Conseil d’État Mme X c/ ministre de la justice 17/06/2020 431588 434341 B
Vu les procédures suivantes :
1°, Sous le n° 431588, par une requête, enregistrée le 12 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme X. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Président de la République a rejeté sa demande du 28 février 2019 tendant à l’édiction d’un décret prononçant sa réintégration en tant que magistrate, à compter du 1er juillet 2019, sur un emploi lui permettant de bénéficier d’un indice de rémunération équivalent au 2ème chevron du groupe hors-échelle D ;
2°) d’enjoindre au Président de la République de prendre ce décret ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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2°, Sous le n° 434341, par une requête et un mémoire enregistrés les 6 septembre 2019 et 7 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme Brigitte X. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 4 juillet 2019 la nommant sur le poste de substitut du procureur général, près la cour d’appel de Paris ;
2°) d’enjoindre au Président de la République de prendre un décret la nommant sur un poste placé hors hiérarchie ;
3°) d’enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de proposer sa nomination sur un poste placé hors hiérarchie lors de la prochaine procédure de transparence prévue par les articles 27-1 et 37-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
– la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;
– la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 85-986 du 16 décembre 1985 ;
– le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 ;
– le décret n° 2017-661 du 27 avril 2017 ;
– le décret n° 2017-1013 du 10 mai 2017 ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Catherine Moreau, conseiller d’Etat en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes de Mme X. doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 4 juillet 2019 prononçant sa réintégration dans le corps des magistrats judiciaires et la nommant substitut du procureur général près la cour d’appel de Paris, en qualité de magistrate du premier grade, en tant que cette décision ne la nomme pas sur un emploi hors hiérarchie ou d’inspecteur général de la justice. Il y a lieu de joindre ces requêtes qui présentent à juger les mêmes questions pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces des dossiers que Mme X., magistrate de l’ordre judiciaire du premier grade, qui était détachée dans l’emploi de directrice générale des services du département des Ardennes, a, afin de préparer sa réintégration au 1er juillet 2019, formulé en décembre 2018 des vœux de nomination sur des emplois de magistrat hors hiérarchie et s’est portée candidate le 6 février 2019 pour un poste d’inspecteur général de la justice. Aucune de ses demandes n’ayant été satisfaite, elle a demandé à être réintégrée à un grade et un échelon lui permettant de bénéficier d’un indice de rémunération égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à l’indice correspondant au 3ème chevron du groupe hors-échelle C, obtenu dans son emploi de détachement. La satisfaction de cette demande impliquait, en vertu des dispositions du décret du 27 avril 2017 fixant l’échelonnement indiciaire des magistrats de l’ordre judiciaire et du décret du 10 mai 2017 fixant l’échelonnement indiciaire applicable aux emplois d’inspecteur général et d’inspecteur de la justice, que la requérante soit nommée sur un emploi hors hiérarchie ou sur un emploi d’inspecteur général de la justice.
Sur la légalité externe du décret du 4 juillet 2019 :
En ce qui concerne la communication du projet de nomination aux fonctions hors hiérarchie :
3. Aux termes de l’article 27-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, applicable aux nominations hors hiérarchie en vertu de l’article 37-1 de cette même ordonnance : « Le projet de nomination à une fonction du premier ou du second grade et la liste des candidats à cette fonction sont communiqués pour les postes du siège ou pour ceux du parquet à la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. / Ce projet de nomination est adressé aux chefs de la Cour de cassation, aux chefs des cours d’appel et des tribunaux supérieurs d’appel, à l’inspecteur général, chef de l’inspection générale de la justice, ainsi qu’aux directeurs et chefs de service de l’administration centrale du ministère de la justice, qui en assurent la diffusion auprès des magistrats en activité dans leur juridiction, dans le ressort de leur juridiction ou de leurs services. Ce document est adressé aux syndicats représentatifs de magistrats et, sur leur demande, aux magistrats placés dans une autre position que celle de l’activité ». Si Mme X. soutient qu’après avoir été informée, à sa demande, de la circulaire relative à la procédure de transparence organisée sur le fondement de l’article 27-1 cité ci-dessus, elle n’a pu accéder au document récapitulant les projets de nomination aux fonctions hors hiérarchie et a ainsi été empêchée de formuler des observations sur ces projets, il ressort des pièces des dossiers, notamment de sa lettre adressée au Président de la République le 28 février 2019, qu’elle a présenté des observations sur ce document. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d’un vice de procédure faute pour la requérante d’avoir eu accès aux projets de nomination des magistrats hors hiérarchie manque donc en fait.
