Vu la procédure suivante :
Par un jugement du 17 mars 2022, le tribunal judiciaire de Bobigny a sursis à statuer et saisi le Conseil d’Etat de la question de la légalité de l’article 6 du décret n° 2020-570 du 14 mai 2020 relatif au versement d’une prime exceptionnelle à certains agents civils et militaires de la fonction publique de l’Etat et de la fonction publique territoriale soumis à des sujétions exceptionnelles pour assurer la continuité des services publics dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Par deux mémoires, enregistrés les 29 avril et 2 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives demande au Conseil d’Etat d’apprécier la légalité de l’article 6 du décret n° 2020 -570 du 14 mai 2020 et de déclarer que cet article est entaché d’illégalité.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 ;
– la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 ;
– le décret n° 2020-570 du 14 mai 2020 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. A… B… de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la URSSAF Ile-de France ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 17 mars 2022, le tribunal judiciaire de Bobigny, saisi d’une requête par laquelle le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives a contesté la décision de l’URSSAF Ile-de-France du 16 mars 2021 l’informant de l’impossibilité de cumul des primes instituées respectivement par l’article 7 de la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 et par l’article 11 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, a sursis à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la question préjudicielle relative à la légalité de l’article 6 du décret n° 2020 -570 du 14 mai 2020. Le tribunal judiciaire a relevé, dans les motifs de son jugement, que le CEA soutenait que ce décret était illégal, d’une part, en ce qu’il est contraire à la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 ainsi qu’à l’objectif défini par le législateur et, d’autre part, en ce qu’il est contraire au principe de libre fixation des salaires. Le tribunal judiciaire a ainsi défini et limité l’étendue de la question qu’il entendait soumettre à la juridiction administrative. Dès lors, l’examen des moyens doit se limiter à ceux définis ci-dessus.
2. Aux termes de l’article 7 de la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 : » I. – A. – Bénéficie de l’exonération prévue au V la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat attribuée dans les conditions prévues aux II et III à leurs salariés ou à leurs agents par les employeurs mentionnés à l’article L. 3311-1 du code du travail. (…) C. – La prime mentionnée au A du présent I peut être attribuée par l’employeur à l’ensemble des salariés et des agents qu’il emploie ou à ceux dont la rémunération est inférieure à un plafond. (…). / II. – L’exonération prévue au V est applicable à la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat bénéficiant aux personnes mentionnées au A du I lorsque cette prime satisfait aux conditions suivantes : (…) 2° Son montant peut-être modulé selon les bénéficiaires en fonction de la rémunération, du niveau de classification, des conditions de travail liées à l’épidémie de covid-19, de la durée de présence effective pendant l’année écoulée ou la durée de travail prévue au contrat de travail (…) / V. – La prime attribuée dans les conditions prévues aux I à III aux salariés ou agents publics ayant perçu au cours des douze mois précédant son versement une rémunération inférieure à trois fois la valeur annuelle du salaire minimum de croissance correspondant à la durée de travail prévue au contrat mentionnée à la dernière phrase du deuxième alinéa du III de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale est exonérée, dans la limite de 1 000 € par bénéficiaire, d’impôt sur le revenu, de toutes les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle ainsi que des participations, taxes et contributions prévues à l’article 235 bis du code général des impôts et à l’article L. 6131-1 du code du travail dans leur rédaction en vigueur à la date de son versement. / Elle est exclue des ressources prises en compte pour le calcul de la prime d’activité mentionnée à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale et pour l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés mentionnée à l’article L. 821-1 du même code. (…) « .
