Pas de restriction des épandages agricoles faute de pics de pollution.

CE, juge des réf., ASSOCIATION RESPIRE 20 avril 2020, n° 440005.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air (association « RESPIRE ») demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une part, de constater la carence de l’Etat à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluante et, d’autre part, d’enjoindre au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé et, le cas échéant, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de modifier les conditions d’application de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant pour rendre obligatoire et d’application immédiate jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire, les recommandations et dispositions réglementaires fixées dans son annexe.

Elle soutient que :

– elle justifie d’un intérêt à agir ;

– la condition d’urgence est remplie eu égard, en premier lieu, aux difficultés de réduction du nombre de malades, et notamment de ceux gravement atteints par le covid-19 et, en second lieu, à la circonstance que les épandages, auxquels procèdent actuellement les agriculteurs, génèrent, d’une part, des particules fines nocives pour la santé humaine et contribuent, d’autre part, au dépassement des seuils réglementaires de pollution de l’air susceptible d’aggraver la pandémie ;

– la carence de l’Etat à prendre des mesures réduisant la pollution de l’air aux particules PM10 et PM2,5 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– il résulte de différentes études, notamment d’une étude chinoise de 2003 ainsi que d’une étude américaine et italienne de 2020, qu’il existe vraisemblablement un lien étroit entre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 et le développement et l’aggravation des maladies respiratoires et notamment du covid-19 ;

– la carence de l’Etat à prendre des mesures permettant de réduire ces pollutions par l’imposition de mesures de réduction des effets nocifs des épandages agricoles, notamment par la généralisation des règles applicables en cas de pics de pollution, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé des français dès lors qu’elle contribue à aggraver la pandémie, les principes de prévention voire de précaution imposant en effet, dans le contexte de pandémie, de prendre ces mesures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2020, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation conclut au rejet de la requête. Il soutient, en premier lieu, qu’à défaut pour la requérante de démontrer le risque engendré par le niveau actuel de la pollution de l’air dû aux activités agricoles, aucune carence dans la réglementation des activités d’épandage ne saurait être reprochée à l’autorité administrative, en deuxième lieu, qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et, en dernier lieu, qu’il n’y a dès lors pas urgence à édicter les mesures sollicitées.

La requête a été communiquée au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre des solidarités et de la santé qui n’ont pas produit d’observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association RESPIRE et, d’autre part, le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Ont été entendu lors de l’audience publique du 16 avril 2020 à 10 heures :

– les représentants de l’association RESPIRE ;

– les représentants du ministre de l’agriculture et de l’alimentation;

et à l’issue de laquelle le juge des référés différé la clôture de l’instruction au 17 avril 2020 à 12 heures puis 14 heures.

Vu les pièces complémentaires, enregistrées le 17 avril 2020, produites par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 avril 2020, par lequel l’association RESPIRE maintient ses conclusions et ses moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code de l’environnement ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– le code de la santé publique ;

– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

– l’arrêté du 7 avril 2016 ;

– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ». Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Sur l’office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu’il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

3. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie et le droit à la protection de la santé constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

Sur les circonstances :

4. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et des étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

5. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.

Sur la demande en référé :

6. L’association RESPIRE soutient que l’Etat prend des mesures insuffisantes pour lutter contre la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 dont elle considère qu’il existe de sérieuses raisons de penser qu’elles constituent un facteur aggravant de la propagation du covid 19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections en particulier respiratoires. Elle demande en conséquence au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, après avoir constaté la carence de l’Etat dans ce domaine, d’enjoindre au Premier ministre, au ministre de la santé et, le cas échéant, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de prendre les mesures nécessaires pour réglementer la pratique des épandages agricoles et des autres pratiques agricoles polluantes en vue de limiter la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 en faisant usage des dispositifs prévus par le paragraphe 4 de l’annexe de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant.

