliciter un permis de construire modificatif régularisant le projet sur ce point et a rejeté le surplus de la demande de M. et Mme C….

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mai et 25 août 2021 et le 18 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme C… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce dernier jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lyon et de la société Cogedim Grand Lyon la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une ordonnance n° 2202941 du 6 mai 2022, enregistrée le 9 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la présidente du tribunal administratif de Lyon a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 19 avril 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par M. et Mme B… et E… C….

Par cette requête et par un mémoire en réplique, enregistré le 7 septembre 2022, M. et Mme C… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 9 novembre 2021 par lequel le maire de Lyon a délivré à la société Cogedim Grand Lyon un permis de construire modificatif du permis délivré le 25 juillet 2017 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Lyon la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de M. et Mme B… et E… C…, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la ville de Lyon et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Cogedim Grand Lyon ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 25 juillet 2017, le maire de Lyon a délivré un permis de construire à la société Cogedim Grand Lyon en vue de l’édification d’un immeuble collectif de trente-neuf logements, de locaux commerciaux et de la création de trente-quatre aires de stationnement. À la demande de M. et Mme C…, voisins du projet, le tribunal administratif de Lyon a annulé ce permis de construire, par un premier jugement du 29 novembre 2018 que le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a toutefois annulé par une décision du 13 mars 2020. Statuant sur renvoi du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Lyon a, par un nouveau jugement du 23 mars 2021, annulé l’arrêté du 25 juillet 2017 seulement en tant que le dernier étage du projet excède le tiers de la surface moyenne des étages (rez-de-chaussée non inclus), en méconnaissance des dispositions du a) de l’article 10.3 UC du règlement du plan local d’urbanisme, a imparti, sur le fondement de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, au pétitionnaire un délai de trois mois pour solliciter un permis de construire modificatif régularisant le projet sur ce point et rejeté le surplus des conclusions de M. et Mme C…, qui se pourvoient en cassation contre ce jugement sous le n° 452955.

2. Ultérieurement, le 9 novembre 2021, le maire de Lyon a délivré à la société Cogedim Grand Lyon le permis de construire modificatif qu’elle avait sollicité à la suite de ce jugement. M. et Mme C… ont saisi le tribunal administratif de Lyon d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis de construire modificatif. par une ordonnance du 6 mai 2022, la présidente du tribunal administratif, se fondant sur l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, a transmis ce recours au Conseil d’Etat où il a été enregistré sous le n° 463843. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de joindre le pourvoi et le recours de M. et Mme C… pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi dirigé contre le jugement du 23 mars 2021 :

3. L’article 10.2 UC du règlement du plan local d’urbanisme, relatif aux niveaux des constructions, dans sa rédaction applicable le 25 juillet 2017, date de délivrance du permis de construire attaqué, détermine un nombre maximum de niveaux de la construction en fonction de la hauteur de façade autorisée. Aux termes de l’article 10.3 UC du même règlement, relatif au couronnement des constructions, dans sa rédaction applicable à la même date :  » Outre les niveaux définis ci-dessous, le couronnement de l’édifice doit faire l’objet d’un traitement de qualité conformément aux dispositions de l’article 11. / Ce couronnement peut comporter un volume habitable, dans les limites suivantes : / a. la surface hors œuvre nette de ce volume ne doit pas excéder un tiers de la SHON moyenne des étages (rez-de-chaussée non inclus) ; / b. ce volume de couronnement ne peut comporter plus d’un niveau habitable. Les faces verticales extérieures de ce niveau ne peuvent excéder 3 mètres de hauteur (pignons non compris) dans le cas où le couronnement est surmonté d’une charpente, 4 mètres dans le cas d’une toiture terrasse ; / c. les parties de construction situées dans le couronnement doivent être au minimum en retrait de 1,50 mètre par rapport au nu général de la façade. « 

4. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal a regardé le dernier niveau de la partie du projet donnant sur la rue du docteur D…, pour laquelle le règlement du plan local d’urbanisme autorise une hauteur de dix-neuf mètres permettant six niveaux, comme un couronnement et pris en considération, pour le calcul de la surface admissible de ce couronnement, une autre partie du projet, donnant sur la rue des Tuileries, pour laquelle est autorisée une hauteur maximale de treize mètres avec un nombre de niveaux limité à quatre.

