Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 27/05/2021, 431548

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. D… C… devant la chambre disciplinaire de première instance des Pays de la Loire de l’ordre des chirurgiens-dentistes. Par une décision du 19 mars 2018, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. C… la sanction de la radiation.

Par une décision du 8 avril 2019, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a, sur appel de M. C…, annulé cette décision et infligé à M. C… la sanction de l’interdiction d’exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée d’un an dont six mois assortis du sursis.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juin et 10 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de M. C… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mai 2021, présentée par le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme B… A…, auditrice,

– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Loire-Atlantique et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. C… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 19 mars 2018, la chambre disciplinaire de première instance des Pays de la Loire de l’ordre des chirurgiens-dentistes a, sur la plainte du conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes, infligé à M. C… la sanction de la radiation, en raison de manquements à son obligation déontologique d’assurer des soins éclairés et conformes aux données acquises de la science. Par une décision du 8 avril 2019, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a, sur appel de M. C…, annulé cette décision et infligé à M. C… la sanction de l’interdiction temporaire d’exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée d’un an, dont six mois assortis du sursis. Le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes se pourvoit en cassation contre cette décision.

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique :  » Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d’au moins trois de ses membres. La conciliation peut être réalisée par un ou plusieurs membres de cette commission, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat. / Lorsqu’une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l’auteur, en informe (…) le chirurgien-dentiste (…) mis en cause et les convoque dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte en vue d’une conciliation. En cas d’échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l’avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte, en s’y associant le cas échéant « . Aux termes de l’article R. 4123-18 du même code :  » A la première réunion suivant chaque renouvellement du conseil départemental, celui-ci élit, parmi les membres titulaires et les membres suppléants, au moins trois de ses membres pour siéger au sein de la commission de conciliation « . Aux termes de l’article R. 4123-19 de ce code :  » Dès réception d’une plainte, le président du conseil départemental désigne parmi les membres de la commission un ou plusieurs conciliateurs (…) « . Aux termes de l’article R. 4123-20 du même code :  » Les parties au litige sont convoquées à une réunion et entendues par le ou les membres de la commission pour rechercher une conciliation. / Un procès-verbal de conciliation totale ou partielle ou un procès-verbal de non-conciliation est établi. Ce document fait apparaître les points de désaccord qui subsistent lorsque la conciliation n’est que partielle. Il est signé par les parties ou leurs représentants et par le ou les conciliateurs. / Un exemplaire original du procès-verbal est remis ou adressé à chacune des parties et transmis au président du conseil départemental. / En cas de non-conciliation ou de conciliation partielle, le procès-verbal est joint à la plainte transmise à la juridiction disciplinaire « . Aux termes de l’article R. 4127-233 de ce code :  » Le chirurgien-dentiste qui a accepté de donner des soins à un patient s’oblige : (…) / 3° A se prêter à une tentative de conciliation qui lui serait demandée par le président du conseil départemental en cas de difficultés avec un patient « .

3. Il résulte de ces dispositions qu’eu égard à l’objet de la procédure de conciliation, à son caractère obligatoire, et au rôle qui est celui du conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes durant son déroulement, les procès-verbaux établis à l’occasion d’une procédure de conciliation organisée, sous l’égide d’un conseil départemental, entre un patient et un chirurgien-dentiste ne peuvent être utilisés par ce conseil départemental en appui à une plainte qu’il forme contre le même praticien à raison d’autres faits concernant d’autres patients.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite de décisions rendues en 2015 et 2017 par lesquelles la juridiction judiciaire a condamné M. C… à indemniser deux patientes des conséquences dommageables de soins et traitements qu’il leur avait dispensés, le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. C… à raison de ces faits, tout en versant à la procédure disciplinaire trois procès-verbaux de conciliation signés en 2005 et 2012, afférents à d’autres faits et concernant d’autres patientes. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu’en jugeant que ces procès-verbaux devaient être écartés du dossier et que, par suite, la décision de la chambre disciplinaire de première instance, qui s’était en partie fondée sur ces pièces, devait être annulée, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes n’a pas entaché sa décision d’erreur de droit.

5. En second lieu, il ressort des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a relevé que les expertises pratiquées à l’occasion des deux instances judiciaires mentionnées au point 4 avaient mis en évidence, d’une part, le recours à des implants dont la composition est imprécise et, d’autre part, la réalisation de traitements prothétiques et implantaires non conformes aux données acquises de la science, et qu’elle en a déduit que ces faits revêtaient une gravité certaine en ce qu’ils traduisaient une pratique professionnelle dangereuse pour les patientes en cause et justifiaient que la sanction de l’interdiction temporaire d’exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée d’un an, dont six mois assortis du sursis, soit infligée à M. C…. Ce faisant, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes n’a pas retenu une sanction qui est hors de proportion avec les fautes reprochées à M. C….

6. Il résulte de tout ce qui précède que le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision qu’il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes le versement à M. C… d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. C… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi du conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes est rejeté.
Article 2 : Le conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes versera une somme de 3 000 euros à M. C… au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au conseil départemental de Loire-Atlantique de l’ordre des chirurgiens-dentistes et à M. D… C….
Copie en sera adressée au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

ECLI:FR:CECHR:2021:431548.20210527

Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 27/05/2021, 435507, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 octobre 2019, 27 janvier et 18 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Confédération paysanne demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision du 22 août 2019 par laquelle le ministre a refusé de faire droit à sa demande tendant à l’abrogation de l’instruction technique DGAL/SDSSA/2019-365 du 2 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
– le décret n° 2008-636 du 30 juin 2008 ;
– l’arrêté du 18 décembre 2009 relatif aux règles sanitaires applicables aux produits d’origine animale et aux denrées alimentaires en contenant ;
– le code de justice administrative et le décret 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Pauline Berne, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La Confédération paysanne a demandé l’annulation de la décision du ministre de l’agriculture et de l’alimentation du 22 août 2019 qui a rejeté sa demande tendant à l’abrogation de l’instruction technique DGAL/SDSSA/2019-365 du 2 mai 2019. Cette instruction avait pour objet d’informer les exploitants de restaurants collectifs sur les risques sanitaires associés à la consommation de lait cru, de fromages à base de lait et de steaks hachés insuffisamment cuits par les enfants de moins de cinq ans, et de préconiser un traitement thermique préalable du lait cru, une cuisson à coeur des steaks hachés et une interdiction de servir des fromages au lait cru à ce public, le non-respect de ces prescriptions constituant une non-conformité majeure. La Confédération paysanne doit être regardée comme demandant l’abrogation de l’instruction DGAL/SDSSA/2020-289 du 19 mai 2020, qui a abrogé l’instruction du 2 mai 2019 tout en en reprenant les termes à l’identique.

Sur la légalité externe :

2. Aux termes de l’article 14 du règlement (CE) n°178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 :  » 1. Aucune denrée alimentaire n’est mise sur le marché si elle est dangereuse. / 2. Une denrée alimentaire est dite dangereuse si elle est considérée comme: / a) préjudiciable à la santé; / b) impropre à la consommation humaine. / 3. Pour déterminer si une denrée alimentaire est dangereuse, il est tenu compte : (…) c) des sensibilités sanitaires particulières d’une catégorie spécifique de consommateurs lorsque la denrée alimentaire lui est destinée. (…) 8. La conformité d’une denrée alimentaire à des dispositions spécifiques applicables à cette denrée n’interdit pas aux autorités compétentes de prendre des mesures appropriées pour imposer des restrictions à sa mise sur le marché ou pour exiger son retrait du marché s’il existe des raisons de soupçonner que, malgré cette conformité, cette denrée alimentaire est dangereuse « .

3. Aux termes de l’article R. 231-13 du code rural et de la pêche maritime :  » I. – En application de l’article L. 231-6, les mesures d’exécution du II de l’article L. 221-4, du chapitre IV du titre II et des chapitres Ier à V du titre III du livre II sont constituées des dispositions tant des règlements ou décisions de l’Union européenne énumérés ci-après, le cas échéant modifiées, que des règlements ou décisions pris pour leur application, lorsque ces dispositions concernent des animaux vivants, des produits d’origine animale, des denrées alimentaires en contenant, des aliments pour animaux d’origine animale ou contenant des produits d’origine animale et des sous-produits d’origine animale. […] III.- Des arrêtés du ministre chargé de l’agriculture et, le cas échéant, des ministres chargés, respectivement, de la santé, de l’écologie, de la consommation et de la défense fixent les normes sanitaires, qualitatives et techniques auxquelles doivent satisfaire, pour concourir à la maîtrise des dangers et garantir un caractère propre à la consommation : / 1° Les animaux, produits, denrées alimentaires et aliments pour animaux énumérés à l’article R. 231-4 ; (…) « . Aux termes de l’article R. 231-4 du même code :  » Sont soumis aux dispositions de la présente sous-section : […] 3° Les denrées alimentaires contenant des produits d’origine animale ; […] 5° Les établissements dans lesquels sont préparés, transformés, conservés ou par lesquels sont mis sur le marché les produits, denrées alimentaires et aliments pour animaux mentionnés aux 2°, 3° et 4° « .

4. En premier lieu, il résulte des dispositions des articles R. 231-4 et R. 231-13 du code rural et de la pêche maritime que le ministre chargé de l’agriculture est compétent pour définir les normes sanitaires destinées à garantir que les denrées alimentaires contenant des produits d’origine animale soient propres à la consommation. Dès lors, le ministre avait compétence pour prendre l’instruction attaquée, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que cette mesure ait été prise sous la forme d’une instruction technique.

5. En second lieu, la Confédération paysanne ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir, à l’appui de sa contestation du refus d’abroger l’instruction qu’elle attaque, de la circulaire du Premier ministre en date du 12 octobre 2015 relative à l’évaluation préalable des normes et à la qualité du droit, laquelle se borne à fixer des orientations pour l’organisation du travail gouvernemental.

Sur la légalité interne :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les fromages à base de lait cru et le lait cru constituent une des sources possibles d’infection par les bactéries pathogènes Escherichia coli entérohémorragiques (EHEC) dont le principal mode de transmission à l’homme réside dans la consommation d’éléments contaminés. Comme le relève l’avis de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail du 18 décembre 2015, la population des enfants de moins de cinq ans présente, en cas d’ingestion d’aliments contaminés par ces bactéries, un risque de développer un syndrome hémolytique et urémique cent dix fois plus élevé que la population générale. S’il survient rarement, ce syndrome peut entraîner des conséquences graves pour les enfants concernés, telle que l’insuffisance rénale aiguë, voire s’avérer mortel dans un pour cent des cas.

7. Il ressort en outre des pièces du dossier que l’article du bulletin d’octobre 2019 de l’Académie nationale de médecine relatif aux enseignements de la cohorte européenne  » PASTURE « , dont la requérante se prévaut en ce qu’il indique que la consommation de lait cru est susceptible de contribuer à la diminution des allergies des enfants de moins de cinq ans, n’a pas spécifiquement étudié l’incidence d’une consommation de fromages à base de lait cru au-delà de l’intérêt d’une alimentation diversifiée à laquelle elle contribue et est centré sur la seule question du devenir allergique et immunologique des enfants. La circonstance que la consommation de ces produits puisse constituer un facteur susceptible de réduire l’incidence de syndromes respiratoires aigus chez l’enfant n’est pas de nature à remettre en cause la réalité des risques infectieux précédemment relevés.

8. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il ne ressort pas des pièces versées au dossier que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en énonçant que la consommation de fromages au lait cru par les enfants de moins de cinq ans présente un sur-risque important d’infection bactérienne pour ce public et que les avantages que celle-ci présente ne suffisent pas à compenser ces risques infectieux.

9. En second lieu, l’instruction contestée ne traduit aucune méconnaissance du principe d’égalité, qui ne saurait être utilement invoqué à raison d’un traitement différencié opposé non à des personnes mais à des produits.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la Confédération paysanne n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision de refus du ministre de l’agriculture et de l’alimentation du 22 août 2019.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Confédération paysanne est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération paysanne et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

ECLI:FR:CECHR:2021:435507.20210527

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 27/05/2021, 440017, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler la décision du 27 octobre 2014 par laquelle le ministre de l’intérieur a rejeté sa demande de remboursement des frais de mission exposés à raison des fonctions exercées au bureau de contrôles nationaux juxtaposés de Douvres (Grande-Bretagne) et de condamner l’Etat à lui verser les sommes correspondantes. Par un jugement n° 1501484 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision, condamné l’Etat à verser à M. A… une somme de 426,74 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 18DA00380 du 12 mars 2020, la cour administrative d’appel de Douai a, sur appel de M. A… et appel incident du ministre de l’intérieur, d’une part, annulé le jugement en tant qu’il a condamné l’Etat à indemniser M. A…, et d’autre part, rejeté la demande de première instance et l’appel de M. A…, ainsi que le surplus de l’appel incident du ministre de l’intérieur.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février et 26 mai 2020 et le 12 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel et de rejeter l’appel incident du ministre de l’intérieur ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– l’accord du 4 février 2003 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la coopération transfrontalière policière et douanière ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 99-1055 du 15 décembre 1999 ;
– le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A…, fonctionnaire de police en poste à la direction départementale de la police aux frontières du Pas-de-Calais à Coquelles, a été affecté, à sa demande, au bureau de contrôles nationaux juxtaposés de Douvres (Grande-Bretagne), créé en vertu d’un accord de coopération transfrontalière en matière policière et douanière passé le 4 février 2003 entre les gouvernements français et britannique. Il y exerce, sous l’autorité de sa hiérarchie française, des missions de lutte contre l’immigration irrégulière et la délinquance transfrontalière, conjointement avec des fonctionnaires britanniques. En raison de cette affectation à Douvres, il a demandé au ministre de l’intérieur de lui verser, sur le fondement du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat, le remboursement de ses frais de transport entre son domicile familial et Douvres ainsi que les indemnités de mission prévues par le même décret. Le ministre de l’intérieur ayant rejeté sa demande, il a demandé l’annulation de ce refus au tribunal administratif de Lille, ainsi que la condamnation de l’Etat à lui verser les sommes en cause. Il se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 12 mars 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a, sur appel incident du ministre de l’intérieur, annulé le jugement du 19 décembre 2017 du tribunal administratif de Lille et rejeté sa demande.

2. Aux termes de l’article 1er du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat, dans sa rédaction applicable au litige :  » Le présent décret fixe les conditions et les modalités de règlement des frais de déplacements temporaires des personnels civils à la charge des budgets des services de l’Etat « . Aux termes de l’article 2 du même décret :  » Pour l’application du présent décret, sont considérés comme : 1° Agent en mission : agent en service, muni d’un ordre de mission pour une durée totale qui ne peut excéder douze mois, qui se déplace, pour l’exécution du service, hors de sa résidence administrative et hors de sa résidence familiale ; / (…) / 6° Résidence administrative : le territoire de la commune sur lequel se situe le service où l’agent est affecté ou l’école où il effectue sa scolarité. Lorsqu’il est fait mention de la résidence de l’agent, sans autre précision, cette résidence est sa résidence administrative ; / 7° Résidence familiale : le territoire de la commune sur lequel se situe le domicile de l’agent (…) « . Enfin, l’article 3 de ce décret dispose que :  » Lorsque l’agent se déplace pour les besoins du service hors de sa résidence administrative et hors de sa résidence familiale à l’occasion d’une mission, d’une tournée ou d’un intérim, il peut prétendre : / – à la prise en charge de ses frais de transport sur production des justificatifs de paiement auprès du seul ordonnateur ; / – et à des indemnités de mission qui ouvrent droit, cumulativement ou séparément, selon les cas, au : / 1° Remboursement forfaitaire des frais supplémentaires de repas ; / 2° Remboursement forfaitaire des frais d’hébergement et, pour l’étranger et l’outre-mer, des frais divers, sur production des justificatifs de paiement de l’hébergement auprès du seul ordonnateur « . Il résulte de ces dispositions que les missions ouvrant droit, sur leur fondement, à la prise en charge des frais de transport et au versement d’indemnités de mission sont celles qui résultent de déplacements à caractère temporaire.

3. En jugeant que M. A… était, à raison de sa  » mise pour emploi opérationnel  » au bureau de contrôles nationaux juxtaposés de Douvres, affecté à ce poste de manière permanente et sans limitation de durée, de sorte que ses trajets quotidiens entre son domicile personnel de Calais (Nord) et son lieu de travail de Douvres ne pouvaient être regardés comme des déplacements temporaires pour l’application du décret du 3 juillet 2006, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui lui était soumis, exempte de dénaturation. Elle a pu, par suite, sans erreur de droit et par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, en déduire que, alors même que l’administration considérait que la résidence administrative de l’intéressé restait à Coquelles et qu’elle lui avait établi des ordres de mission pour exercer ses fonctions à Douvres, M. A… n’était pas susceptible de prétendre au remboursement de ses frais de transport ou au paiement d’indemnités de mission sur le fondement de l’article 3 du décret du 3 juillet 2006.

4. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A… doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre de l’intérieur.

ECLI:FR:CECHR:2021:440017.20210527

Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 27/05/2021, 440939, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux autres mémoires, enregistrés le 28 mai 2020 et les 7 janvier, 24 février et 3 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Association pour la défense de la méritocratie en classes préparatoires aux grands écoles (ADMCP), représentée par son président, M. B… A…, demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la  » décision  » de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation relative au calendrier des épreuves des concours d’entrée dans les grandes écoles, révélée par les communiqués de presse du 17 et du 22 avril 2020, en tant qu’elle concerne les concours d’entrée dans les écoles de commerce (dits  » BCE  » et  » ECRICOME) ;

2°) de condamner l’Etat à indemniser les candidats aux concours des écoles de commerce ( » BCE  » et  » ECRICOME « ) du préjudice subi à raison de la modification du calendrier des épreuves.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’éducation ;
– le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un communiqué de presse du 17 avril 2020, postérieur aux annonces du Président de la République relatives à l’organisation du déconfinement progressif, le Gouvernement a fixé le cadre dans lequel s’inscrirait la session 2020 des concours d’entrée dans les grandes écoles, compte tenu de l’épidémie de covid-19 et de la situation sanitaire, en prévoyant notamment que les épreuves des concours d’entrée dans les grandes écoles seront organisées du 20 juin au 7 août. Par un communiqué de presse du 22 avril 2020 relatif à l’organisation des examens et concours dans l’enseignement supérieur, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a  » formul(é) les recommandations suivantes, dans le respect de l’autonomie des établissements (…) Il est recommandé de réduire autant que possible le recours aux épreuves en présentiel en simplifiant les modalités d’examen et de concours. (…) L’organisation d’épreuves orales est déconseillée. (…) si des épreuves spécifiques en présentiel doivent être maintenues, notamment s’agissant des concours d’entrée dans les grandes écoles, celles-ci devront se dérouler sous la responsabilité des écoles entre le 20 juin et le 7 août afin d’être en mesure de maintenir les dates de rentrée de septembre « .

2. Eu égard aux moyens soulevés, et dans le dernier état de ses écritures, l’Association pour la défense de la méritocratie en classes préparatoires aux grands écoles doit être regardée comme demandant l’annulation de la  » décision  » révélée par les communiqués de presse du 17 avril et du 22 avril 2020 en tant qu’elle concerne les concours d’accès aux écoles de commerce dits  » BCE  » et  » ECRICOME « . Elle demande également que l’Etat soit condamné à indemniser les candidats à ces concours du préjudice subi par eux à raison de la modification du calendrier des épreuves.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et des termes mêmes des communiqués de presse attaqués que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, à l’issue d’une concertation avec l’ensemble des grandes écoles concernées, ayant donné lieu à la mise en place d’un comité de pilotage sur les examens et concours, a énoncé, dans le contexte sanitaire de l’épidémie de covid-19, des recommandations destinées aux autorités organisatrices des différents concours, en ce qui concerne la tenue des épreuves de fin d’année et le calendrier des épreuves présentielles au cas où elles seraient maintenues. S’agissant de recommandations émises en lien avec les autorités organisatrices des concours, qui restaient seules décisionnaires pour l’organisation des concours dont elles avaient la charge au titre de la session 2020, la ministre n’a, en tout état de cause, fixé aucune règle entachée d’incompétence.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, d’une part que le report au 20 juin 2020 du début des épreuves des concours d’entrée dans les grandes écoles était justifié par la situation sanitaire et les restrictions aux déplacements prévues par le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, d’autre part, qu’en recommandant de fixer au 7 août 2020 la date limite d’organisation de ces épreuves, la ministre chargée de l’enseignement supérieur a entendu permettre que les procédures dites  » d’appel « , qui organisent l’affectation des candidats entre les différentes écoles selon leurs résultats aux concours, débute au plus tard le 12 août 2020, afin de maintenir les calendriers habituels de rentrée dans les établissements en septembre. Dans ces conditions et en tout état de cause, compte tenu de la persistance de la circulation du virus et de l’incertitude, à la date de la recommandation litigieuse, sur l’évolution de la situation sanitaire, et par suite sur la possibilité d’organiser des épreuves orales après le 7 août 2020, le moyen tiré de ce que le choix de cette date ne reposerait pas sur des motifs d’ordre sanitaire et que la  » décision  » attaquée serait ainsi entachée d’erreur manifeste d’appréciation ne peut qu’être écarté.

5. En troisième lieu, les recommandations litigieuses n’ont eu ni pour objet ni pour effet de modifier la nature du programme ou des épreuves écrites des concours des écoles de commerce. Quant à la circonstance, à la supposer établie, que des épreuves orales auraient été organisées pour certains concours, elle ne serait, en tout état de cause, pas de nature à porter atteinte à l’égalité entre les candidats, dès lors qu’il s’agissait de concours distincts.

6. Il résulte ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre de l’enseignement supérieur, que l’Association pour la défense de la méritocratie en classes préparatoires aux grands écoles n’est en tout état de cause pas fondée à demander l’annulation des recommandations qu’elle attaque. Ses conclusions indemnitaires ne peuvent par suite qu’être également rejetées.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La requête de l’Association pour la défense de la méritocratie en classes préparatoires aux grandes écoles est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’Association pour la défense de la méritocratie en classes préparatoires aux grands écoles, à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Copie sera transmise à la ministre de la transition écologique, au ministre de l’économie, des finances et de la relance et à la ministre des armées.

ECLI:FR:CECHR:2021:440939.20210527

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 27/05/2021, 439075, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Lille, d’une part, d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a rejeté sa demande de versement de l’indemnité de fidélisation en secteur difficile et de remboursement des frais de mission exposés à raison des fonctions exercées au centre de coopération policière et douanière de Tournai (Belgique) et, d’autre part, de condamner l’Etat à lui verser les sommes correspondantes ainsi qu’une indemnité de 2 000 euros au titre du préjudice moral. Par un jugement n° 1503391 du 22 mai 2018, le tribunal administratif a condamné l’Etat à verser à M. B… la somme de 33 914,28 euros et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un arrêt n° 18DA01497 du 26 décembre 2019, la cour administrative d’appel de Douai a, sur appel du ministre de l’intérieur et appel incident de M. B…, annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance et l’appel incident de M. B….

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février et 26 mai 2020 et le 12 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel du ministre de l’intérieur et de faire droit à son appel incident ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– les accords des 5 mars 2001 et 18 mars 2013 entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement de la République française relatifs à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 99-1055 du 15 décembre 1999 ;
– le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B…, fonctionnaire de police en poste à la direction interrégionale de la police judiciaire de Lille, a été affecté, à sa demande, au centre de coopération policière et douanière de Tournai (Belgique), créé en vertu d’un accord de coopération transfrontalière en matière policière et douanière passé le 5 mars 2001 entre les gouvernements français et belge. Il y exerce, sous l’autorité de sa hiérarchie française, des missions de lutte contre l’immigration irrégulière et la délinquance transfrontalière, conjointement avec des fonctionnaires belges. En raison de cette affectation à Tournai, il a demandé au ministre de l’intérieur de lui verser, sur le fondement du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat, le remboursement de ses frais de transport entre son domicile familial et Tournai ainsi que les indemnités de mission prévues par le même décret. Il a également demandé au ministre de l’intérieur de lui verser l’indemnité prévue par le décret du 15 décembre 1999 portant attribution d’une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale. Le ministre de l’intérieur ayant implicitement rejeté sa demande, il a demandé l’annulation de ce refus au tribunal administratif de Lille, ainsi que la condamnation de l’Etat à lui verser les sommes en cause ainsi qu’une indemnité de 2 000 euros au titre du préjudice moral. Il se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 26 décembre 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a, sur appel du ministre de l’intérieur, annulé le jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Lille et rejeté sa demande.

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur les frais de transport et les indemnités de mission :

2. Aux termes de l’article 1er du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat, dans sa rédaction applicable au litige :  » Le présent décret fixe les conditions et les modalités de règlement des frais de déplacements temporaires des personnels civils à la charge des budgets des services de l’Etat « . Aux termes de l’article 2 du même décret :  » Pour l’application du présent décret, sont considérés comme : 1° Agent en mission : agent en service, muni d’un ordre de mission pour une durée totale qui ne peut excéder douze mois, qui se déplace, pour l’exécution du service, hors de sa résidence administrative et hors de sa résidence familiale ; / (…) / 6° Résidence administrative : le territoire de la commune sur lequel se situe le service où l’agent est affecté ou l’école où il effectue sa scolarité. Lorsqu’il est fait mention de la résidence de l’agent, sans autre précision, cette résidence est sa résidence administrative ; / 7° Résidence familiale : le territoire de la commune sur lequel se situe le domicile de l’agent (…) « . Enfin, l’article 3 de ce décret dispose que :  » Lorsque l’agent se déplace pour les besoins du service hors de sa résidence administrative et hors de sa résidence familiale à l’occasion d’une mission, d’une tournée ou d’un intérim, il peut prétendre : / – à la prise en charge de ses frais de transport sur production des justificatifs de paiement auprès du seul ordonnateur ; / – et à des indemnités de mission qui ouvrent droit, cumulativement ou séparément, selon les cas, au : / 1° Remboursement forfaitaire des frais supplémentaires de repas ; / 2° Remboursement forfaitaire des frais d’hébergement et, pour l’étranger et l’outre-mer, des frais divers, sur production des justificatifs de paiement de l’hébergement auprès du seul ordonnateur « . Il résulte de ces dispositions que les missions ouvrant droit, sur leur fondement, à la prise en charge des frais de transport et au versement d’indemnités de mission sont celles qui résultent de déplacements à caractère temporaire.

3. En jugeant que M. B… était, à raison de sa  » mise pour emploi opérationnel  » au centre de coopération policière et douanière de Tournai, affecté à ce poste de manière permanente et sans limitation de durée, de sorte que ses trajets quotidiens entre son domicile personnel de Warlaing (Nord) et son lieu de travail de Tournai ne pouvaient être regardés comme des déplacements temporaires pour l’application du décret du 3 juillet 2006, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui lui était soumis, exempte de dénaturation. Elle a pu, par suite, sans erreur de droit et par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, en déduire que, alors même que l’administration considérait que la résidence administrative de l’intéressé restait à Lille et qu’elle lui avait établi des ordres de mission mensuels pour exercer ses fonctions à Tournai, M. B… n’était pas susceptible de prétendre au remboursement de ses frais de transport ou au paiement d’indemnités de mission sur le fondement de l’article 3 du décret du 3 juillet 2006.

Sur l’arrêt en tant qu’il statue sur l’indemnité de fidélisation en secteur difficile :

4. L’article 2 du décret du 15 décembre 1999 portant attribution d’une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale dispose que :  » Sont considérés comme affectés en secteur difficile (…) les fonctionnaires actifs de la police nationale exerçant, de façon permanente, quel que soit leur service d’affectation, leurs attributions dans le ressort territorial des circonscriptions de sécurité publique dont la liste est fixée aux annexes I et II du présent décret « . L’annexe II de ce décret mentionne, notamment, la circonscription de sécurité publique de Lille.

5. En jugeant qu’en raison de son affectation au centre de coordination policière et douanière de Tournai, M. B… ne pouvait être regardé, au sens des dispositions précitées, comme exerçant de façon permanente ses attributions dans la circonscription de sécurité publique de Lille, alors même que la zone d’intervention du centre de coordination comporte, aux termes de l’accord intergouvernemental du 5 mars 2001, les cinq départements de l’Aisne, des Ardennes, du Nord, de la Meuse et de la Meurthe-et Moselle, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier, sans les dénaturer, et n’a entaché son arrêt ni d’erreur de droit ni de contradiction de motifs.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B… doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de M. B… est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au ministre de l’intérieur.

ECLI:FR:CECHR:2021:439075.20210527

Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 27/05/2021, 439927, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2000238 du 2 avril 2020, enregistrée le 3 avril au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président du tribunal administratif de la Polynésie française a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l’association Pupu Here Ai’Ia Nunaa Ia’Ora.

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2020, l’association Pupu Here Ai’Ia Nunaa Ia’Ora demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par les ministres de l’intérieur et des outre-mer sur sa demande tendant au retrait du décret du 5 novembre 1963 portant dissolution du parti dit Rassemblement Démocratique des Populations Tahitiennes ;

2°) d’enjoindre aux autorités compétentes de retirer ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 339 000 francs CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l’association Pupu Here Ai’ia Nunaa Ia’ora ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par un décret en conseil des ministres en date du 5 novembre 1963, publié au Journal Officiel de la Polynésie française le 15 novembre 1963, le Président de la République a dissous le parti Rassemblement démocratique des populations tahitiennes.

2. L’exercice, au-delà du délai de recours contentieux contre un acte administratif, d’un recours gracieux tendant au retrait de cet acte ne saurait avoir pour effet de rouvrir le délai de recours. Le rejet d’une telle demande n’est ainsi en principe, hors le cas où l’administration a refusé de faire usage de son pouvoir de retirer un acte administratif obtenu par fraude, pas susceptible de recours. Il s’ensuit que la requête par laquelle l’association Pupu Here Ai’Ia Nunaa Ia’Ora demande l’annulation du refus opposé à sa demande tendant au retrait du décret du 5 novembre 1963, formée après l’expiration du délai de recours contentieux contre ce décret par une lettre du 14 janvier 2020 adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française et transmise par celui-ci aux ministres de l’intérieur et des outre-mer, n’est pas recevable et ne peut qu’être rejetée.

3. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La requête de l’association Pupu Here Ai’Ia Nunaa Ia’Ora est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association Pupu Here Ai’Ia Nunaa Ia’Ora, au Premier ministre, au ministre de l’intérieur et au ministre des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au président de la Polynésie française et au président de l’assemblée de la Polynésie française.

ECLI:FR:CECHR:2021:439927.20210527

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 27/05/2021, 439526, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler la décision du 2 avril 2019 par laquelle le directeur de la caisse d’allocations familiales (CAF) de la Gironde a rejeté sa demande de remise de dette concernant un indu d’aide personnalisée au logement d’un montant de 2 181,97 euros pour la période du 1er octobre 2017 eu 30 janvier 2019. Par un jugement n° 1902190 du 11 octobre 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mars et 26 mai 2020 et le 15 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la caisse d’allocations familiales de la Gironde la somme de 2 000 euros à verser à Me C…, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code de la sécurité sociale ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me C…, avocat de M. A… et à la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la caisse d’allocations familiales de la Gironde ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 821-1 du code de la construction et de l’habitation :  » (…) Les aides personnelles au logement comprennent : 1° L’aide personnalisée au logement ; (…) « . Aux termes de l’article L. 823-9 du même code :  » Les articles L. 161-1-5 et L. 553-2 du code de la sécurité sociale sont applicables au recouvrement des montants d’aide personnelle au logement indûment versés.  » L’article L. 553-2 du code de la sécurité sociale dispose que :  » Tout paiement indu de prestations familiales est récupéré, sous réserve que l’allocataire n’en conteste pas le caractère indu (…). Toutefois, par dérogation aux dispositions des alinéas précédents, la créance de l’organisme peut être réduite ou remise en cas de précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manoeuvre frauduleuse ou de fausses déclarations « . Enfin, l’article L. 812-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit que les aides personnelles au logement sont liquidées et payées, pour le compte du fonds national d’aide au logement, c’est-à-dire au nom de l’Etat, par les organismes chargés de gérer les prestations familiales et l’article L. 825-3 du même code dispose que :  » Le directeur de l’organisme payeur statue (…) sur : / (…) 2° Les demandes de remise de dettes présentées à titre gracieux par les bénéficiaires des aides personnelles au logement « .

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un courrier du 30 janvier 2019, le directeur de la caisse d’allocations familiales de la Gironde a, au nom de l’Etat, fait connaître à M. A… sa décision de récupérer un indu d’aide personnalisée au logement d’un montant de 2 218,97 euros et que, par une décision du 2 avril 2019, également prise au nom de l’Etat, il a rejeté la demande de remise gracieuse de cet indu formée par l’intéressé. M. A… se pourvoit en cassation contre le jugement du 11 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d’annulation de cette décision de rejet de sa demande de remise gracieuse.

3. Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d’un indu d’une prestation ou d’une allocation versée au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d’être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre décision.

4. Il résulte des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que la demande formée par M. A… contre le refus de remise gracieuse d’un indu d’aide personnalisée au logement relevait du contentieux de l’excès de pouvoir. En statuant ainsi, le tribunal a méconnu son office.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, le jugement attaqué doit être annulé.

6. M. A… a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

7. Aux termes de l’article R. 825-4 du code de la construction et de l’habitation :  » Par dérogation aux règles de représentation de l’Etat devant la juridiction administrative, les directeurs des organismes payeurs des aides personnelles au logement ont compétence pour présenter, au nom de l’Etat, les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention dans les litiges relatifs aux décisions qu’ils prennent devant le tribunal administratif et le Conseil d’Etat « .

8. L’Etat étant, dans la présente instance, représenté en défense par le directeur de la caisse d’allocations familiales de la Gironde, les conclusions par lesquelles Me C…, avocat de M. A…, demande que soit mise à la charge de la caisse d’allocations familiales de la Gironde une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent en l’espèce être regardées comme dirigées contre l’Etat et être satisfaites à hauteur de la somme de 1 500 euros à verser à cet avocat, sous réserve qu’il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 11 octobre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Bordeaux.

Article 3 : L’Etat versera à Me C… une somme de 1 500 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au directeur de la caisse d’allocations familiales de la Gironde.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique.

ECLI:FR:CECHR:2021:439526.20210527

Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 27/05/2021, 433078, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :

Vu la procédure suivante :

La société Alcatel Lucent Submarine Networks a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 septembre 2014 par laquelle l’inspecteur du travail a refusé de lui accorder l’autorisation de licencier M. A… B…, ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours contre cette décision. Par un jugement n° 1502563 du 12 juillet 2017, le tribunal administratif a annulé ces décisions.

Par un arrêt n° 17DA01794 du 29 mai 2019, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par M. B… contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juillet et 29 octobre 2019 et le 9 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Alcatel Lucent Submarine Networks la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code du travail ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Marie Grosset, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de M. B… et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Alcatel Lucent Submarine Networks ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B… a été recruté en octobre 1999 par la société Alcatel Lucent Submarine Networks (ALSN) en qualité d’opérateur de fabrication au sein de l’établissement situé à Calais. Par une décision du 9 septembre 2014, confirmée sur recours hiérarchique par le ministre chargé du travail, l’inspecteur du travail de l’unité territoriale du Pas-de-Calais a refusé d’autoriser la société ALSN à licencier M. B…, salarié protégé, estimant que les agissements fautifs commis par l’intéressé à l’occasion d’une grève ayant affecté l’établissement de Calais au mois de juin 2014 n’étaient pas d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Toutefois, par un jugement du 12 juillet 2017, le tribunal administratif de Lille, à la demande de la société ALSN, a annulé pour excès de pouvoir les décisions de l’inspecteur du travail et du ministre chargé du travail. M. B… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 29 mai 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté son appel.

2. Les salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l’intérêt des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu’avec l’autorisation de l’inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l’intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables à son contrat de travail, notamment, dans le cas de faits survenus à l’occasion d’une grève, des dispositions de l’article L. 2511-1 du code du travail aux termes duquel  » l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié » et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi.

3. La cour administrative d’appel de Douai a relevé, par des constatations souveraines non arguées de dénaturation, qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui étaient soumis,  » que M. B… a, à plusieurs reprises entre le 16 et le 19 juin 2014, bloqué physiquement l’accès à une cabine de commande de délovage de câble, empêchant ainsi non seulement des salariés de la société ALSN, mais aussi des salariés de la société MetL, partenaire de la société ALSN, de travailler. Le 19 juin 2014, il a aussi bloqué, à partir de 14 heures, l’accès à un navire, en occupant l’échelle de coupée, empêchant ainsi les salariés de la société MetL de travailler « . Elle a également souverainement relevé qu’il ressortait des pièces du dossier  » que le blocage illicite de l’établissement de Calais résulte principalement du fait de M. B…, présent, de manière récurrente, lors de chaque constatation d’huissier, et qui a porté des atteintes à la liberté du travail, commettant à cette occasion plusieurs voies de fait à l’encontre de membres du personnel de la société ALSN qui tentaient de s’acquitter de leurs missions » et a souligné le rôle prépondérant, constant et particulièrement actif de M. B… dans ces actions dont a résulté une entrave à la liberté du travail d’autres salariés. En jugeant que ces faits, qui ne sont pas en eux-mêmes contestés en cassation, étaient d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. B… et ne pouvaient être regardés comme se rattachant à l’exécution normale de ses mandats représentatifs, alors même que le blocage n’avait pas affecté le site de production des câbles lui-même, la cour administrative d’appel, qui n’avait pas à rechercher si ces blocages avaient porté une atteinte grave aux intérêts de la société, n’a pas commis d’erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l’espèce.

4. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. B… doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Alcatel Submarine Networks.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de M. B… est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Alcatel Submarine Networks au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée M. A… B… et à la société Alcatel Submarine Networks.
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

ECLI:FR:CECHR:2021:433078.20210527

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 27/05/2021, 436815

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Rouen, d’une part, d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 23 avril 2018 par lequel le préfet de l’Eure a prononcé la suspension de son permis de conduire pour une durée de trois mois et, d’autre part, de le décharger du paiement de l’amende mise à sa charge. Par un jugement n° 1801984 du 16 octobre 2019, le tribunal administratif a annulé cet arrêté et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi, enregistré le 17 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement en tant qu’il annule l’arrêté du 23 avril 2018 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de M. A….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de procédure pénale ;
– le code de la route ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire ;

– les conclusions de M. B… Polge, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A…, intercepté à Brionne (Eure), le 20 avril 2018, pour un excès de vitesse supérieur à 40 km/h, a fait l’objet d’un arrêté du 23 avril 2018 du préfet de l’Eure suspendant son permis de conduire pour une durée de trois mois. Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation contre le jugement du 16 octobre 2019 du tribunal administratif de Rouen en tant que, par ce jugement, le tribunal a annulé pour excès de pouvoir cet arrêté.

2. L’autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s’impose aux juridictions administratives s’attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. Le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, qui présente un caractère absolu, est d’ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d’Etat, juge de cassation.

3. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que, pour annuler l’arrêté du 23 avril 2018 du préfet de l’Eure suspendant le permis de conduire de M. A…, le tribunal administratif, devant lequel l’intéressé contestait la réalité de l’excès de vitesse qui lui était reproché, s’est, sans se méprendre sur son office contrairement à ce que soutenait le préfet de l’Eure devant lui, prononcé sur l’existence de cet excès de vitesse et a estimé que celle-ci n’était pas établie.

4. Toutefois, il ressort des pièces produites en cassation devant le Conseil d’Etat par le ministre de l’intérieur que M. A… a été condamné, par une ordonnance pénale du président du tribunal de police d’Evreux du 14 juin 2018, devenue définitive, pour ces mêmes faits d’excès de vitesse, au paiement d’une amende de 200 euros et à une peine complémentaire de suspension de son permis de conduire d’une durée d’un mois.

5. Par suite, l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux constatations matérielles, retenues par le juge pénal, d’un excès de vitesse compris entre 40 et 50 km/h au-dessus de la vitesse autorisée fait obstacle à ce que puisse être maintenu le jugement attaqué qui écarte la réalité de l’excès de vitesse commis par l’intéressé. Il y a lieu, par suite, d’annuler ce jugement en tant qu’il annule l’arrêté du préfet de l’Eure du 23 avril 2018.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Ainsi qu’il a été dit au point 4, il résulte de l’ordonnance pénale du président du tribunal de police d’Evreux du 14 juin 2018 que l’unique moyen présenté par M. A… à l’appui de ses conclusions d’annulation de l’arrêté préfectoral attaqué, tiré de ce que les faits d’excès de vitesse qui lui sont reprochés ne seraient pas établis, ne peut qu’être écarté. M. A… n’est, par suite, pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté qu’il attaque.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’article 2 du jugement du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A… tendant à l’annulation de l’arrêté du 23 avril 2018 du préfet de l’Eure suspendant son permis de conduire pour une durée de trois mois, sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’intérieur et à M. B… A….

ECLI:FR:CECHR:2021:436815.20210527

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 27/05/2021, 433863

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une décision du 29 juin 2020, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi de Mme D… F…, de M. A… B… et de M. E… F… dirigées contre l’arrêt n° 17BX00912, 18BX03314, 18BX03325 de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 25 juin 2019 en tant seulement que cet arrêt, pour évaluer le préjudice subi par Melle C… B… du fait de son besoin d’assistance par une tierce personne, retient un taux horaire de 13 euros et en tant qu’il statue sur l’indemnisation des frais exposés pour l’achat et la construction d’un logement adapté à son handicap.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 août 2020, le centre hospitalier de Libourne conclut au rejet du pourvoi et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme F…, de M. B… et de M. F… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens du pourvoi ne sont pas fondés.

Par un mémoire en réplique enregistré le 23 septembre 2020, Mme F… et autres reprennent les conclusions de leur pourvoi, par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de Mme F… et autres, et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Libourne ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt du 25 juin 2019, la cour administrative d’appel de Bordeaux a condamné le centre hospitalier de Libourne à verser diverses indemnités à Mme F…, M. Fredoux et M. Montillaud à raison des fautes commises par cet établissement de santé lors de la naissance de leur fille et petite-fille C…, atteinte d’une infirmité motrice cérébrale sévère. Par une décision du 29 juin 2020, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi de Mme F… et autres dirigées contre cet arrêt, d’une part en tant qu’il fixe le montant de l’indemnité due au titre des frais d’assistance par une tierce personne en se fondant sur un taux horaire de 13 euros et, d’autre part, en tant qu’il statue sur l’indemnisation des frais exposés pour assurer à C… B… un logement adapté à son handicap.

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il fixe le montant des frais d’assistance :

2. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d’un dommage corporel la nécessité de recourir à l’aide d’une tierce personne, il détermine le montant de l’indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l’employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l’aide professionnelle d’une tierce personne d’un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n’appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l’aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

3. Par suite, en retenant, sur la seule base d’une référence au montant du salaire minimum brut augmenté des cotisations sociales dues par l’employeur, un taux horaire de 13 euros pour déterminer le montant de l’indemnité due à la jeune C… au titre de son besoin d’assistance par une tierce personne, sans tenir compte, ainsi qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, de ce qu’une assistance adaptée à sa situation de handicap s’élevait un coût plus d’une fois et demie supérieur au montant retenu, la cour a méconnu les règles énoncées au point précédent.

4. Mme F… et autres sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent en tant que celui-ci fixe le montant de ces frais d’assistance en retenant un taux horaire de 13 euros.

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur les frais liés à l’adaptation du logement :

5. Il résulte des termes de l’arrêt attaqué que, pour rejeter les conclusions de Mme F… tendant à l’indemnisation de divers frais liés à la construction d’un nouveau logement, la cour administrative d’appel, après avoir relevé que l’intéressée soutenait se trouver dans l’impossibilité d’aménager le logement dont elle était locataire ou d’en louer un autre qui soit adapté aux besoins de sa fille, a jugé qu’en tout état de cause, en cas d’achat ou de construction d’un logement adapté, seuls les frais exposés pour aménager un tel logement conformément aux besoins de l’enfant étaient susceptibles d’être indemnisés.

6. En statuant ainsi, alors que, outre les dépenses d’aménagement du logement rendues nécessaires par le handicap de l’enfant, d’autres dépenses nées d’une décision d’achat ou de construction d’un logement sont, dès lors qu’une telle décision est imposée par le handicap de l’enfant et dans la mesure où ces dépenses visent à répondre à ses besoins, susceptibles d’être regardées comme étant en lien direct avec la faute de l’établissement de santé et comme devant, par suite, faire l’objet d’une indemnisation, la cour a commis une erreur de droit.

7. Mme F… et autres sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent en tant que celui-ci statue sur l’indemnisation des frais exposés pour la construction d’un logement adapté au handicap de sa fille.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas dans la présente instance la partie perdante, une somme que demande, à ce titre, le centre hospitalier de Libourne. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne une somme de 1 000 euros, chacun, à verser à Mme F…, M. Frédoux et M. Montillaud au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 25 juin 2019 est annulé en tant que, pour évaluer les frais d’assistance par une tierce personne, il retient un taux horaire de 13 euros et en tant qu’il statue sur l’indemnisation des frais exposés pour la construction d’un logement adapté.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : Le centre hospitalier de Libourne versera à Mme F…, à M. B… et à M. F… la somme de 1 000 euros, chacun, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D… F…, première requérante dénommée, et au centre hospitalier de Libourne.

ECLI:FR:CECHR:2021:433863.20210527