En ce qui concerne la procédure devant le Conseil supérieur de la magistrature :
4. En premier lieu, il ne résulte d’aucun principe ni d’aucun texte que le Conseil supérieur de la magistrature serait tenu, pour procéder à une comparaison effective des candidatures, d’examiner toutes les propositions de nomination en une seule journée.
5. En deuxième lieu, les dispositions de l’article 35 du décret du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature prévoient notamment que : « L’ordre du jour des séances au cours desquelles sont examinées les propositions de nominations formulées par le ministre de la justice est arrêté huit jours avant la date à laquelle elles se tiennent. (…) Le président peut, à la demande du ministre de la justice, retirer de l’ordre du jour une ou plusieurs de ses propositions ». Le délai de huit jours prévu par ces dispositions a pour seul objet de donner la faculté au ministre de demander le retrait de l’ordre du jour d’une ou de plusieurs des propositions qu’il a soumises au Conseil supérieur de la magistrature. Il est, par suite, loisible au ministre de renoncer unilatéralement à ce délai. Mme X. ne saurait donc utilement soutenir que le décret qu’elle attaque serait entaché d’un vice de procédure au motif que le ministre a renoncé au délai de convocation de huit jours prévu par ces dispositions.
6. En troisième lieu, les dispositions de l’article 39 du décret du 9 mars 1994 en vertu desquelles seul le ministre de la justice, assisté le cas échéant d’un collaborateur, ou le directeur des services judicaires, représentant du ministre, peut assister à la séance du Conseil, n’interdisent pas au directeur des services judiciaires de se faire représenter par un agent placé sous son autorité. Par suite, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la présence, lors de la réunion délibérative de la formation compétente pour les magistrats du parquet, de la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, qui n’a pas participé aux délibérations, aurait entaché sa consultation d’une irrégularité affectant la décision qu’elle attaque.
7. Enfin, aux termes de l’article 10-1 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature : « Les membres du Conseil supérieur exercent leur mission dans le respect des exigences d’indépendance, d’impartialité, d’intégrité et de dignité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts. Ils veillent au respect de ces mêmes exigences par les personnes dont ils s’attachent les services dans l’exercice de leurs fonctions. / Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction (…) ». Aux termes de l’article 16 de la même loi organique du 5 février 1994 : « Pour les nominations de magistrats aux fonctions du parquet autres que celles pourvues en conseil des ministres, l’avis de la formation compétente du Conseil supérieur est donné sur les propositions du ministre de la justice et après un rapport fait par un membre de la formation ». Sur le fondement de ces dispositions, M. Bergougnous, membre de la formation du Conseil supérieur compétente à l’égard des magistrats du parquet, a établi le rapport sur la proposition de nomination de Mme X., laquelle n’est pas fondée à soutenir, au seul motif que le procès-verbal de la réunion du 18 juin 2019 indique qu’il est directeur du service des affaires juridiques de l’Assemblée nationale, qu’il ne satisferait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité posées par l’article 10-1 de la même loi organique.