5. En statuant ainsi, alors que le couronnement de la partie du projet donnant sur la rue des Tuileries devait être regardé comme un autre couronnement et donner lieu à une application distincte des règles fixées à l’article 10.3 UC du règlement du plan local d’urbanisme, le tribunal a commis une erreur de droit dans l’application de ces règles.

6. Il suit de là que M. et Mme C… sont fondés à demander, par ce moyen qui est recevable et opérant devant le juge de cassation, l’annulation du jugement qu’ils attaquent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi.

7. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative :  » Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire « . Le Conseil d’Etat étant saisi, en l’espèce, d’un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l’affaire au fond.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Cogedim Grand Lyon :

8. Aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme :  » Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation « .

9. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction.

10. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C… sont voisins immédiats du projet litigieux. Ils font état de l’importance du projet autorisé, comportant trente-neuf logements pour une surface de plancher totale de 2 558 m² et font valoir qu’il est, compte tenu de sa hauteur, supérieure à vingt-deux mètres, et de son implantation, en limite sud de leur propriété, susceptible d’affecter les conditions de jouissance de leur habitation géo-climatique, qu’il est de nature à la priver de l’ensoleillement indispensable à sa performance énergétique, et sur laquelle le projet crée d’importantes vues. Ils justifient, ainsi, de leur intérêt pour agir. La fin de non-recevoir opposée à leur demande ne peut, par suite, être accueillie.

Sur la légalité du permis de construire délivré le 25 juillet 2017 :

11. En premier lieu, aux termes de l’article R. 431-4 du code de l’urbanisme :  » La demande de permis de construire comprend : / a) Les informations mentionnées aux articles R. 431-5 à R. 431-12 (…) « . L’article R. 431-7 de ce code dispose que :  » Sont joint à la demande de permis de construire : / (…) b) Le projet architectural défini par l’article L. 431-2 et comprenant les pièces mentionnées aux articles R. 431-8 à R. 431-12 « . L’article R. 431-8 du même code prévoit que :  » Le projet architectural comprend une notice précisant : / 1° L’état initial du terrain et de ses abords indiquant, s’il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; / 2° Les partis retenus pour assurer l’insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages (…) « . Aux termes de l’article R. 431-10 :  » Le projet architectural comprend également : / (…) c) Un document graphique permettant d’apprécier l’insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ; d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l’environnement proche (…) « .

12. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

13. Il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire était assortie de deux documents graphiques montrant l’insertion du projet dans son environnement du côté de la rue du docteur D…, où se situe l’habitation des requérants, et qu’une vue aérienne faisait apparaître la proximité de l’habitation des requérants, peu perceptible depuis la rue, dont la présence et l’intérêt architectural sont en outre signalés dans la notice. M. et Mme C… ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que les insuffisances du dossier de demande de permis, s’agissant des documents graphiques, auraient été de nature à fausser l’appréciation du service instructeur quant à l’insertion du projet par rapport à leur habitation. Le moyen fondé sur les articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l’urbanisme doit, par suite, être écarté.

14. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme :  » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales « . Et l’article 11 UC du règlement du plan local d’urbanisme applicable à la date de l’arrêté litigieux dispose que :  » Chaque construction nouvelle participe à la construction du paysage de la ville. Elle doit être conçue dans le souci de permettre à l’architecture contemporaine de mettre en valeur les qualités du tissu urbain dans lequel elle s’insère. / Dans cet objectif, la demande de permis de construire doit s’appuyer sur un volet paysager complet, comportant notamment la description du paysage existant et exposant et justifiant les dispositions prévues pour assurer l’insertion dans ce paysage de la construction, de ses accès, de ses abords (…) « .