7. Aux termes de l’article 8 de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant, pris pour la transposition de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe : « Lorsqu’il est informé d’un épisode de pollution par l’organisme agréé de surveillance de la qualité de l’air, le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre les actions d’information et de recommandation, et le cas échéant les mesures réglementaires de réduction des émissions polluantes, conformément aux articles 9 à 14. / Les mesures sont adaptées, proportionnées et graduées pour tenir compte de la nature, de la durée, de l’intensité et de l’ampleur géographique de l’épisode de pollution. » Aux termes de l’article 10 du même arrêté : « En cas de dépassement prévu d’un seuil d’information et de recommandation, le représentant de l’Etat dans le département déclenche, en concertation avec l’agence régionale de santé, des actions d’information du public, des maires, des établissements de santé et établissements médico-sociaux, des professionnels concernés et des relais adaptés à la diffusion de cette information, ainsi que des diffusions de recommandations sanitaires et de recommandations visant à limiter les émissions des polluants atmosphériques concernés ou de leurs précurseurs. / Il renforce le contrôle du respect de la réglementation en vigueur en matière de lutte contre les pollutions de l’air. ». Aux termes de l’article 12 du même arrêté : « En cas de dépassement prévu d’un seuil d’alerte ou d’épisode persistant de pollution aux particules  » PM10  » (…), le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre les actions d’information et de recommandation prévues aux articles 10 et 11, consulte le comité prévu à l’article 13 et peut imposer la mise en œuvre des mesures figurant en annexe du présent arrêté afin de réduire les émissions des polluants concernés ou de leurs précurseurs » Il résulte de l’article 1er de ce même arrêté que constitue un épisode persistant de pollution aux particules « PM10 » le dépassement du seuil d’information et de recommandation soit pendant deux jours consécutifs en cas d’absence de modélisation des pollutions soit lorsqu’il a eu lieu la veille et lorsqu’un nouveau dépassement est prévu pour le lendemain en cas de modélisation des pollutions. Enfin, l’article R. 221-1 du code de l’environnement fixe à 50 μg/ m³ en moyenne journalière le seuil d’information et de recommandation et à 80 μg/ m³ en moyenne journalière le seuil d’alerte pour les particules PM10.

8. Il résulte de l’instruction, notamment des éléments versés au dossier dans le cadre de la prolongation de l’instruction contradictoire décidée à l’issue de l’audience publique, que le dispositif mis en place par l’arrêté du 7 avril 2016 est effectivement utilisé en cas de dépassement des seuils rappelés plus haut. Ainsi, du 25 septembre 2017 au 15 avril 2020, 237 arrêtés préfectoraux mettant en place des mesures prévues dans le cadre d’un dépassement des seuils de pollution ont été pris, dont 227 comportaient des mesures relatives aux pratiques agricoles. Au cours de la période du 15 mars au 14 avril 2020, dans un context général de forte réduction des pollutions issues de l’activité industrielle et par les transports en raison des mesures de confinement de la population prises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de covid-19, il a été relevé un total de 18 dépassements du seuil d’information et de recommandation pour les particules PM10, dépassements répartis sur 9 régions (4 dépassements dans les Hauts-de-France et en Normandie, 2 dépassements en Bretagne, en Corse et en Guyane, 1 dépassement en Bourgogne-Franche Comté, en Nouvelle Aquitaine et en Ile-de-France) mais aucun dépassement du seuil d’alerte, contrairement à ce qui avait pu être observé pendant la même période au cours de l’année 2019 où l’on avait compté un dépassement du seuil d’alerte, outre 21 dépassements du seuil d’information et de recommandation. L’administration souligne que les préfets continueront à prendre, conformément à l’arrêté du 7 avril 2016, les mesures nécessaires en cas de dépassement des seuils.

9. Pour faire valoir que ce dispositif serait insuffisant dans le contexte de l’épidémie de covid-19, l’association requérante produit des études scientifiques dont elle soutient qu’elles établissent l’existence d’un lien entre la pollution de l’air, en particulier par les particules PM10 et PM2,5, et le développement des maladies respiraroires en général et du covid-19 en particulier. Il s’agit en particulier d’une étude chinoise publiée le 20 novembre 2003 portant sur la pollution de l’air et la mortalité due au SRAS en République populaire de Chine, d’une étude américaine datée du 5 avril 2020 analysant les conséquences d’une exposition prolongée aux particules PM2,5 sur la gravité de l’épidémie de covid-19 aux Etats-Unis et d’une étude italienne réalisée en avril 2020 sous l’égide des universités de Bologne et de Bari ainsi que de la SIMA (Società Italiana di Medecina Ambientale) examinant le lien entre les dépassements répétés des seuils de pollution survenus en Lombardie entre le 10 et le 29 février 2020 et la gravité de l’épidémie de covid-19 dans cette région d’Italie à compter du 3 mars 2020. Elle soutient que cela devrait conduire l’Etat à prendre des mesures visant à réduire la pollution par les particules PM10 et PM2,5 issue de l’activité agricole pendant la période d’état d’urgence sanitaire au-delà du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui limite ces mesures aux épisodes de dépassement des seuils, conformément aux principes de précaution et de prévention.

10. Toutefois, il résulte des éléments versés au dossier et des échanges lors de l’audience publique que, en premier lieu, l’étude chinoise, qui porte au demeurant non sur le Covid-19 mais sur le SRAS, concerne la pollution de l’air en général, notamment la pollution au dioxide de carbone laquelle a été fortement réduite à la suite de la très forte diminution des activités de transports, et non la pollution aux seules particules PM10 et PM2,5 visée par l’association requérante dans la présente requête. En deuxième lieu, si l’étude américaine porte sur les conséquences des différences d’exposition aux particules PM2,5 suivant les Etats des Etats-Unis sur la gravité de l’épidémie de covid-19 pour la population concernée, elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. En dernier lieu, si l’étude italienne porte sur le lien entre les dépassements du seuil de 50 μg / m³ pour les PM10 survenus en Lombardie sur la période du 10 au 29 février 2020 et sur la virulence de l’épidémie de covid-19 dans cette région à compter du 3 mars de cette année, cette étude, qui au demeurant, n’a, à ce stade, pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique dotée d’un comité de lecture, concerne les effets de dépassements du seuil correspondant au seuil d’information et de recommandation de l’arrêté du 7 avril 2016, dépassements qui, outre qu’ils ont été répétés en Lombardie au cours de la période objet de l’étude, conduiraient s’ils survenaient en France, à l’application du dispositif prévu par l’arrêté du 7 avril 2016 qui concerne précisément, ainsi qu’il a été dit, les mesures à prendre pour limiter la survenue et la durée de ces dépassements.

11. En outre, il incombe à l’administration, qui a confirmé lors de l’audience publique qu’elle assure une surveillance quotidienne des niveaux de pollution à la fois au plan central et au plan local, de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l’activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l’industrie et aux transports, la principale source d’origine humaine d’émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d’épandage.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sous réserve que l’Etat assure strictement les obligations, y compris préventives, rappelées au point 11, il n’apparaît pas que son abstention à prendre, hors des hypothèses prévues par l’arrêté du 7 avril 2016, des mesures de réduction des activités agricoles susceptibles d’émettre des particules PM10 et PM2,5 constitue, en l’état de l’instruction et des éléments produits par l’association requérante, une atteinte grave et manifestement illégale aux droits au respect à la vie et à la protection de la santé. Par suite, la requête de l’association RESPIRE doit être rejetée.

O R D O N N E :

——————

Article 1er : La requête de l’association RESPIRE est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air (association RESPIRE) et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Copie en sera adressée au Premier Ministre, à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre des solidarités et de la santé.

Les SDIS ne peuvent demander, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L. 1424-42 du CGCT, une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération de leur seul conseil d’administration, aux établissements de santé, sièges des SAMU.

CE, 1-4 chr, Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Alpes-Maritimes 18 mars 2020, n° 425990, Lebon T.

Il résulte des articles L. 1424-2 et L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales (CGCT), L. 742-11 du code de la sécurité intérieure, L. 6311-1, L. 6311-2, R. 6311-1, R. 6311-2, D. 6124-12 et R. 6312-15 du code de la santé publique (CSP) qu’il incombe aux services d’aide médicale urgente (SAMU) de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état et, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit « centre 15 », installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d’urgence faisant appel à une entreprise privée de transports sanitaire ou, au besoin, aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Les interventions ne relevant pas de l’article L. 1424-2 du CGCT qui sont effectuées par les SDIS à la demande du centre 15, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, sont décidées, sous sa responsabilité, par le médecin régulateur du SAMU, qui les a estimées médicalement justifiées compte tenu des informations dont il disposait sur l’état du patient. Elles font l’objet d’une prise en charge financière par l’établissement de santé siège des SAMU, dans des conditions fixées par une convention – distincte de celle que prévoit l’article D. 6124-12 du CSP en cas de mise à disposition de certains moyens – conclue entre le SDIS et l’établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale.

Les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 1424-42 du CGCT doivent dans ces conditions être regardés comme régissant l’ensemble des conditions de prise en charge financière par les établissements de santé d’interventions effectuées par les SDIS à la demande du centre de réception et de régulation des appels lorsque ces interventions ne sont pas au nombre des missions de service public définies à l’article L. 1424-2 de ce code auxquelles ces établissements publics sont tenus de procéder et dont ils supportent la charge. Il s’en déduit que les SDIS ne peuvent demander, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L. 1424-42 du même code, une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération de leur seul conseil d’administration, aux établissements de santé, sièges des SAMU.

Texte intégral
Conseil d’État

N° 425990
ECLI:FR:CECHR:2020:425990.20200318
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1re – 4e chambres réunies
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats

Lecture du mercredi 18 mars 2020REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Le centre hospitalier universitaire de Nice a demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 26 septembre 2014 du président du service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes portant fixation du montant de la participation aux frais d’intervention du centre hospitalier universitaire de Nice lorsque le « centre 15 » sollicite le service départemental d’incendie et de secours pour réaliser une intervention n’entrant pas dans ses missions propres. Par un jugement n° 1405130 du 2 novembre 2016, le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 17MA00014 du 4 octobre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par le service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 décembre 2018 et les 28 février et 2 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Nice la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la santé publique ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d’Etat,

— les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du centre hospitalier universitaire de Nice ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes a décidé, par une délibération du 11 juillet 2014, de facturer au centre hospitalier universitaire de Nice chaque intervention réalisée à la demande du centre de réception et de régulation des appels (« centre 15 ») de son service d’aide médicale urgente pour des missions ne se rattachant pas aux missions de service public des services d’incendie et de secours définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales. Le président du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes, autorisé par la délibération du 11 juillet 2014 à signer tout document nécessaire à la mise en oeuvre de cette décision, a, par un arrêté du 26 septembre 2014, fixé à 1 022,17 euros le montant unitaire de cette participation. Saisi par le centre hospitalier universitaire de Nice, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté pour excès de pouvoir par un jugement du 2 novembre 2016. Le service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 4 octobre 2018 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel qu’il avait formé contre ce jugement.

2. D’une part, aux termes de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : « Les services d’incendie et de secours (…) concourent, avec les autres services et professionnels concernés, (…) aux secours d’urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : (…) / 4° Les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ». L’article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure prévoit que : « Les dépenses directement imputables aux opérations de secours au sens des dispositions de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales sont prises en charge par le service départemental d’incendie et de secours. (…) ». L’article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales dispose que : « Le service départemental d’incendie et de secours n’est tenu de procéder qu’aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l’article L. 1424-2. / S’il a procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice de ses missions, il peut demander aux personnes bénéficiaires une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d’administration. / Les interventions effectuées par les services d’incendie et de secours à la demande de la régulation médicale du centre 15, lorsque celle-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, et qui ne relèvent pas de l’article L. 1424-2, font l’objet d’une prise en charge financière par les établissements de santé, sièges des services d’aide médicale d’urgence. / Les conditions de cette prise en charge sont fixées par une convention entre le service départemental d’incendie et de secours et l’hôpital siège du service d’aide médicale d’urgence, selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale (…) ».

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 6311-1 du code de la santé publique : « L’aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d’organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état » et l’article L. 6311-2 du même code prévoit qu’ : « (…) un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d’aide médicale urgente (…) ». L’article R. 6311-1 de ce code précise que : « Les services d’aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d’urgence. / Lorsqu’une situation d’urgence nécessite la mise en oeuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d’aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en oeuvre par les services d’incendie et de secours » et l’article R. 6311-2 que :  » Pour l’application de l’article R. 6311-1, les services d’aide médicale urgente : / (…) 2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels ; / (…) 4° Organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires (…) « . L’article D. 6124-12 de ce code permet aux services d’incendie et de secours de mettre des équipages et véhicules à disposition d’une structure mobile d’urgence et de réanimation dans le cadre, qui régit alors cette mise à disposition, d’une convention avec l’établissement de santé autorisé à disposer d’une telle structure. Il résulte enfin de l’article R. 6312-15 du même code que ces services, indépendamment de la conclusion d’une telle convention, peuvent être amenés à intervenir pour effectuer des transports sanitaires d’urgence faute de moyens de transport sanitaire.

4. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que les services départementaux d’incendie et de secours ne doivent supporter la charge que des interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, au nombre desquelles figurent celles qui relèvent des secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l’évacuation de ces personnes. Les interventions ne relevant pas directement de l’exercice de leurs missions de service public effectuées par les services départementaux d’incendie et de secours peuvent donner lieu à une participation aux frais des personnes qui en sont bénéficiaires, dont ces services déterminent eux-mêmes les conditions.

5. Il résulte également de ces dispositions qu’il incombe aux services d’aide médicale urgente de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état et, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit « centre 15 », installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d’urgence faisant appel à une entreprise privée de transport sanitaire ou, au besoin, aux services d’incendie et de secours. Les interventions ne relevant pas de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales qui sont effectuées par les services départementaux d’incendie et de secours à la demande du centre 15, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, sont décidées, sous sa responsabilité, par le médecin régulateur du service d’aide médicale urgente, qui les a estimées médicalement justifiées compte tenu des informations dont il disposait sur l’état du patient. Elles font l’objet d’une prise en charge financière par l’établissement de santé siège des services d’aide médicale d’urgence, dans des conditions fixées par une convention – distincte de celle que prévoit l’article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens – conclue entre le service départemental d’incendie et de secours et l’établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale.

6. En jugeant que les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales doivent dans ces conditions être regardées comme régissant l’ensemble des conditions de prise en charge financière par les établissements de santé d’interventions effectuées par les services départementaux d’incendie et de secours à la demande du centre de réception et de régulation des appels lorsque ces interventions ne sont pas au nombre des missions de service public définies à l’article L. 1424-2 de ce code auxquelles ces établissements publics sont tenus de procéder et dont ils supportent la charge, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit. Elle n’a pas davantage commis d’erreur de droit en en déduisant que les services départementaux d’incendie et de secours ne peuvent demander, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L. 1424-42 du même code, une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération de leur seul conseil d’administration, aux établissements de santé, sièges des services d’aide médicale d’urgence.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Nice, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes une somme de 3 000 euros à verser au centre hospitalier universitaire de Nice au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes est rejeté.

Article 2 : Le service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes versera au centre hospitalier universitaire de Nice une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au service départemental d’incendie et de secours des Alpes-Maritimes et au centre hospitalier universitaire de Nice.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé et à l’agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur.