Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 22/06/2022, 451998, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 avril et 12 août 2021 et 9 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la République et Canton de Genève, la ville de Genève, Mme G… E…, M. H… F…, M. D… C… et M. B… A… demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision n° 2021-DC-0706 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 23 février 2021 fixant à Electricité de France les prescriptions applicables aux réacteurs des centrales nucléaires du Blayais, du Bugey, de Chinon, de Cruas, de Dampierre-en-Burly, de Gravelines, de Saint-Laurent-des-Eaux et du Tricastin au vu des conclusions de la phase générique de leur quatrième réexamen périodique ;

2°) de mettre à la charge de l’Autorité de sûreté nucléaire la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment la Charte de l’environnement ;
– la convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, signée à Espoo le 25 février 1991 ;
– la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
– la directive 2009/147/CEE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
– la directive 2014/87/Euratom du Conseil du 8 juillet 2014 modifiant la directive 2009/71/Euratom du 25 juin 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d’Etat en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de la République et Canton de Genève et autres et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat d’Electricité de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Eu égard aux moyens qu’ils soulèvent, la République et Canton de Genève et autres doivent être regardés comme demandant l’annulation de la décision n° 2021-DC-0706 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 23 février 2021 fixant à Electricité de France les prescriptions applicables aux réacteurs des centrales nucléaires du Blayais, du Bugey, de Chinon, de Cruas, de Dampierre-en-Burly, de Gravelines, de Saint-Laurent-des-Eaux et du Tricastin au vu des conclusions de la phase dite générique, préalable à leur quatrième réexamen périodique, en tant seulement qu’elle porte sur la centrale nucléaire du Bugey.

Sur le cadre juridique applicable :

2. En vertu de l’article L. 593-1 du code de l’environnement, les installations nucléaires de base sont soumises à un régime légal en raison des risques ou inconvénients qu’elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l’environnement. Aux termes de l’article L. 593-18 du code de l’environnement :  » L’exploitant d’une installation nucléaire de base procède périodiquement au réexamen de son installation en prenant en compte les meilleures pratiques internationales. / Ce réexamen doit permettre d’apprécier la situation de l’installation au regard des règles qui lui sont applicables et d’actualiser l’appréciation des risques ou inconvénients que l’installation présente pour les intérêts mentionnés à l’article L. 593-1, en tenant compte notamment de l’état de l’installation, de l’expérience acquise au cours de l’exploitation, de l’évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires. / Ces réexamens ont lieu tous les dix ans. Toutefois, le décret d’autorisation peut fixer une périodicité différente si les particularités de l’installation le justifient. Pour les installations relevant de la directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires, la fréquence des réexamens périodiques ne peut être inférieure à une fois tous les dix ans. / Le cas échéant, l’exploitant peut fournir sous la forme d’un rapport séparé les éléments dont il estime que la divulgation serait de nature à porter atteinte à l’un des intérêts visés à l’article L. 124-4. Sous cette réserve, le rapport de réexamen périodique est communicable à toute personne en application des articles L. 125-10 et L. 125-11 « . Aux termes de l’article L. 593-19 du même code :  » L’exploitant adresse à l’Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l’examen prévu à l’article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu’il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1. / Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport, ainsi que les prescriptions qu’elle prend. / Les dispositions proposées par l’exploitant lors des réexamens au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement d’un réacteur électronucléaire sont soumises, après enquête publique, à la procédure d’autorisation par l’Autorité de sûreté nucléaire mentionnée à l’article L. 593-15, sans préjudice de l’autorisation mentionnée au II de l’article L. 593-14 en cas de modification substantielle. Les prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire comprennent des dispositions relatives au suivi régulier du maintien dans le temps des équipements importants pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1. Cinq ans après la remise du rapport de réexamen, l’exploitant remet un rapport intermédiaire sur l’état de ces équipements, au vu duquel l’Autorité de sûreté nucléaire complète éventuellement ses prescriptions « . Postérieurement à la décision attaquée, le décret n° 2021-903 du 7 juillet 2021 a introduit dans le code de l’environnement un article R. 593-62-1 ainsi rédigé :  » L’exploitant de réacteurs électronucléaires de conception similaire peut réaliser une partie de leur réexamen périodique de manière commune. Il intègre alors, pour le réexamen de chaque réacteur, les conclusions de cette partie commune dans le rapport mentionné à l’article L. 593-19, ainsi que les suites que l’Autorité de sûreté nucléaire y a données. / L’exploitant vérifie, préalablement à chaque réexamen, que les conclusions de cette partie commune restent valides au regard de l’évolution des connaissances et du retour d’expérience « .

3. Il résulte de l’instruction que, pour la mise en œuvre du réexamen périodique prévu par l’article L. 593-18 du code de l’environnement pour chaque installation nucléaire, la société Electricité de France, avec l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a préalablement réalisé un réexamen commun des trente-cinq réacteurs nucléaires d’une puissance de 900 mégawatts (MW) qui, bien que situés sur des sites différents, sont de conception similaire. Au terme de ce processus préalable, qu’elle a dénommé « phase générique » du quatrième réexamen périodique, l’ASN a, par la décision attaquée, fixé les prescriptions techniques applicables à ces réacteurs. En outre, le quatrième réexamen périodique de chacun des réacteurs concernés devra être réalisé, pour les quatre réacteurs en fonctionnement de la centrale nucléaire du Bugey, entre le 27 avril 2021 et le 30 avril 2024. Ainsi que le prévoit l’article 2 de la décision attaquée, celle-ci est prise sans préjudice des prescriptions que l’ASN pourra adopter, après analyse du rapport de conclusion du réexamen de chacun des réacteurs, en application de l’article L. 593-19 du code de l’environnement.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

4. En premier lieu, aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement :  » Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement « . Aux termes de l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement :  » I. – Sous réserve des dispositions de l’article L. 123-19-6, le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement qui n’appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. Les décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie ne sont pas non plus soumises aux dispositions du présent article. (…) / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l’expiration d’un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public (…) « .

5. Ainsi qu’il a été dit au point 3, la décision attaquée, qui a pour objet de fixer des prescriptions techniques communes applicables aux réacteurs nucléaires de 900 MW de conception similaire, a été prise par l’ASN à l’issue de la phase générique préalable au quatrième examen périodique de ces réacteurs. Il résulte de l’instruction que la procédure de consultation du public sur ces prescriptions s’est déroulée du 3 décembre 2020 au 22 janvier 2021. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette décision est sans incidence sur la durée de fonctionnement de chacun de ces réacteurs et n’a donc ni pour objet ni pour effet d’autoriser la prolongation du fonctionnement de la centrale nucléaire du Bugey au-delà de quarante ans. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure de participation du public aurait méconnu l’article 7 de la Charte de l’environnement, faute de porter sur le principe d’une telle prolongation, doit être écarté.

6. En deuxième lieu, d’une part, aux termes du II de l’article L. 122-1 du code de l’environnement :  » II – Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, par un examen au cas par cas (…) « . L’annexe de l’article R. 122-2 du même code dispose que les modifications substantielles affectant les installations nucléaires de base doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale, tandis que le II du même article prévoit que les autres modifications ou extensions de projets soumis à évaluation environnementale systématique qui peuvent avoir des incidences négatives notables sur l’environnement sont soumises à un examen au cas par cas. D’autre part, aux termes du II de l’article L. 593-14 du même code :  » Une nouvelle autorisation est requise en cas de modification substantielle d’une installation nucléaire de base, de ses modalités d’exploitation autorisées ou des éléments ayant conduit à son autorisation. Le caractère substantiel de la modification est apprécié suivant des critères fixés par décret en Conseil d’État au regard de son impact sur la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1. La nouvelle autorisation est accordée dans les conditions prévues aux articles L. 593-7 à L. 593-12, suivant des modalités définies par décret en Conseil d’État « . Le I de l’article R. 593-47 de ce code précise que constitue une modification substantielle d’une installation nucléaire de base :  » 1o Un changement de sa nature ou un accroissement de sa capacité maximale; / 2o Une modification des éléments essentiels mentionnés à l’article L. 593-8 ; / 3o Un ajout, dans le périmètre de l’installation, d’une nouvelle installation nucléaire de base, en dehors des cas prévus aux articles R. 593-44 et R. 593-45 « . L’article L. 593-15 de ce code prévoit que les modifications notables d’une installation nucléaire de base ou des éléments ayant conduit à son autorisation sont soumises, en fonction de leur importance, soit à déclaration auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire, soit à autorisation de cette autorité. Enfin, en vertu de l’article L. 593-20 de ce code, en cas de menace pour les intérêts mentionnés à l’article L. 593-1, l’Autorité de sûreté nucléaire peut, à tout moment, prescrire des évaluations et la mise en œuvre des dispositions rendues nécessaires.

7. Les prescriptions édictées par la décision attaquée de l’ASN portent, d’une part, sur la résorption, au plus tard lors de la visite décennale précédant la remise du rapport de conclusion du quatrième réexamen des installations nucléaires de base visées par cette décision, des écarts ayant un impact sur la sûreté qui auront été identifiés préalablement à cette visite, d’autre part, sur la réalisation de travaux tels que le cerclage des tuyauteries, le changement de technologie à l’occasion du remplacement des calorifuges pour limiter les pertes de chaleur autour de certaines tuyauteries ou encore la diversification du système de refroidissement des piscines, enfin, sur la réalisation de diverses études destinées notamment à vérifier la fiabilité des systèmes de sécurité. La prescription portant sur l’épaississement des radiers le nécessitant n’est pas applicable à la centrale du Bugey. Dès lors, au vu, d’une part, de la portée limitée des prescriptions contenues dans la décision attaquée, qui n’apportent pas de modification substantielle ni même notable à l’installation du Bugey au sens des articles L. 593-14 et L. 593-15 du code de l’environnement et sont, par elles-mêmes, dépourvues d’incidence négative notable sur l’environnement, et, d’autre part, de l’absence de menace de nature à justifier la prescription d’une évaluation en application de l’article L. 593-20 du même code, les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 122-1 et L. 593-20 du code de l’environnement en raison de l’absence d’enquête publique et d’étude d’impact ne peuvent qu’être écartés comme inopérants. Il en va de même, en tout état de cause, du moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et des articles 3 et 4 de la directive 2009/147/CEE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.

8. En troisième lieu, aux termes de l’article 2 de la convention d’Espoo du 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière :  » (…) 3. La Partie d’origine veille à ce que, conformément aux dispositions de la présente Convention, il soit procédé à une évaluation de l’impact sur l’environnement avant que ne soit prise la décision d’autoriser ou d’entreprendre une activité proposée inscrite sur la liste figurant à l’Appendice I, qui est susceptible d’avoir un impact transfrontière préjudiciable important. / 4. La Partie d’origine veille, conformément aux dispositions de la présente Convention, à ce que toute activité proposée inscrite sur la liste figurant à l’Appendice I, qui est susceptible d’avoir un impact transfrontière préjudiciable important, soit notifiée aux Parties touchées. (…) « . La décision attaquée, qui n’a ni pour objet ni pour effet d’autoriser une activité au sens de ces stipulations, n’avait pas à être précédée d’une évaluation de son impact sur l’environnement ni d’une notification à la République helvétique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ne peut qu’être écarté.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

9. En premier lieu, les articles L. 593-18 et L. 593-19 du code de l’environnement, qui transposent en droit interne les dispositions des articles 6 et 8 quater de la directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires, dans leur rédaction issue de la directive 2014/87/Euratom du Conseil du 8 juillet 2014, imposent un réexamen décennal des installations nucléaires de base. Ces dispositions ont été précisées par l’article R. 593-62 du code de l’environnement, aux termes duquel  » Le délai pour la réalisation des réexamens périodiques prévus par l’article L. 593-18 commence à compter de la date de survenance de la première de ces deux échéances : / – soit la fin du délai fixé pour la remise du dossier de fin de démarrage en application de l’article R. 593-34 ; /- soit la fin du délai fixé par le décret d’autorisation de création pour la mise en service de l’installation, augmenté de cinq ans. / L’obligation de réexamen périodique est réputée satisfaite lorsque l’exploitant remet au ministre chargé de la sûreté nucléaire et à l’Autorité de sûreté nucléaire son rapport sur ce réexamen « .

10. Les requérants soutiennent que l’échéancier fixé par l’ASN à l’annexe II de la décision qu’ils attaquent conduit à n’exiger la réalisation des travaux prescrits que postérieurement à l’expiration de la période de dix ans suivant la troisième visite décennale, en méconnaissance des dispositions citées ci-dessus. Toutefois, il ne résulte pas de ces dispositions, qui imposent à l’exploitant d’une installation nucléaire de base d’améliorer de manière continue la sûreté nucléaire de cette installation, que les prescriptions imposées à l’exploitant dans le cadre de chaque réexamen périodique ainsi que dans celui de la phase générique préalable à ce réexamen doivent être effectivement mises en œuvre avant l’échéance de ce réexamen. Par suite, sans qu’il soit besoin de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle consistant à savoir si le cycle de dix ans imposé aux exploitants d’une centrale nucléaire pour réévaluer la sûreté de leurs installations, en application de l’article 8 quater de la directive 2014/87/Euratom, leur impose la mise en œuvre dans ce délai des mesures permettant d’assurer la sûreté de ces installations par la mise en œuvre des dispositions de défense en profondeur nécessaires, le moyen tiré de la méconnaissance du délai maximum de dix ans prescrit à l’article L. 593-18 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté.

11. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la décision attaquée méconnaît les articles L. 122-1 et L. 593-20 du code de l’environnement faute de conditionner la poursuite de l’exploitation de la centrale du Bugey à la réalisation d’une étude d’impact et alors que cette centrale n’avait pas fait l’objet d’une étude d’impact préalablement à son autorisation d’exploitation. Si la décision attaquée préconise de mettre à jour les études d’impact des installations nucléaires de base sur lesquelles elle porte, dans la mesure où, ainsi qu’il a été dit précédemment, cette décision n’a pas pour objet d’autoriser la prolongation de la durée d’exploitation de la centrale du Bugey, elle n’avait pas à imposer à EDF la réalisation d’une étude d’impact. Par suite, le moyen ne peut qu’être écarté, de même que celui tiré de ce que la décision attaquée aurait dû prescrire une évaluation des incidences de la poursuite de son exploitation sur deux sites Natura 2000 situés à proximité.

12. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision attaquée des dispositions de l’article L. 593-20 du code de l’environnement en vertu desquelles, en cas de menace pour les intérêts mentionnés à l’article L. 593-1, l’Autorité de sûreté nucléaire peut prescrire des évaluations et la mise en œuvre des dispositions rendues nécessaires ne peut qu’être écarté, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’une menace aurait justifié que la décision attaquée contînt une telle prescription.

13. En quatrième lieu, si les requérants soutiennent que les prescriptions fixées par la décision attaquée sont insuffisantes au regard de l’objectif de sûreté nucléaire prévu à l’article 8 bis de la directive 2009/91/Euratom dans sa rédaction issue de la directive 2014/87 Euratom et à l’article L. 593-18 du code de l’environnement pris pour sa transposition, il ne résulte pas de l’instruction qu’existeraient des carences nécessitant l’intervention immédiate de mesures permettant d’y remédier, alors qu’en application de l’article L. 593-19 du code de l’environnement, des prescriptions particulières seront le cas échéant adoptées pour le fonctionnement de chaque réacteur du site du Bugey à l’issue du quatrième réexamen décennal. Ils ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que les prescriptions techniques contenues dans la décision attaquée seraient insuffisantes.

14. En dernier lieu, le I de l’article L. 593-6 du code de l’environnement dispose que l’exploitant d’une installation nucléaire, qui est responsable de la maîtrise des risques et inconvénients que son installation peut présenter pour les intérêts mentionnés à l’article L. 593-1,  » accorde la priorité à la protection de ces intérêts et à son amélioration permanente, en premier lieu par la prévention des accidents et la limitation de leurs conséquences au titre de la sûreté nucléaire Il formalise cette politique dans un document affirmant explicitement cette priorité. / Il dispose des ressources techniques, financières et humaines, qu’il décrit dans une notice, et met en œuvre les moyens nécessaires pour exercer cette responsabilité « . Les requérants soutiennent que la décision attaquée méconnaîtrait ces dispositions en tant qu’elle prévoit un échelonnement des travaux nécessaires à la mise en sûreté de l’installation nucléaire du Bugey qui révèlerait que le niveau d’endettement d’EDF la place dans l’impossibilité de faire face à ses obligations. Toutefois, ils ne font état d’aucun élément étayant l’existence d’un lien entre les capacités financières de l’exploitant et le calendrier fixé par l’ASN pour la mise en œuvre des prescriptions qu’elle fixe dans la décision attaquée. Par suite, et sans qu’il soit besoin de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle consistant à savoir si la circonstance que l’exploitant d’une installation nucléaire affiche un endettement financier de 42 milliards d’euros est compatible avec les dispositions de l’article 6 f) de la directive 2014/87/Euratom, ce moyen ne peut qu’être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par EDF dans son mémoire en défense, la requête de la République et Canton de Genève et autres doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la République et Canton de Genève et autres la somme de 3 000 euros à verser à Electricité de France au titre de ces dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la République et Canton de Genève et autres est rejetée.
Article 2 : La République et Canton de Genève et autres verseront une somme globale de 3 000 euros à EDF au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la République et Canton de Genève, première dénommée pour l’ensemble des requérants, à l’Autorité de sûreté nucléaire et à Electricité de France.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l’issue de la séance du 25 mai 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, Mme Suzanne von Coester, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Rozen Noguellou, conseillers d’Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d’Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 juin 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse

ECLI:FR:CECHR:2022:451998.20220622