Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 06/12/2021, 456486, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

M. B… A…, à l’appui de la demande qu’il a formée devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à la réduction des cotisations d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2018, a présenté, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, un mémoire, enregistré le 25 novembre 2020 au greffe de ce tribunal, par lequel il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n°1907584 du 6 septembre 2021, enregistrée le 8 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question ainsi soulevée, portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du C du II de l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code du travail ;
– la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, notamment son article 60 ;
– l’ordonnance n° 2017-1390 du 22 septembre 2017 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du II de l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 :  » A. – Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l’article 204 A du code général des impôts, tel qu’il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d’un crédit d’impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l’absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l’impôt sur le revenu. / B. – Le crédit d’impôt prévu au A du présent II est égal au montant de l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2018 résultant de l’application des règles prévues aux 1 à 4 du I de l’article 197 du code général des impôts ou, le cas échéant, à l’article 197 A du même code multiplié par le rapport entre les montants nets imposables des revenus non exceptionnels mentionnés au 1 de l’article 204 A dudit code, les déficits étant retenus pour une valeur nulle, et le revenu net imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu, hors déficits, charges et abattements déductibles du revenu global. Le montant obtenu est diminué des crédits d’impôt prévus par les conventions fiscales internationales afférents aux revenus mentionnés au 1 du même article 204 A. / C. – Sont pris en compte au numérateur du rapport prévu au B du présent II, pour le calcul du crédit d’impôt prévu au A, les montants nets imposables suivant les règles applicables aux salaires, aux pensions ou aux rentes viagères, à l’exception : / 1° Des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, à l’exception des indemnités compensatrices de congé mentionnées à l’article L. 3141-28 du code du travail, des indemnités compensatrices de préavis mentionnées à l’article L. 1234-5 du même code, des indemnités de fin de contrat de travail à durée déterminée mentionnées à l’article L. 1243-8 dudit code et des indemnités de fin de mission mentionnées à l’article L. 1251-32 du même code ; (…) « .

3. Cet article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au décalage d’un an de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l’année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d’application, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré, pour les revenus salariaux et les revenus de remplacement, par l’employeur ou l’organisme versant. Les dispositions du paragraphe I de l’article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l’impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l’impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l’année 2018 et sur ceux de l’année 2019, en instituant un crédit d’impôt dit de modernisation du recouvrement ayant pour objet d’effacer le montant de l’impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.

4. A l’appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu’il soulève, M. A… soutient que les dispositions du 1° du C du II de l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce que, dès lors que l’indemnité de non-concurrence constitue la rémunération d’une prestation liée au contrat de travail réalisée postérieurement à sa rupture, et donc un revenu salarial, le contribuable percevant ce type de rémunération ne saurait être traité différemment de ceux percevant également des revenus salariaux d’une autre nature, tels que par exemple l’indemnité de fin de contrat de travail à durée déterminée mentionnée à l’article L. 1243-8 du code du travail qui sont éligibles au crédit d’impôt de modernisation du recouvrement, et ce alors même que le contribuable bénéficiant d’une indemnité de non concurrence n’est pas en mesure de mettre en place une quelconque optimisation fiscale que la mesure d’exclusion des revenus exceptionnels de ce crédit d’impôt vise précisément à éviter.

5. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 :  » La loi (…) doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse « . Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Aux termes de l’article 13 de cette Déclaration :  » Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés « . En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

6. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que le crédit d’impôt modernisation du recouvrement tend à éliminer la double contribution aux charges publiques en 2019 des revenus non exceptionnels perçus en 2018. Par suite et alors même que l’indemnité de non concurrence a une nature salariale, ses bénéficiaires, eu égard au caractère exceptionnel de la rupture de contrat qui en est à l’origine, ne se trouvent pas, pour la détermination du montant de ce crédit d’impôt, dans une situation identique à celle des bénéficiaires de revenus salariaux non exceptionnels.

7. En second lieu, il résulte également des dispositions citées au point 2, éclairées par leurs travaux préparatoires, que si le législateur a entendu inclure, dans le champ du crédit d’impôt modernisation du recouvrement, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail que sont les indemnités compensatrices de congé, les indemnités compensatrices de préavis, les indemnités de fin de contrat de travail à durée déterminée et les indemnités de fin de mission, c’est en tenant compte de ce que ces dernières, soit correspondent à des revenus qui auraient été perçus si le contrat n’avait pas été rompu, soit sont destinées à compenser, pour un motif d’intérêt général, la précarité de la situation du salarié qui les perçoit. En outre, ces quatre indemnités, qui sont prévues par le code du travail, peuvent être versées à l’ensemble des salariés, alors que l’indemnité de non-concurrence bénéficie à certains salariés uniquement, lorsqu’elle est prévue par les conventions collectives et les contrats de travail. Les bénéficiaires de ces différentes indemnités ne se trouvent donc pas dans une situation identique et en excluant la dernière d’entre elles du champ d’application du crédit d’impôt précité, le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi, lequel ne se résume pas à la lutte contre l’optimisation fiscale.

8. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que les dispositions contestées méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques, qui ne sont pas nouveaux, ne peuvent être regardés comme soulevant une question sérieuse. Il n’y a, dès lors, pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Grenoble.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, et au tribunal administratif de Grenoble.

ECLI:FR:CECHR:2021:456486.20211206