15. Les dispositions de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme permettent de rejeter ou d’assortir de réserves les seuls projets qui, par leurs caractéristiques et aspect extérieur, portent une atteinte visible à leur environnement naturel ou urbain. La circonstance que l’implantation du projet aurait pour conséquence, en raison d’une baisse de l’ensoleillement, d’altérer les conditions de fonctionnement d’une maison, implantée à proximité, réalisée en 1987 selon des principes architecturaux dits bioclimatiques, est, dans ces conditions, sans incidence sur la légalité du projet au regard de ces dispositions.

16. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est situé dans un environnement architectural hétérogène comprenant de manière prépondérante des immeubles collectifs d’habitation de construction récente. Ainsi, alors même que l’habitation de style contemporain des requérants ainsi qu’une habitation bourgeoise plus ancienne se trouvent à proximité, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la construction d’un immeuble contemporain de six étages, dont l’architecture ne traduit aucune rupture particulière avec le bâti environnant apprécié dans son ensemble, méconnaîtrait les exigences découlant des articles R. 111-27 du code de l’urbanisme et 11 UC du règlement du plan local d’urbanisme.

17. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 151-34 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté attaqué :  » Le règlement peut ne pas imposer la réalisation d’aires de stationnement lors de la construction : / 1° De logements locatifs financés avec un prêt aidé par l’Etat (…) « . L’article L. 151-35 du même code dispose que :  » Il ne peut, nonobstant toute disposition du plan local d’urbanisme, être exigé pour les constructions destinées à l’habitation mentionnées aux 1° à 3° de l’article L. 151-34 la réalisation de plus d’une aire de stationnement par logement. / Toutefois, lorsque les logements mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 151-34 sont situés à moins de cinq cents mètres d’une gare ou d’une station de transport public guidé ou de transport collectif en site propre et que la qualité de la desserte le permet, il ne peut, nonobstant toute disposition du plan local d’urbanisme, être exigé la réalisation de plus de 0,5 aire de stationnement par logement. (…) « . Enfin, aux termes de l’article L. 151-36 du même code :  » Pour les constructions destinées à l’habitation, autres que celles mentionnées aux 1° à 3° de l’article L. 151-34, situées à moins de cinq cents mètres d’une gare ou d’une station de transport public guidé ou de transport collectif en site propre et dès lors que la qualité de la desserte le permet, il ne peut, nonobstant toute disposition du plan local d’urbanisme, être exigé la réalisation de plus d’une aire de stationnement par logement « . Doivent être regardés comme situés à moins de cinq cents mètres d’une gare ou d’une station de transport, au sens des dispositions rappelées ci-dessus, les projets se trouvant à l’intérieur d’un rayon de cinq cents mètres calculé à partir de cette gare ou de cette station.

18. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux est situé à moins de cinq cent mètres à vol d’oiseau de la station de métro Valmy desservie par la ligne D, dont la qualité de desserte n’est pas contestée. par suite, il entre, au titre des trente logements en accession de propriété et des neufs logements locatifs sociaux qu’il comporte, dans les champs d’application respectifs des articles L. 515-34 et L. 151-36 du code de l’urbanisme, qui font obstacle à ce que lui soient opposées les dispositions du plan local d’urbanisme conduisant à imposer la création d’un nombre de places de stationnement supérieur. Ainsi, dès lors qu’il est constant que le projet comporte les trente-quatre places de stationnement requises en vertu des dispositions des articles L. 515-34 et L. 515-36 du code de l’urbanisme, compte tenu des règles d’arrondi prévues à l’article 12.1 UC du règlement du plan local d’urbanisme, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le nombre de ces places serait inférieur à celui résultant des dispositions de l’article 12 UC de ce règlement.

19. En quatrième lieu, aux termes de l’article L. 153-11 du code de l’urbanisme :  » L’autorité compétente mentionnée à l’article L. 153-8 prescrit l’élaboration du plan local d’urbanisme et précise les objectifs poursuivis et les modalités de concertation, conformément à l’article L. 103-3. (…) / L’autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l’article L. 424-1, sur les demandes d’autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan dès lors qu’a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable « .

20. Si M. et Mme C… se prévalent de ce que le projet litigieux compromettrait l’exécution des dispositions du futur plan local d’urbanisme métropolitain, en cours d’élaboration à la date de délivrance du permis attaqué, relatives à la protection des éléments de bâti patrimonial remarquables, dès lors qu’il a été envisagé de faire figurer leur habitation au nombre de ces éléments remarquables, ni la circonstance que le projet litigieux serait susceptible d’affecter le fonctionnement bioclimatique de leur habitation, ni celle que, de par sa hauteur et son style architectural, il contrasterait de façon nette avec cette habitation ne permettent de regarder la réalisation de ce projet comme étant de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme, lequel, au demeurant, n’a en définitive, lors de son adoption, pas retenu l’habitation des requérants parmi les éléments de bâti patrimonial remarquables. Il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’en s’abstenant de surseoir à statuer sur la demande de permis de construire dont il était saisi, le maire de Lyon aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

21. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier qu’ainsi qu’il a été dit au point 4, le projet bénéficie au regard de l’article 10.2 UC, compte tenu de la hauteur de façade de 19 mètres autorisée sur la rue du docteur D…, de six niveaux autorisés en surface, incluant le rez-de-chaussée. Le dernier de ces six niveaux autorisés n’a donc pas, alors même qu’il présente la configuration d’un attique, à respecter les dispositions applicables au couronnement, dès lors qu’elles ne s’imposent qu’aux étages qui excèdent les niveaux autorisés. En revanche, le dernier étage de ce bâtiment en R + 6 relevait des dispositions citées au point 3 relatives aux couronnements. Il en va de même pour le dernier étage en R + 4 de la partie du projet donnant sur la rue des Tuileries. Il ressort des pièces du dossier que le dernier étage présente un seul niveau habitable, sans que les faces verticales de ce niveau recouvert d’une toiture terrasse excèdent une hauteur de 4 mètres, et que la distance de retrait imposée est respectée. Toutefois, la surface des deux couronnements que comporte le projet, l’un de 146 m² et l’autre de 62 m², excède le tiers de la surface moyenne des autres étages, rez-de-chaussée non inclus, de la partie du projet au sommet de laquelle ils se trouvent. Les requérants sont, dès lors, fondés à soutenir que l’arrêté du 25 juillet 2017 méconnaît, en ce qu’il autorise ces couronnements, les exigences découlant de l’article 10.3 UC du règlement du plan local d’urbanisme.

Sur la régularisation du projet par le permis de construire modificatif délivré le 9 novembre 2021 :

22. Ainsi qu’il a été dit aux points 1 et 2, après que le tribunal administratif de Lyon, par son jugement du 23 mars 2021, eut annulé partiellement, en faisant application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, le permis de construire délivré le 25 juillet 2017 en tant que le dernier étage du projet méconnaissait les dispositions du a) de l’article 10.3 UC du règlement du plan local d’urbanisme et imparti au pétitionnaire un délai de trois mois pour solliciter un permis de construire modificatif régularisant le projet, le maire de Lyon a délivré à la société Cogedim Grand Lyon, le 9 novembre 2021, un permis de construire modificatif, dont M. et Mme C…, par des conclusions enregistrées sous le n°463843, demandent l’annulation pour excès de pouvoir.

En ce qui concerne la compétence du Conseil d’Etat pour statuer sur la demande d’annulation de ce permis modificatif :

23. Aux termes de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme :  » Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. « 

24. Dans les circonstances de l’espèce, alors qu’il règle l’affaire au fond après cassation, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, et statue ainsi définitivement sur le litige portant sur la légalité du permis de construire initial du 25 juillet 2017, il y a lieu pour le Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de statuer, en qualité de juge de premier et dernier ressort, sur les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif qui a été délivré le 9 novembre 2021 à la société pétitionnaire en vue de régulariser le permis de construire initial, en statuant sur les moyens propres présentés contre ce permis modificatif par M. et Mme C… et en appréciant si ce permis modificatif permet la régularisation du vice, entachant le permis initial, retenu au point 21 de la présente décision.

En ce qui concerne la légalité du permis de construire modificatif délivré le 9 novembre 2021 et la régularisation du projet :

25. Aux termes de l’article 2.5.4.3 du règlement du plan local d’urbanisme métropolitain approuvé le 13 mai 2019, applicable à la zone URm1 dans laquelle se situe le projet litigieux à la date de délivrance de la mesure de régularisation, relatif aux règles applicables à l’ensemble des volumes enveloppes de toitures et de couronnement (VETC) :  » Lorsque le VETC forme un niveau en attique, l’emprise de ce niveau ne peut excéder 60 % de celle de l’avant-dernier niveau situé avant le point haut de la mesure de la hauteur de façade de la construction ou de la partie de construction. Le respect de cette règle s’apprécie par rapport à l’intégralité du projet faisant l’objet d’une demande d’autorisation d’urbanisme, y compris lorsque ce projet comporte plusieurs constructions. (…) Lorsqu’il est réalisé, en lieu et place du dernier niveau courant hors VETC, un niveau partiel dont l’emprise est inférieure à celle de l’avant-dernier niveau de la construction, l’emprise cumulée du VETC et du dernier niveau de la construction ne peut excéder la valeur correspondante à l’emprise de l’avant-dernier niveau, augmentée de celle de l’attique, soit 160 %. Cette emprise est répartie librement entre le dernier niveau et le niveau du VETC « .

26. Il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, tel que modifié par le permis délivré le 9 novembre 2021, comporte deux niveaux en couronnement, l’un, en R + 6, du côté de la rue du docteur D…, édifié au-dessus d’un étage partiel, l’autre en R + 4, du côté de la rue des Tuileries. L’emprise du premier de ces couronnements, qui correspond à la projection verticale du bâti à ce niveau, soit 128 m², n’excède pas 160 % de l’emprise du niveau situé, dans la partie du bâtiment qu’il surplombe, sous le niveau partiel. L’emprise du second couronnement, soit 59 m² dans le dernier état du projet, n’excède pas 60 % de l’emprise du dernier niveau de la partie du bâtiment qu’il surplombe, soit 135 m². Il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le permis modificatif délivré le 9 novembre 2021 n’aurait pas régularisé le vice dont les couronnements prévus par le permis initial, délivré le 25 juillet 2017, étaient entachés.

27. Enfin, les requérants ne peuvent utilement faire valoir ni que les modifications apportées au projet ne permettraient pas de le rendre conforme aux dispositions du plan local d’urbanisme en vigueur à la date du permis de construire initial, dès lors que ces dispositions n’étaient plus en vigueur à la date du permis modificatif à laquelle s’apprécie la légalité de celui-ci sous réserve des droits que le pétitionnaire tient du permis initial, ni, eu égard à ces droits détenus par le pétitionnaire, que les éléments du projet demeurés inchangés lors du permis modificatif méconnaîtraient les dispositions du nouveau plan local d’urbanisme.

28. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C… ne sont pas fondés à demander l’annulation du permis de construire modificatif délivré le 9 novembre 2021. Ce permis modificatif ayant régularisé le vice entachant le permis de construire initial délivré le 25 juillet 2017, les conclusions tendant à l’annulation de ce permis initial doivent, par suite, être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Il n’y pas lieu de faire droit, dans les circonstances de l’espèce, aux conclusions de la commune de Lyon et de la société Cogedim Grand Lyon présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Lyon et de la société Cogedim Grand Lyon, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance.

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 23 mars 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. et Mme C… tendant à l’annulation des permis délivrés les 25 juillet 2017 et 9 novembre 2021 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B… et E… C…, à la commune de Lyon et à la société en nom collectif Cogedim Grand Lyon.
Délibéré à l’issue de la séance du 26 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d’Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2022:452955.20221010