CE, 3-8 chr, 18 mars 2020, n° 425443, Lebon T.
Conclusions du Rapporteur Public
Cf. CE, 19 novembre 2008, Soppelsa, n° 291039, T. pp. 710-890.
Texte intégral
Conseil d’État
N° 425443
ECLI:FR:CECHR:2020:425443.20200318
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3e – 8e chambres réunies
M. Thomas Janicot, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du mercredi 18 mars 2020REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) ESPM a demandé au tribunal administratif de Bordeaux la décharge des impositions supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2008 à 2010.
Par un jugement n° 1500035 du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16BX02171 du 25 septembre 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la SCI ESPM, réformé ce jugement en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à obtenir la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2010 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un pourvoi, enregistré le 16 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’action et des comptes publics demande au Conseil d’Etat d’annuler les articles 1er et 2 de cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des impôts ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
— le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,
— les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la SCI ESPM ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile immobilière (SCI) ESPM a été constituée le 28 janvier 2003 entre deux associés avec pour objet social « l’acquisition, la prise à bail, la mise en valeur de tous terrains, l’édification de bâtiments à usage d’habitation et accessoirement commercial, la construction ou l’achat de tous biens immobiliers et mobiliers, la propriété, l’administration et l’exploitation par bail ou location de biens immobiliers acquis ou édifiés par la société (…) éventuellement, la revente des ensembles immobiliers acquis ou édifiés par elle ». Le 15 janvier et 23 juillet 2008, elle a acquis deux immeubles situés respectivement au 34 rue José Marco à Bègles et au 1 rue de Guienne à Bordeaux. Elle a vendu l’un des deux lots du bâti du premier immeuble le 17 juillet 2008 et le terrain à bâtir attenant le 23 juillet 2008 et, après avoir créé douze lots dans le second immeuble, en a vendu quatre les 6 et 27 octobre 2008 et le 26 février 2009. A l’issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l’objet au titre des exercice clos de 2008 à 2010, l’administration fiscale a remis en cause le caractère civil de ses activités au motif qu’elle exerçait une activité de marchand de biens et l’a, en conséquence, assujettie à l’impôt sur les sociétés pour les années en cause. Par un jugement du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la SCI ESPM tendant à obtenir la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2008 à 2010. Par un arrêt du 25 septembre 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la SCI ESPM, déchargé celle-ci des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujetti au titre de 2010, réformé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2016 en ce sens et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre les articles 1 et 2 de cet arrêt.
2. Aux termes du I de l’article 35 du code général des impôts : « Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles (..) ». Aux termes du 2 de l’article 206 du même code, définissant le champ d’application de l’impôt sur les sociétés : « (..) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (..) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 (..) ».
3. L’application des dispositions précitées est subordonnée à la double condition que les opérations procèdent d’une intention spéculative et présentent un caractère habituel. La condition d’habitude s’apprécie en principe en fonction du nombre d’opérations réalisées et de leur fréquence. A cet égard, la circonstance qu’au cours d’une année aucune opération mentionnée à l’article 35 du code général des impôts n’ait été réalisée par une société civile ne suffit pas, à elle seule, à écarter l’application de ces dispositions pour cette année.
4. Pour décharger la SCI ESPM des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de 2010, la cour s’est fondée sur la seule circonstance que, au cours de cette année, la société n’avait réalisé aucune opération de revente et s’était exclusivement livrée à des opérations de location de biens immobiliers ne relevant pas du champ d’application de l’article 35 du code général des impôts. En statuant de la sorte, alors qu’une telle circonstance ne suffisait pas, à elle seule, à écarter l’application combinée de l’article 35 du code général des impôts et du 2 de l’article 206 du même code à la SCI ESPM, la cour a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à demander l’annulation des articles 1 et 2 de l’arrêt qu’il attaque.
6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1 et 2 de l’arrêt du 25 septembre 2018 de la cour administrative d’appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société civile immobilière ESPM au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’action et des comptes publics et à la société civile immobilière ESPM.