3. Aux termes de l’article 11 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 : » I.- La prime exceptionnelle versée, en 2020, par les administrations publiques (…) à ceux de leurs agents particulièrement mobilisés pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 afin de tenir compte d’un surcroît de travail significatif durant cette période est exonérée d’impôt sur le revenu, de toutes les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle ainsi que des participations, taxes et contributions prévues à l’article 235 bis du code général des impôts et à l’article L. 6131-1 du code du travail. (…) / II.- Les bénéficiaires, les conditions d’attribution et de versement de la prime exceptionnelle mentionnée au présent article ainsi que son montant sont déterminés dans des conditions fixées par décret, en fonction des contraintes supportées par les agents à raison du contexte d’état d’urgence sanitaire (…) / III.- Les exonérations prévues au premier alinéa du I du présent article ne se cumulent pas avec celles prévues à l’article 7 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 lorsque la prime versée en application du même article 7 tient compte des conditions de travail particulières liées à l’épidémie de covid-19. (…) «
4. Aux termes de l’article 1er du décret du 14 mai 2020 relatif au versement d’une prime exceptionnelle à certains agents civils et militaires de la fonction publique de l’Etat et de la fonction publique territoriale soumis à des sujétions exceptionnelles pour assurer la continuité des services publics dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à l’épidémie de covid 19 : » En application de l’article 11 de la loi du 25 avril 2020 (…) le présent décret détermine les conditions dans lesquelles l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics et groupements d’intérêt public, à l’exclusion des établissements et services mentionnés au 6°, au 7° et au 9° de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, peuvent verser une prime exceptionnelle à ceux de leurs agents particulièrement mobilisés pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la du 23 mars 2020 susvisée afin de tenir compte d’un surcroît de travail significatif durant cette période. Les bénéficiaires de la prime exceptionnelle sont nommément désignés à cet effet dans les conditions prévues par le présent décret. « . Aux termes de l’article 6 de ce décret : » La prime exceptionnelle instituée par le présent décret est exclusive : / – de la prime exceptionnelle prévue à l’article 7 de la loi du 24 décembre 2019 susvisée ; / – de toute autre prime versée en application de l’article 11 de la loi du 25 avril 2020 susvisée ; / – des autres primes et indemnités versées aux militaires au titre de leur participation aux opérations visant à lutter contre la propagation du covid-19 pendant la période d’état d’urgence sanitaire (…) « .
5. En premier lieu, il résulte des dispositions de l’article 11 de la loi du 25 avril 2020, éclairées par les débats parlementaires à l’issue desquels elles ont été adoptées, que le législateur, après avoir prévu que la prime exceptionnelle destinée à tenir compte d’un surcroît de travail significatif durant la période de l’épidémie de covid-19 serait exonérée d’impôt sur le revenu ainsi que des cotisations et contributions sociales et des participations, taxes et contributions prévues par le code général des impôts et le code du travail, n’a pas encadré les modalités et les conditions d’octroi de cette prime mais a renvoyé entièrement au pouvoir réglementaire leur détermination. Il s’est borné à cet égard à exclure que, dans l’hypothèse où ces modalités conduiraient à ce que des agents bénéficient de cette prime ainsi que de celle instituée par l’article 7 de la loi du 24 décembre 2019, les exonérations d’impôts et de cotisations sociales prévues pour ces primes puissent se cumuler lorsque la prime versée en application de cet article 7 tient compte des conditions de travail particulières liées à l’épidémie de covid-19. Par suite, en prévoyant, parmi les conditions d’attribution de la prime exceptionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 25 avril 2020, que les deux primes sont exclusives l’une de l’autre, l’article 6 du décret contesté n’a méconnu ni les dispositions législatives citées aux points 2 et 3, ni l’intention du législateur.
6. En second lieu, la prime exceptionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 25 avril 2020 constitue un complément de rémunération versé par les administrations publiques dont il appartient, ainsi qu’il est dit au point 5, au pouvoir réglementaire de fixer les conditions d’attribution et de versement. Par suite, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives n’est pas fondé à soutenir que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de libre fixation des salaires.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives n’est pas fondé à soutenir que l’article 6 du décret du 14 mai 2020 serait entaché d’illégalité.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives une somme de 3 000 euros à verser à l’URSSAF Ile-de France au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
D E C I D E :
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Article 1er : Il est déclaré que l’exception d’illégalité de l’article 6 du décret du 14 mai 2020 soulevée par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives devant le tribunal judiciaire de Bobigny n’est pas fondée.
Article 2 : Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives versera à l’URSSAF Ile-de France une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au tribunal judiciaire de Bobigny, au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, à l’URSSAF Ile-de France, à la Première ministre et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre des armées et au ministre de la santé et de la prévention
Délibéré à l’issue de la séance du 19 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d’Etat, M. Didier Ribes, maître des requêtes et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d’Etat rapporteur.
Rendu le 13 octobre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye
La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat