TC, 6 juillet 2020, M.X c/ Direction générale des finances publiques, n° 4192, B.
La juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur une demande de décharge de rappels d’ISF. Toutefois, s’il est soulevé devant elle une contestation relative au montant de la créance de restitution imputable sur cet impôt, il lui incombe, en cas de difficulté sérieuse, de saisir, à titre préjudiciel, la juridiction administrative afin qu’il soit statué sur cette contestation
Texte intégral
Vu, enregistrée à son secrétariat le 13 mars 2020, la requête présentée pour M. D… A…, domicilié 8 rue du Pré aux Clercs à Paris (75007), tendant à ce que le Tribunal, en application de l’article 37 du décret du 27 février 2015, déclare la juridiction administrative compétente pour statuer sur sa demande tendant à être déchargé des rappels d’impôt de solidarité sur la fortune mis à sa charge au titre des années 2012 et 2013 ainsi que des pénalités et intérêts y afférents, à la suite du conflit négatif résultant de ce que :
1°) par une ordonnance du 26 septembre 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;
2°) par une ordonnance du 23 janvier 2020, le président du tribunal administratif de Paris a déclaré la juridiction administrative incompétente pour en connaître ;
Vu les ordonnances précitées ;
Vu, enregistré le 16 avril 2020, le mémoire produit pour le ministre de l’action et des comptes publics, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que la réclamation concerne non pas le calcul de l’impôt de solidarité sur la fortune mais la réévaluation du montant du droit à restitution fondée sur la réintégration de moins-values dans les revenus pris en compte pour déterminer le » bouclier fiscal » ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. C… B…, membre du Tribunal,
– les observations de la SCP Boutet-Hourdeaux pour M. D… A… ;
– les observations de la SCP Foussard-Froger pour le ministre de l’action et des comptes publics ;
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A…, estimant avoir acquis sur le fondement des articles 1er et 1649-0 A du code général des impôts un droit à restitution né du plafonnement des impositions au titre de ses revenus de l’année 2010 d’un montant de 88 424 euros, a utilisé cette créance pour le paiement de l’impôt de solidarité sur la fortune, à hauteur de 37 227 euros au titre de l’année 2012 et 51 197 euros au titre de l’année 2013.
2. Par une proposition de rectification du 5 octobre 2015, l’administration fiscale a rectifié le montant total des revenus à prendre en compte au titre du plafonnement et ramené, en conséquence, à 11 761 euros le montant de la restitution due à M. A…. Par deux avis d’imposition du 30 avril 2016, elle a mis à sa charge des rappels d’impôt de solidarité sur la fortune d’un montant de 25 466 euros au titre de l’année 2012 et 51 197 euros au titre de l’année 2013.
3. Après rejet de sa réclamation contentieuse, M. A… a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une demande de décharge de ces impositions supplémentaires et des pénalités et intérêts y afférents.
4. Par ordonnance du 26 septembre 2019, le juge de la mise en état a décliné la compétence de l’ordre judiciaire en retenant qu’il résultait des articles L. 199 du livre des procédures fiscales et 1649-0 A du code général des impôts que le législateur avait conféré à la juridiction administrative la compétence pour connaître des litiges afférents aux demandes ou créances de restitution.
5. Saisi ensuite par M. A… de la même contestation, le président du tribunal administratif de Paris, par ordonnance du 23 janvier 2020, a décliné la compétence de la juridiction administrative en estimant que, l’impôt de solidarité sur la fortune étant au nombre des droits d’enregistrement dont le contentieux ressortit à la juridiction judiciaire en application de l’article L. 199 du livre des procédures fiscales, la demande tendant à la décharge des rappels de cet impôt au titre des années 2012 et 2013 devait être portée devant le juge judiciaire.
6. Ces deux décisions étant devenues irrévocables, M. A… a saisi le Tribunal sur le fondement de l’article 37 du décret du 27 février 2015 afin qu’il désigne la juridiction compétente.
7. Il résulte de l’article L. 199 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l’espèce, que les contestations relatives aux impôts directs et aux taxes sur le chiffre d’affaires ou taxes assimilées sont portées devant la juridiction administrative et que la juridiction judiciaire est compétente en matière de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées.
8. En vertu des articles 885 D et 1723 ter OO A du code général des impôts, l’impôt de solidarité sur la fortune est assis et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès, qui sont au nombre des droits d’enregistrement.
9. Aux termes de l’article 1649-0 A du code général des impôts, dans sa version applicable aux impositions afférentes aux revenus perçus au cours de l’année 2010 : » 1. Le droit à restitution de la fraction des impositions qui excède le seuil mentionné à l’article 1er est acquis par le contribuable au 1er janvier de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4. (…) 8. Les demandes de restitution doivent être déposées avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4. Les dispositions de l’article 1965 L sont applicables. Le reversement des sommes indûment restituées est demandé selon les mêmes règles de procédure et sous les mêmes sanctions qu’en matière d’impôt sur le revenu même lorsque les revenus pris en compte pour la détermination du droit à restitution sont issus d’une période prescrite. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles de procédure applicables en matière d’impôt sur le revenu. 9. Par dérogation aux dispositions du 8, le contribuable peut, sous sa responsabilité, utiliser la créance qu’il détient sur l’Etat à raison du droit à restitution acquis au titre d’une année, pour le paiement des impositions mentionnées aux b à e du 2 exigibles au cours de cette même année. Cette créance, acquise à la même date que le droit à restitution mentionné au 1, est égale au montant de ce droit. (…) Ces déclarations sont contrôlées selon les mêmes règles, garanties et sanctions que celles prévues en matière d’impôt sur le revenu, même lorsque les revenus pris en compte pour la détermination du plafonnement sont issus d’une période prescrite. L’article 1783 sexies est applicable (…) « .
10. Il résulte de ce qui précède que la juridiction judiciaire, compétente en matière de droits d’enregistrement, est également compétente pour connaître des contestations relatives à l’impôt de solidarité sur la fortune et que la juridiction administrative, compétente en matière d’impôt sur le revenu, est également compétente pour connaître de toutes les contestations relatives à la détermination du droit à restitution.
11. Il s’ensuit que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur une demande de décharge de rappels d’impôt de solidarité sur la fortune. Toutefois, s’il est soulevé devant elle une contestation relative au montant de la créance de restitution imputable sur cet impôt, il lui incombe, en cas de difficulté sérieuse, de saisir, à titre préjudiciel, la juridiction administrative afin qu’il soit statué sur cette contestation.
D E C I D E:
————–
Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître de la demande de M. A… tendant à être déchargé des rappels d’impôt de solidarité sur la fortune mis à sa charge au titre des années 2012 et 2013 ainsi que des pénalités et intérêts y afférents, sauf à surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction administrative compétente, saisie à titre préjudiciel, sur la contestation portant sur le montant de la créance de restitution imputable sur cet impôt.
Article 2 : L’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris du 26 septembre 2019 est déclarée nulle et non avenue. La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.
Article 3 : La présente décision est notifiée à M. A… et au ministre des comptes publics.