Sur la légalité interne de la nomination de Mme X. :
8. En premier lieu, il appartient au ministre de la justice, garde des sceaux, lorsqu’il propose au Conseil supérieur de la magistrature la candidature d’un magistrat sur un poste déterminé, et au Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il porte son appréciation sur la proposition de nomination, de tenir compte de l’expérience et des aptitudes des différents candidats, des caractéristiques du poste à pourvoir et des besoins de l’institution judiciaire. En l’espèce, si Mme X., dont il n’est pas contesté qu’elle remplit les conditions d’ancienneté pour être nommée sur un emploi hors hiérarchie, fait valoir que l’expérience acquise notamment dans les postes qu’elle a occupés en détachement la qualifiait tout particulièrement pour une telle nomination et que le ministre n’a pas tenu compte de son évaluation par le président du conseil départemental des Ardennes, il ressort des pièces des dossiers que ses candidatures pour des postes hors hiérarchie ont été étudiées, d’une part, en tenant compte de l’ensemble de son parcours professionnel et des évaluations portées sur les fonctions exercées, y compris dans son emploi de directrice générale des services du département des Ardennes, et, d’autre part, au regard de l’expérience et de l’aptitude des autres candidats. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice n’a pas méconnu le principe d’égalité de traitement entre les magistrats, en décidant de ne pas proposer la nomination de Mme X. pour l’un des postes hors hiérarchie sur lesquels elle s’était portée candidate. Il ressort également des pièces du dossier que compte tenu des parcours professionnels et des évaluations de l’ensemble des candidats, dont certains faisaient état de solides expériences acquises aussi bien dans des fonctions juridictionnelles que lors de détachements, la décision de ne pas nommer M X. sur un emploi hors hiérarchie n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
9. En deuxième lieu, en vertu de l’article 68 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions d’activité, de détachement, de disponibilité, de congé parental ou de service sous les drapeaux s’appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire et sous réserve de certaines dérogations. Aux termes de l’article 45 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statuaires relatives à la fonction publique de l’Etat : « Le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d’origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l’avancement et à la retraite. / (…) A l’expiration de son détachement, le fonctionnaire est, sauf intégration dans le corps ou cadre d’emplois de détachement, réintégré dans son corps d’origine. / Il est tenu compte, lors de sa réintégration, du grade et de l’échelon qu’il a atteint ou auxquels il peut prétendre à la suite de la réussite à un concours ou à un examen professionnel ou de l’inscription sur un tableau d’avancement au titre de la promotion au choix dans le corps ou cadre d’emplois de détachement sous réserve qu’ils lui soient plus favorables ». Aux termes de l’article 26-2 du décret du 16 décembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l’Etat, à la mise à disposition, à l’intégration et à la cessation définitive de fonctions, invoqué par la requérante : « Sous réserve qu’elle lui soit plus favorable, la réintégration dans son corps d’origine du fonctionnaire détaché dans un corps ou cadre d’emplois en application des 1° et 2° de l’article 14 est prononcée à équivalence de grade et à l’échelon comportant un indice égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui qu’il détenait dans son grade de détachement. (…) ». L’article 72-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, dans sa rédaction issue de la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, prévoit quant à lui qu’ « il est tenu compte, lors de la réintégration du magistrat dans le grade qu’il occupe au sein du corps judiciaire, de l’échelon qu’il a atteint dans le corps ou cadre d’emplois de détachement, sous réserve qu’il lui soit plus favorable. (…) ».
10. Il résulte de ces dispositions que lorsqu’un magistrat est réintégré dans le corps judiciaire à l’issue de son détachement, il est réintégré dans le grade qu’il détenait au sein de ce corps avant son détachement, sans préjudice de la possibilité d’être nommé dans un emploi du premier grade ou placé hors hiérarchie selon les procédures prévues par l’ordonnance du 22 décembre 1958. S’agissant de l’échelon de reclassement au sein de ce grade, il résulte des dispositions de l’article 72-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, et non des dispositions précitées de l’article 26-2 du décret du 16 décembre 1985, lesquelles ne sont pas applicables aux magistrats, qu’il est tenu compte de l’échelon atteint pendant le détachement lorsque ce détachement a eu lieu dans un corps ou cadre d’emplois mais que tel n’est pas le cas lorsque le détachement a eu lieu sur un emploi fonctionnel. Dans ce dernier cas, le magistrat est reclassé à l’échelon qu’il a atteint dans son grade du corps judiciaire au terme de son détachement.
11. Il suit de là que, dès lors que sa candidature pour un poste hors hiérarchie n’avait pas été retenue dans le cadre de la procédure prévue par les articles 27-1 et 37-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, Mme X., qui était détachée non dans un corps ou cadre d’emplois mais dans un emploi fonctionnel, ne pouvait être réintégrée que dans le premier grade de la hiérarchie du corps judiciaire, grade qu’elle détenait avant son détachement, à l’échelon qu’elle avait atteint dans ce grade à la fin de sa période de détachement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme X. n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision qu’elle attaque et que ses requêtes doivent être rejetées. Ses conclusions à fin d’injonction et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de Mme X. sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Madame X. et à la garde des sceaux, ministre de la justice.